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23/02/2024 | FRANCE | N°22NT01372

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 23 février 2024, 22NT01372


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 mars 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à B... G..., D... G..., à C... G... et à H... G... des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de famille d

'un réfugié.



Par un jugement n° 1804965 du 8 octobre 2021, le tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 mars 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à B... G..., D... G..., à C... G... et à H... G... des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de famille d'un réfugié.

Par un jugement n° 1804965 du 8 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 1er septembre 2022, M. A... G..., en son nom propre et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs C... et H..., ainsi que M. B... G... et Mme D... G..., représentés par

Me Leudet, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants B..., D..., C... et H... G... les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. G... et autres soutiennent que :

- en refusant de délivrer les visas sollicités au motif qu'il n'a pas été justifié d'un jugement de délégation de l'autorité parentale de la mère des enfants à son profit, la commission a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation ; il a obtenu la garde de ses quatre enfants, par un jugement du tribunal pour enfants de Kinshasa du 21 septembre 2017 ; la mère des enfants a donné son accord pour qu'ils le rejoignent en France ;

- en estimant que l'identité des demandeurs et le lien de filiation qui l'unissent à lui ne sont pas établis, la commission a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ;

- la décision contestée méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 31 mai 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement de garde produit est frauduleux ; son contenu ne permet pas de s'assurer que la mère des enfants aurait donné son consentement ;

- le jugement supplétif d'acte de naissance des enfants est irrégulier ; il a été rendu par une juridiction matériellement incompétente.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Leudet, représentant M. G... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 8 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. G... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) rejetant les demandes de visas de long séjour présentées par les jeunes J..., D... G..., C... G... et H... G... en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire. M. G... et autres relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) "

3. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, devenu l'article L. 434-3 : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur, devenu l'article L. 434-4 : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". L'article L. 411-4 du même code dispose que : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. "

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Il ressort du mémoire en défense produit en première instance par le ministre de l'intérieur que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours dont elle était saisie, sur les motifs tirés de ce que l'identité des demandeurs et les liens familiaux les unissant à M. G... ne sont pas établis, d'une part, de ce que la réunification familiale présente un caractère partiel, d'autre part, et, enfin de ce qu'il n'est pas établi que la mère des enfants aurait donné son accord pour que ces derniers rejoignent leur père en France.

7. En premier lieu, pour justifier de l'identité des demandeurs de visas et des liens de filiation qui les unissent à M. G..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 24 février 2016 par le tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete, ainsi que les actes de naissance n°s 387, 388, 389 et 390 dressés par l'officier de l'état civil de la commune de Kinshasa/Ngaba en exécution de ce jugement. Si le ministre de l'intérieur soutient que le tribunal de grande instance de Kinshasa / Matete n'était, au regard du droit congolais, pas compétent, en 2016, pour se prononcer sur l'état civil d'enfants mineurs et donc pour rendre ce jugement, la circonstance, à la supposer avérée et qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, que cette juridiction se serait méprise sur sa compétence ne permet pas, par elle-même, d'établir le caractère frauduleux de ce jugement supplétif, qui n'est pas autrement démontré par le ministre. Ce jugement établit l'identité des demandeurs de visas, ainsi que les liens de filiation les unissant à M. G... qui d'ailleurs les a déclarés, dès le dépôt de sa demande d'asile, au mois de février 2014. Par suite, en estimant que ces liens familiaux n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

8. En deuxième lieu, M. G... produit, pour la première fois en appel, un jugement de garde n° RC 3596/II rendu le 21 septembre 2017 par le tribunal pour enfants de Kinshasa/Ngaliema lui déléguant l'autorité parentale sur les enfants H..., C..., D... et B..., aux motifs que leur mère est occupée par ses voyages d'affaires et que leur grand-mère n'est plus capable de les prendre en charge. Si le ministre fait valoir qu'un autre jugement de garde, rendu le 29 septembre 2017, par le même tribunal a été produit à l'appui des demandes de visas, ce jugement a été annulé par un jugement n° R.CE. 4441/II du 5 mai 2018, versé au dossier, dont l'authenticité n'est pas contestée par le ministre de l'intérieur. D'une part, il n'apparaît pas que les noms et prénoms des enfants seraient inscrits suivant des polices d'écriture différentes dans le jugement de garde du 21 septembre 2017. D'autre part, il ressort des motifs mêmes de cette décision de justice que l'affaire a été appelée lors de l'audience publique du 19 septembre 2017 mais que la décision a été rendue à l'audience publique du 21 septembre suivant, de sorte que, par elle-même, la mention des deux dates d'audiences publiques ne constitue pas une anomalie. Enfin, si le deuxième feuillet du jugement de garde n° RC.E. 7765/II mentionne un autre numéro d'enregistrement, cette erreur purement matérielle ne permet pas de faire regarder le jugement de garde du 21 septembre 2017 comme frauduleux. Il ressort des motifs mêmes de cette décision de justice que le tribunal pour enfant de Kinshasa/Ngaliema a confié la garde des enfants H..., C..., D... et B... à M. G... au vu de la copie de la carte d'électeur de leur mère ainsi que d'un justificatif du consentement de cette dernière. La circonstance que M. G... a produit un nouveau justificatif de consentement de la mère, en date du 6 janvier 2020, revêtu d'une signature différente de celle apposée sur le justificatif de consentement au vu duquel le jugement de garde a été rendu le 2 septembre 2017 par le tribunal pour enfants de Kinshasa/Ngaliema, ne suffit pas à faire regarder ce jugement comme obtenu par fraude, ni à remettre en cause la réalité du consentement donné par la mère des enfants. Par suite, c'est à tort que la commission de recours a estimé que la mère des demandeurs de visas n'avait pas donné son accord pour qu'ils rejoignent en France M. G....

9. En troisième lieu, les raisons précédemment énoncées pour lesquelles la mère des demandeurs a délégué à son époux l'exercice de l'autorité parentale et autorisé leur départ en France constituent des motifs tenant à l'intérêt des enfants de nature à justifier le caractère partiel de la réunification familiale contestée. En estimant que le caractère partiel de la demande de réunification n'était pas justifiée, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. G... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés aux enfants H..., C..., D... et B... G.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. G... et autres de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 8 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes H..., C..., D... et B... G... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. G... et autres une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de conclusions de M. G... et autres est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G..., à M. J..., à Mme K... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 6 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLe greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01372


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01372
Date de la décision : 23/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LEUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-23;22nt01372 ?
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