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27/10/2023 | FRANCE | N°22NT01086

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 22NT01086


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 novembre 2019 par laquelle le maire de la commune de Pordic a décidé d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir l'immeuble situé 6 rue Louis Jouvet.

Par un jugement n° 2000103 du 11 février 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 avril 2022, Mme E..., représentée par Me Beguin, demande à la co

ur :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 février 2022 ;

2°) d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 18 novembre 2019 par laquelle le maire de la commune de Pordic a décidé d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir l'immeuble situé 6 rue Louis Jouvet.

Par un jugement n° 2000103 du 11 février 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 avril 2022, Mme E..., représentée par Me Beguin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 février 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2019 du maire de Pordic exerçant le droit de préemption urbain ;

3°) d'enjoindre à la commune de Pordic de lui proposer le bien au prix mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Pordic une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le maire de Pordic ne disposait plus de délégation de compétence depuis l'entrée en vigueur du nouveau plan local d'urbanisme (PLU) en 2019 ;

- la délégation de compétence du droit de préemption consentie le 23 mai 2019, par Saint Brieuc Agglomération, à la commune de Pordic, n'a pas porté sur les parcelles litigieuses faisant partie du périmètre couvert par les conventions de portage foncier passées entre la commune et l'établissement public foncier de Bretagne ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé en fait ;

- la commune ne justifie pas d'un projet réel répondant aux objectifs définis par l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2022, la commune de Pordic, représentée par Me Le Derf-Daniel, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme E... ;

2°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Delagne, substituant Me Beguin, pour Mme E... et de Me Hipeau, substituant Me Le Derf-Daniel, pour la commune de Pordic.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a signé un compromis de vente, le 13 septembre 2019, en vue de l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation situé 6 rue Louis Jouvet à Pordic. Par une décision du 18 novembre 2019, le maire de Pordic a exercé son droit de préemption urbain sur ce bien. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision de préemption du 18 novembre 2019. Elle fait appel du jugement de rejet de sa demande.

Sur la légalité externe de la décision contestée :

2. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre. / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (...) en matière de plan local d'urbanisme, emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain (...) ". Aux termes de l'article L. 213-3 du même code : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou à une société d'économie mixte répondant aux conditions définies au deuxième alinéa de l'article L. 300-4 et bénéficiant d'une concession d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire. ". Aux termes de l'article R. 213-1 du même code : " La délégation du droit de préemption prévue par l'article L. 213-3 résulte d'une délibération de l'organe délibérant du titulaire du droit de préemption. / Cette délibération précise, le cas échéant, les conditions auxquelles la délégation est subordonnée. / Cette délégation peut être retirée par une délibération prise dans les mêmes formes. ". Enfin, aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut (...) par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) / 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, que Saint-Brieuc Armor Agglomération, qui en dispose de plein droit en application de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, a délégué, par délibération du 30 mars 2017, la compétence en matière de droit de préemption urbain à la commune de Pordic, dont le conseil municipal l'a lui-même déléguée, par délibération du 12 mai 2017, à son maire.

4. D'une part, Mme E... soutient que la délégation du 12 mai 2017 au maire de Pordic, visant explicitement le droit de préemption urbain délégué par délibération du 30 mars 2017, n'était plus valable depuis la révision du plan local d'urbanisme (PLU) intervenue le 23 mai 2019 et l'institution d'un " nouveau droit de préemption ". Toutefois, eu égard à ses termes la délibération du 12 mai 2017 doit être regardée comme une délégation générale de l'exercice du droit de préemption urbain s'appliquant dans les zones urbaines et d'urbanisation future du plan local d'urbanisme, y compris dans le cas d'évolutions de ce droit. Dès lors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le conseil municipal de Pordic ou le conseil d'agglomération de Saint-Brieuc Armor Agglomération auraient entendu retirer les délégations accordées en 2017, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le maire de Pordic n'était pas compétent pour prendre l'arrêté contesté depuis l'entrée en vigueur du nouveau PLU.

