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06/02/2024 | FRANCE | N°22NT02111

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 06 février 2024, 22NT02111


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision par laquelle le président du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'A... a implicitement refusé de lui accorder la protection fonctionnelle et l'arrêté du 27 mai 2020 par laquelle le président du SDIS de l'A... a décidé de ne pas renouveler son engagement quinquennal de sapeur-pompier volontaire ;



Par un jugement n°s2000450, 2001350 du

6 mai 2022, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de non-renouvellement de l'eng...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision par laquelle le président du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'A... a implicitement refusé de lui accorder la protection fonctionnelle et l'arrêté du 27 mai 2020 par laquelle le président du SDIS de l'A... a décidé de ne pas renouveler son engagement quinquennal de sapeur-pompier volontaire ;

Par un jugement n°s2000450, 2001350 du 6 mai 2022, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de non-renouvellement de l'engagement de M. D... du 27 mai 2020, mis à la charge du SDIS de l'A... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 juillet 2022 et le 29 novembre 2023, le SDIS de l'A..., représenté par Me Gorand, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 6 mai 2022 du tribunal administratif de Caen, en tant qu'il a annulé la décision de non-renouvellement de l'engagement de M. D... du 27 mai 2020 et mis à sa charge la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de M. D... dirigée contre la décision de non-renouvellement de son engagement du 27 mai 2020 ;

3°) de mettre à la charge de M. D... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation :

* les faits sont matériellement établis et constituent des manquements, au sens de l'article R.723-6 du code de la sécurité intérieure et de la charte nationale des sapeurs-pompiers volontaires, M. D... n'ayant par ailleurs pas contesté la matérialité des faits justifiant la décision en cause, mais uniquement fait état de prétendus agissements de harcèlement moral dont il aurait fait l'objet ;

* les griefs liés au dépôt de la plainte du 20 avril 2018 et à l'instauration d'un climat de défiance vis-à-vis de l'encadrement du centre de secours de E... figurent dans le rapport de saisine du comité consultatif départemental des sapeurs-pompiers volontaires ;

* le grief retenu concerne l'ensemble des faits dénoncés par M. D... dans le cadre de sa plainte initiée le 20 avril 2018 ;

* le caractère probant des attestations produites à l'appui de la plainte peut être remis en cause ;

* la plainte de M. D... est intervenue alors qu'un processus de médiation était en cours ;

* la circonstance que l'utilisation abusive des matériels opérationnels lors de la journée du 26 mai 2017 n'ait pas fait l'objet d'une sanction immédiate n'a pas d'incidence sur la matérialité des faits et leur qualification juridique ;

* c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les publications de M. D... sur les réseaux sociaux ne comportaient pas la divulgation de faits précis et que ce dernier n'avait pas méconnu ses obligations de réserve et de discrétion.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2023, M. D... conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du SDIS de l'A... la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le SDIS de l'A... sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la charte du sapeur-pompier volontaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lerable pour le SDIS de l'A....

