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12/03/2024 | FRANCE | N°22NT03149

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 12 mars 2024, 22NT03149


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... A... et Mme H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 10 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 4 août 2021 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer à M. F... A... et aux enfants I... E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille

de réfugié.



Par un jugement n°s 2114471 et 2114477 du 4 juillet 2022, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... et Mme H... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 10 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 4 août 2021 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer à M. F... A... et aux enfants I... E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.

Par un jugement n°s 2114471 et 2114477 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Sous le n° 22NT03149, par une requête, enregistrée le 25 septembre 2022, M. F... A..., représenté par Me de Clerck, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 10 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer le visa demandé dans un délai de vingt jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me de Clerck, son avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2, L. 561-4 et L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son identité et son lien de filiation avec Mme B... sont établis par les actes d'état civil produits et par des éléments de possession d'état ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 2 septembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

II. Sous le n° 22NT03152, par une requête enregistrée le 25 septembre 2022, Mme H... B..., représentée par Me de Clerck, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 10 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux enfants I... E... A... et G... A... les visas demandés, dans un délai de vingt jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me de Clerck, son avocate, de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2, L. 561-4 et L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'identité des enfants I... E... A... et G... A... et leurs liens de filiation avec elle sont établis par les actes d'état civil produits et par des éléments de possession d'état ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 31 août 2022 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement n°s 2114471 et 2114477 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les demandes de M. A... et de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 10 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer à M. F... A... et aux enfants I... E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. M. A... et Mme B... relèvent appel de ce jugement.

2. Les requêtes n°s 22NT03149 et 22NT03152 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

3. Il ressort des termes de la décision contestée qu'elle est fondée sur ce qu'il existe des incohérences entre les déclarations de la réunifiante à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides concernant sa situation familiale et les actes d'état civil présentés pour les demandeurs de visas, sur ce que les actes de naissance des enfants I... E... A... et G... A... ont été enregistrés tardivement en novembre 2009 suivant des attestations du 16 avril 2009 non produites de rétablissement d'actes dont l'existence dans les registres disparus ou détruits a été constatée et sur ce que la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse et ne permet pas d'établir l'identité des demandeurs et partant leur lien de filiation allégué avec la réunifiante.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". En outre, aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".

6. Enfin, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

7. A l'appui de la demande de visa présentée pour M. F... A... ont été produits un passeport et une copie intégrale d'acte de naissance établie le 31 mars 2020 à partir du registre des actes de l'état civil pour l'année 2002. A l'appui des demandes de visas présentées pour les enfants I... E... A... et G... A..., ont été produits des passeports et des copies intégrales d'actes de naissance dressées le 8 mai 2020 sur la base d'une attestation du 16 avril 2009 de rétablissement d'un acte dont l'existence dans les registres disparus ou détruits a été constatée. Les actes de naissance mentionnent que le père des enfants est M. D... A... B..., lequel est en réalité le père de Mme B... et non le père des enfants. Par suite, les faits déclarés dans les actes d'état civil produits s'agissant du lien de paternité ne correspondent pas à la réalité et les actes d'état civil ne permettent dès lors pas d'établir l'identité des demandeurs de visa.

8. Toutefois, lors de son entretien à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et au cours de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, Mme B... a mentionné à plusieurs reprises ses quatre enfants, dont l'aîné a été assassiné en 2011 lors des évènements qui l'ont contrainte à fuir la Côte d'Ivoire. L'intéressée a également mentionné que ses trois autres enfants avaient été secourus par une amie, laquelle l'avait également aidée à rejoindre le Mali. Le récit de Mme B... a été jugé suffisamment crédible pour que le statut de réfugié lui soit reconnu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 31 décembre 2019. Il est en outre corroboré par la circonstance que Mme B... envoie régulièrement de l'argent à M. C..., lequel est l'époux de l'amie de l'intéressée qui lui a porté secours en 2011, le couple ayant ensuite recueilli et pris en charge les enfants de l'intéressée depuis son départ de Côte d'Ivoire et à M. F... A..., son fils aîné survivant, depuis qu'il est majeur. Il ressort encore des pièces du dossier que Mme B... a déclaré de manière constante dans le formulaire de demande d'asile, lors de son entretien à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et dans sa fiche familiale de référence, d'une part, que ses quatre enfants sont nés d'un père qui ne les a pas reconnus alors qu'elle était étudiante et vivait chez son propre père, d'autre part, que c'est ce dernier qui a procédé aux déclarations des naissances à l'état civil et, enfin, que les enfants portent le nom de celui-ci. Les déclarations de Mme B... sont corroborées par les mentions portées sur les copies d'actes de naissance. Dans ces conditions, l'identité des demandeurs et leurs liens familiaux avec Mme B... doivent être regardés comme étant établis par des éléments de possession d'état.

9. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que M. A... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la décision du 10 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer à M. F... A... et aux enfants I... E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à M. F... A..., à Mme I... E... A... et à l'enfant G... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ces visas aux intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. M. A... et Mme B... ont tous deux obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me de Clerck de la somme de 1 000 euros hors taxe, dont 500 euros au titre de M. A... et 500 euros au titre de Mme B... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°s 2114471 et 2114477 du 4 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 10 novembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. F... A..., à Mme I... E... A... et à l'enfant G... A... les visas d'entrée et de long séjour demandés, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me de Clerck la somme de 1000 euros hors taxe, dont 500 euros au titre de M. A... et 500 euros au titre de Mme B..., en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., à Mme H... B..., à Mme I... E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 22NT03149, 22NT03152


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03149
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : DE CLERCK

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22nt03149 ?
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