5. D'autre part, Mme E... soutient que le nouveau droit de préemption délégué par délibération du 23 mai 2019 à la commune de Pordic ne portait pas sur le site en cause, qui fait partie d'un périmètre dans lequel l'établissement public foncier de Bretagne s'est vu déléguer cette compétence par application d'une délibération du 18 octobre 2018. Toutefois, il ressort de la rédaction de cette délibération et des termes de la convention opérationnelle d'actions foncières conclue le 29 juillet 2013, prolongée par avenant en janvier 2019, dont l'article 2 précise que l'autorisation donnée à l'EPF d'acquérir les biens immobiliers " ne fait pas obstacle à l'acquisition directe par la collectivité d'un bien compris dans ce périmètre si elle le juge utile ", que la délégation consentie à l'établissement public foncier de Bretagne n'a pas impliqué un retrait de celle accordée à la commune de Pordic. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le droit de préemption urbain délégué au maire de Pordic ne pouvait pas être exercé sur le bien en cause.

6. En second lieu, contrairement à ce que soutient Mme E..., la décision du 18 novembre 2019, qui indique que l'opération litigieuse a pour but de permettre d'aménager une liaison douce en vue de connecter le nouveau quartier de la porte d'Ic au centre-ville de Pordic, conformément aux orientations d'aménagement et de programmation du PLU de 2019 et de doter son centre communal d'action sociale (CCAS) de logements d'hébergement d'urgence, est suffisamment motivée en fait.

Sur la légalité interne de la décision contestée :

7. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. La mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

8. D'une part, il n'est pas contesté que la commune de Pordic a engagé, depuis 2008, un programme d'aménagement du nord de son bourg, en particulier par la création d'une zone d'aménagement concerté (ZAC), ce qui s'est concrétisé notamment par une délibération du 7 décembre 2015, deux réunions publiques le 8 novembre 2016 et le 19 octobre 2017 et l'approbation le 25 janvier 2019 du dossier de création de la ZAC et du bilan de concertation et le lancement de la procédure d'utilité publique et d'enquête parcellaire. De plus, une convention de portage foncier a été conclue en décembre 2016 en vue de constituer une réserve foncière pour l'achat de terrains nus situés secteur de la porte d'Ic, objet d'un avenant en février 2019. Dans le cadre de cette convention, plusieurs parcelles ont, depuis 2017, été déjà acquises. La ZAC a été prise en compte dans le PLU en tant que zone d'urbanisation future et une orientation d'aménagement et de programmation (OAP) spécifique a été définie. Afin de relier le centre-bourg à la ZAC, l'orientation d'aménagement et de programmation de la porte d'Ic prévoit une " liaison douce à aménager ou à créer " dont le tracé emprunte les parcelles préemptées pour assurer une jonction avec la rue Louis Jouvet. Dans ces conditions, Mme E..., qui ne peut utilement se prévaloir à cet égard du courrier du 21 septembre 2018 dans lequel le maire de Pordic indiquait ne plus avoir l'intention d'acquérir le bien litigieux en raison du coût trop élevé des travaux de connexion, n'est pas fondée à soutenir que la décision du 18 novembre 2019 n'était pas justifiée sur ce point par un projet dont la réalité était établie, ni par un intérêt général suffisant.

9. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que, comme le soutient Mme E..., la réalisation de la connexion avec la rue Louis Jouvet implique de détruire les logements préemptés. En outre, la seule circonstance relevée par la requérante que la commune de Pordic vient de céder l'ancien presbytère de Tréméloir, qui aurait pu servir à l'hébergement d'urgence, ne suffit pas à démontrer que les logements préemptés n'auraient pas d'intérêt à cet égard. Il ressort au contraire d'un courrier versé aux débats de la vice-présidente du CCAS de Pordic que ces logements étaient d'un grand intérêt pour assurer l'hébergement de personnes en situation précaire. Par suite, Mme E... n'est pas davantage fondée à soutenir que la décision du 18 novembre 2019 n'était pas justifiée sur ce point par un projet dont la réalité était établie, ni par un intérêt général suffisant.

10. Enfin, la circonstance relevée par Mme E... que, lors du conseil municipal du 12 novembre 2019, seule une faible majorité a adopté la décision modificative n°1 du budget principal, permettant de financer le projet, qui n'est pas de nature à remettre en cause sa réalité ou son caractère d'intérêt général, est sans influence sur la légalité de la décision de préemption contestée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme E..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Pordic, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de celle-ci la somme de 1 500 euros, à verser à la commune de Pordic, sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Mme E... versera la somme de 1 500 euros à la commune de Pordic sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à Mme G... B..., à Mme F... C..., à M. A... C... et à la commune de Pordic.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01086


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01086
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : BEGUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-27;22nt01086 ?
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