Une note en délibéré, enregistrée le 24 janvier 2024, a été produite pour le SDIS de l'A....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été recruté par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'A... en qualité de sapeur-pompier volontaire le 1er juillet 2010. Il a ensuite été affecté au centre de secours de E.... Nommé au grade de sergent le 26 janvier 2013 et au grade de sergent-chef le 26 janvier 2016, il a été affecté, à sa demande, à l'état-major d'B... à compter du 1er août 2017 en raison de difficultés relationnelles avec son supérieur hiérarchique. Le 24 janvier 2018, M. D... a fait état auprès de sa hiérarchie de faits de harcèlement et de discrimination de la part du chef du centre de E.... Le 20 avril 2018, puis les 4 mai et 9 juin 2018, M. D... a déposé plainte pour " discrimination raciale " à l'encontre d'agents du SDIS dénommés et pour " harcèlement moral " à l'encontre du SDIS. Le 26 avril 2018, le requérant a demandé au président du SDIS de l'A... le bénéfice de la protection fonctionnelle, demande renouvelée le 29 octobre 2019. Par ailleurs, par un arrêté du 27 mai 2020, le président du SDIS de l'A... a décidé de ne pas renouveler l'engagement de M. D.... Le SDIS de l'A... relève appel du jugement du 6 mai 2022 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a annulé la décision du 27 mai 2020 de non-renouvellement de son engagement et mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 723-54 du code de la sécurité intérieure : " L'autorité de gestion qui ne souhaite pas renouveler l'engagement du sapeur-pompier volontaire est tenue d'en informer l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception six mois au moins avant la fin de la période quinquennale d'engagement. L'intéressé peut demander à être entendu par l'autorité de gestion et, dans les deux mois à compter de la réception de la lettre mentionnée au premier alinéa, demander que son cas soit examiné par le comité consultatif compétent, mentionné aux articles R. 723-73 et R. 723-75. Celui-ci émet son avis dans un délai de deux mois à compter de la saisine. La décision motivée de l'autorité de gestion sur le non-renouvellement de l'engagement du sapeur-pompier volontaire doit être notifiée à l'intéressé un mois au moins avant le terme de l'engagement en cours. ". Aux termes de l'article R. 723-45 du même code : " Le maintien et le renouvellement de l'engagement sont subordonnés à la vérification selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité civile, des conditions d'aptitude physique et médicale de l'intéressé correspondant aux missions qui lui sont confiées et du respect de la charte nationale du sapeur-pompier volontaire. ". Aux termes de l'article R. 723-6 du code de la sécurité intérieure : " L'engagement de sapeur-pompier volontaire est subordonné aux conditions suivantes : (...) / 4° S'engager à exercer son activité de sapeur-pompier volontaire avec obéissance, discrétion et responsabilité, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires (...) ". Aux termes de la charte nationale du sapeur-pompier volontaire, figurant à l'annexe 3 de ce code : " (...) En tant que sapeur-pompier volontaire, je ferai preuve de discrétion et de réserve dans le cadre du service et en dehors du service. Je respecterai une parfaite neutralité pendant mon service et j'agirai toujours et partout avec la plus grande honnêteté. (...) ". Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie pas d'un droit au renouvellement de son contrat. Toutefois, l'administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler que pour un motif tiré de l'intérêt du service. Un tel motif s'apprécie au regard des besoins du service ou de considérations tenant à la personne de l'agent. La circonstance que ces dernières soient par ailleurs susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ne fait pas obstacle à ce qu'une décision de non renouvellement du contrat soit légalement prise, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.

3. Le président du SDIS de l'A... a pris la décision de non-renouvellement de l'engagement de M. D..., après son audition le 25 mai 2020 par le comité consultatif départemental des sapeurs-pompiers volontaires, ce dernier ayant rendu un avis favorable à ce non-renouvellement. La décision contestée mentionne que l'intéressé a, le 26 mai 2017, utilisé du matériel du service, en l'occurence un camion-citerne rural, pour remplir la piscine de son domicile et qu'il a déposé une plainte pénale le 20 avril 2018 à l'encontre du chef du centre de secours de E... alors qu'une tentative de médiation était en cours. La décision de non-renouvellement en cause se fonde également sur l'instauration, par M. D..., d'un climat de défiance vis-à-vis de l'encadrement du centre de E..., notamment lors d'une manœuvre mensuelle en présence d'autres sapeurs-pompiers au cours du premier semestre 2017 et sur des manquements au devoir de réserve, notamment en faisant état auprès de diverses autorités administratives et politiques de ses difficultés et en évoquant sur les réseaux sociaux, les 23 novembre 2019 et 4 décembre 2019, ses difficultés en des termes particulièrement désobligeants pour l'administration à laquelle il appartient.

4. La décision contestée de non-renouvellement de l'engagement quinquennal de sapeur-pompier volontaire de M. D..., est fondée sur quatre griefs, à savoir la remise en cause publique du management du centre de secours au 1er semestre 2017, ce qui a créé un climat de défiance ; le dépôt d'une plainte contre le chef de centre le 20 avril 2018 ; l'utilisation abusive de matériels et une information erronée donnée au centre de traitement des appels, le 26 mai 2017 et, enfin, le manque de discrétion, de réserve, de neutralité et de respect, en méconnaissance de l'article R.723-6 code sécurité intérieure. A l'exception du grief tiré du dépôt d'une plainte le 20 avril 2018, qui ne figurait pas dans le rapport de saisine de la commission disciplinaire réunie le 20 mai 2020, n'a pas été discuté au fond par cette instance à laquelle l'intéressé a participé en faisant valoir ses observations et ne pouvait donc fonder la décision en cause, les trois autres griefs ont été portés devant la commission disciplinaire par l'employeur et y ont été discutés en présence de M. D....

