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27/10/2023 | FRANCE | N°23NT01588

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 23NT01588


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2305719 du 16 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2023, et un mémoire, enregistré le 2 octobre

2023, Mme A..., représentée par Me Renaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2305719 du 16 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2023, et un mémoire, enregistré le 2 octobre 2023, Mme A..., représentée par Me Renaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 mai 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert aux autorités italiennes ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de se saisir de l'examen de sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de lui remettre une attestation d'asile en procédure normale ainsi que le dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le premier juge a omis de statuer sur le moyen de légalité interne tiré du traitement irrégulier de ses données personnelles par un agent de la préfecture qui a consulté le fichier Eurodac et a insuffisamment motivé le jugement sur ce moyen ; il a dénaturé les pièces du dossier ;

- ses données personnelles ont été traitées irrégulièrement en raison de l'absence d'habilitation de la personne ayant procédé à l'enregistrement des empreintes dans un fichier et de l'absence d'habilitation de l'auteur de la consultation du fichier Eurodac en la personne ayant enregistré les empreintes dans le fichier et l'ayant orienté en procédure Dublin ; les dispositions des articles 3 et 34 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;

- l'article 3 du règlement n° 604/2013 est méconnu en raison de l'existence de défaillances systémiques en Italie, où aucune information récente postérieure à la transmission de la circulaire du 5 décembre 2022 suspendant les transferts vers l'Italie et produite dans le cadre de la présente instance, ne permet de considérer que l'Italie connait une amélioration de son système d'accueil et qu'il a été mis fin aux expositions récurrentes (et admises par l'Etat membre lui-même) des demandeurs d'asile à des situations de maltraitance matérielle de très grande ampleur ainsi qu'à des privations empêchant les demandeurs d'asile de subvenir à leurs besoins fondamentaux ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n°603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet, première conseillère ;

- et les observations de Me Renaud, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 15 décembre 1994 à Kamsar (Guinée), déclare être entrée en France le 1er décembre 2022. Elle a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique, qui a été enregistrée le 19 décembre 2022. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'elle avait été identifiée en Italie le 20 octobre 2022 après avoir franchi irrégulièrement la frontière de ce pays. Saisies par les autorités françaises le 27 décembre 2022, les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité par accord implicite. Par un arrêté du 20 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer l'intéressée aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Mme A... relève appel du jugement du 16 mai 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. Mme A... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile faisant l'objet de mesures de transfert auprès des autorités italiennes. Elle produit une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En produisant la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, la requérante apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées, alors que le préfet de Maine-et-Loire n'établit ni même n'allègue que l'indisponibilité des installations d'accueil invoquée par l'Italie avait cessé à la date du 20 mars 2023 à laquelle il a décidé le transfert de Mme A... vers ce pays. Il s'ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par la requérante de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

7. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de Mme A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à Mme A..., ainsi qu'elle le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article 3 précité du règlement.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de mille (1 000) euros, à verser à Me Renaud avocat du requérant. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'il perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2305719 du 16 mai 2023 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 20 mars 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme A... aux autorités italiennes sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Article 3 : L'Etat versera la somme de mille (1 000) euros à Me Renaud en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Renaud et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01588


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01588
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : RENAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-27;23nt01588 ?
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