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03/11/2023 | FRANCE | N°23NT01512

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 novembre 2023, 23NT01512


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2304996 du 9 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Philippon, demande

à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2304996 du 9 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Philippon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 20 mars 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

2°) d'enjoindre à l'Etat, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de sa demande dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier :

* dès lors que sa minute ne comporte pas les mentions obligatoires prévues par l'article R. 741-8 du code de justice administrative ;

* le jugement attaqué a été rendu par un magistrat qui n'a pas reçu de délégation pour statuer sur les litiges visés à l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par le président du tribunal administratif.

- le jugement attaqué est infondé :

* le préfet a méconnu l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

* le préfet a méconnu les dispositions des articles 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de l'absence de confidentialité de l'entretien individuel, la compétence de l'interprète n'est en outre pas établie et ses coordonnées ne lui ont pas été transmises par écrit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante népalaise, a déclaré être entrée régulièrement en France le 14 février 2023 et s'y être maintenue sans être munie des documents et visa exigés par les textes en vigueur. Elle a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 22 février 2023. La consultation du fichier " Visabio " a révélé que l'intéressée était en possession d'un visa en cours de validité, délivré par les autorités espagnoles au moment du dépôt de sa demande d'asile. Ces autorités, saisies le 1er mars 2023 d'une demande de prise en charge de la requérante, y ont explicitement consenti le 2 mars 2023. Le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé, par un arrêté du 20 mars 2023, de transférer l'intéressée vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Elle relève appel du jugement du 9 mai 2023par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Aux termes de l'article R. 741-8 du même code : " Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée, conformément aux dispositions de l'article R. 741-8 du code de justice administrative, par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et par le greffier.

4. En second lieu, le président du tribunal administratif de Nantes a désigné

M. Marowski, premier conseiller, par une décision du 1er février 2023, affichée au greffe de ce tribunal, pour statuer sur les litiges relevant du contentieux des décisions de transfert vers l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, notamment sur le fondement de l'article L. 572-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le jugement du 9 mai 2023 aurait été rendu par un magistrat non régulièrement désigné.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ".

6. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

7. En l'espèce, Mme A... a attesté avoir reçu communication du guide du demandeur d'asile et de l'information sur les règlements communautaires constitués de la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et de la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue anglaise, que l'intéressée a déclaré comprendre, ainsi qu'il ressort du recueil d'information du 22 février 2023 complété lors de l'introduction de la demande d'asile de Mme A.... Ces informations lui ont été traduits oralement en langue tibétaine par un interprète de la société ISM Interprétariat, ainsi que la requérante en a attesté par la signature apposée sur ces documents, le 22 février 2023, indiquant que l'information sur les règlements communautaires lui ont été communiquées oralement et qu'elle reconnait les avoir comprises. Si la requérante fait valoir qu'elle n'a pas été scolarisée et ne sait pas lire l'anglais, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle en aurait informé les services préfectoraux. Les allégations de l'intéressée selon lesquelles elle n'a jamais renseigné son nom, ni coché les cases mentionnant qu'elle a reçu une communication orale des brochures d'informations et que cette case a été rajoutée " manuscritement ", sont contredites par les pièces du dossier et ne reposent sur aucun élément. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / (...) ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. (...) /(...) ".

9. Les services de la préfecture de la Loire-Atlantique, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 24 mars 2023 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en langue tibétaine. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité ou par une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, la circonstance que les coordonnées de l'interprète n'ont pas été transmises à la requérante par écrit n'a pas privé cette dernière de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er: La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- Mme Gélard, première conseillère

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 novembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT01512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01512
Date de la décision : 03/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : PHILIPPON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-11-03;23nt01512 ?
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