5. Sur le premier grief, tenant au climat de défiance, aucune pièce du dossier ne permet de regarder comme établies les critiques imputées à M. D..., qu'il aurait dirigées contre l'encadrement du centre de secours de E... lors d'un rendez-vous au centre de secours de ... au premier semestre 2017 ou au cours de manœuvres mensuelles de son centre d'affectation.

6. Sur le deuxième grief, tiré de l'utilisation abusive de matériels et d'une information erronée donnée au centre de traitement des appels (CTA), le 26 mai 2017, dont la matérialité est établie par les pièces du dossier, M. D... ne conteste pas avoir utilisé le camion-citerne rural du Centre de secours pour une manœuvre avec une nouvelle recrue qui a eu pour conséquence l'obtention d'un avantage privé, ce qu'il a d'ailleurs confirmé dans un courrier au directeur adjoint du SDIS du 24 janvier 2018, qui est toutefois silencieux sur la nature et la portée de l'information alors transmise au CTA. Cet évènement isolé, qui aurait pu faire l'objet d'une procédure disciplinaire, ne peut être regardé comme un motif tiré de l'intérêt du service.

7. S'agissant du troisième et dernier grief dont était saisi la commission de discipline, tiré, en méconnaissance de l'article R.723-6 code sécurité intérieure, du manque de discrétion, de réserve, de neutralité et de respect de l'institution ou encore de dénigrement des autorités de la République sur les réseaux sociaux, il convient de relever les points suivants. La lettre datée du 23 mars 2018 adressée à un conseiller général se borne à indiquer, sans précision, des " soucis " avec le chef de centre et des témoignages sur des propos racistes. Par ailleurs, les deux publications sur les réseaux sociaux imputées à l'intéressé, l'une sur Facebook en date du 4 décembre 2019, où M. D... apparaît revêtu de sa tenue, et l'autre le 23 novembre 2019, sur un support indéterminé au spectre de diffusion inconnu, pour regrettables qu'elles étaient, ne comportaient aucune divulgation de faits précis et ne mettaient pas en cause nominativement des personnes physiques. Enfin, s'agissant précisément des manquements aux dispositions de l'article R.723-6 du code de la sécurité intérieure et à la charte nationale du sapeur-pompier volontaire, annexée au code de la sécurité intérieure, si les pièces du dossier révèlent quelques entorses au devoir de réserve, il est constant que l'intéressé est un sergent volontaire de terrain, expérimenté, et non un cadre supérieur dont la parole engage le service. A cet égard, si M. D... a déploré la décision de l'affecter en juillet 2018 au centre de Nocé, en raison de la distance entre ce centre et son domicile, il n'est pas établi par le SDIS qu'il aurait refusé de rejoindre cette unité ni qu'il aurait refusé d'exécuter les ordres de sa hiérarchie. L'intéressé verse en outre au dossier sept attestations de sapeurs-pompiers affectés au centre de E... à la même époque que M. D..., établies entre le 12 et le 19 janvier 2018, particulièrement élogieuses sur les capacités professionnelles, l'aptitude à la formation et le sens des relations humaines de M. D.... Dès lors, le grief en cause ne saurait constituer un motif de non renouvellement du contrat d'engagement tiré de l'intérêt du service.

8. Dans ces conditions, eu égard à l'ensemble des faits reprochés et établis et à la circonstance que M. D... n'est qu'un sergent volontaire dans l'organigramme du SDIS de l'A..., le président du SDIS de l'A... ne pouvait légalement, par son arrêté du 27 mai 2020 refuser de renouveler l'engagement quinquennal de sapeur-pompier volontaire de M. D....

9. Il résulte de ce qui précède que le SDIS de l'A... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision de non-renouvellement de l'engagement de M. D... du 27 mai 2020 et a mis à la charge du SDIS de l'A... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge M. D... la somme que le SDIS de l'A... réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS de l'A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'A... est rejetée.

Article 2 : Le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'A... versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à sera notifié à M. C... D... et au service départemental d'incendie et de secours de l'A....

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

Le rapporteur

F. PONS

Le Président

O. GASPON

La greffière

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02111


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02111
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : SELARL JURIADIS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;22nt02111 ?
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