La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2024 | FRANCE | N°23NT02632

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 16 avril 2024, 23NT02632


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du

17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et l'a informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-a

dmission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du

17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et l'a informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.

Par un jugement n° 2310667 du 2 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 17 juillet 2023 et a enjoint au préfet de la Sarthe de procéder au réexamen de la situation de M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er septembre 2023, le préfet de la Sarthe demande à la cour d'annuler ce jugement.

Le préfet soutient que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai ne porte pas atteinte au droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2023, M. D..., représenté par

Me Lelong, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Sarthe lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et l'a informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux

fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, assortie d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ; à défaut, d'enjoindre au préfet de la Sarthe, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, injonction assortie d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le signataire de l'arrêté ne dispose pas d'une délégation de compétence ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté porte atteinte au droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- l'arrêté attaqué méconnait le 7° de l'article L. 313-11, de l'article L. 511-1 et L. 511-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Viéville a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 17 juillet 2023, le préfet de la Sarthe a obligé M. D..., ressortissant marocain, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination vers lequel il pourra être reconduit d'office à l'expiration de ce délai, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et l'a informé de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour. Par un jugement du 2 août 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté. Le préfet relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Pour annuler l'arrêté contesté, le magistrat désigné a estimé que l'obligation de quitter le territoire sans délai prononcée par le préfet de la Sarthe portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D... et qu'il ne représentait pas une menace à l'ordre public. Cependant, si l'intéressé se prévaut d'une relation amoureuse avec une ressortissante française, Mme B..., depuis le 22 décembre 2022, l'attestation produite n'est pas de nature à établir la réalité et l'ancienneté de cette relation alors que le préfet fait valoir que

Mme B... réside à Yerres dans le département de l'Essonne, soit à plus de 175 kilomètres du domicile déclaré à La Ferté-Bernard par M. D... et que ce dernier n'a reçu aucune visite de sa compagne alléguée lors de son incarcération. Par ailleurs, si M. D... se prévaut d'attestations de son frère, de sa belle-sœur, de trois de ses tantes, et de cousins se déclarant tous prêts à l'héberger, il ressort des pièces du dossier que ses proches résident tous à Alençon alors que M. D... a été condamné le 29 mars 2023 par le tribunal judiciaire d'Alençon à une interdiction de séjour sur le territoire de cette commune pour une durée de cinq ans. En outre, les attestations produites tant en première instance qu'en appel ne permettent pas d'établir la réalité des relations que M. D... dit entretenir avec les membres de sa famille. M. D... n'a pas justifié avoir suivi un enseignement, passé un diplôme ou même travaillé durant sa période d'incarcération, le contrat de travail à durée indéterminée produit n'étant pas signé et aucune fiche de paie n'ayant été produite. Enfin, l'intéressé, entré en France en 2018 a été condamné le 4 décembre 2019 à une peine de 300 euros d'amende pour des faits de " conduite d'un véhicule sans permis " puis le 8 juin 2021 à une peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de " conduite d'un véhicule sans permis " en récidive et enfin le 29 mars 2023 à une peine de trente mois d'emprisonnement assortie d'une interdiction de séjour dans la commune d'Alençon pour une durée de cinq ans pour des faits de " détention non autorisée de stupéfiants ", " offre ou cession non autorisée de stupéfiants ", " acquisition non autorisée de stupéfiants " et " usage illicite de stupéfiants ". Par suite, eu égard à la nature des relations de M. D... sur le territoire français et au regard de la menace qu'il représente pour l'ordre public, le préfet est fondé à soutenir que l'arrêté contesté du 17 juillet 2023 ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par le stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes et la cour.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme E... A..., directrice de cabinet du préfet de la Sarthe. Par un arrêté du 19 avril 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de cette préfecture le même jour, le préfet de ce département a donné délégation à M. F... à l'effet de signer notamment les décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi et, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, notamment à Mme A.... Il ne ressort pas du dossier que M. F... n'aurait pas été absent ou empêché. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cet arrêté manque en fait.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police [...] ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

7. La décision portant obligation de quitter le territoire français vise les dispositions dont l'autorité administrative a entendu faire application, rappelle la situation pénale et administrative de l'intéressé, relate les conditions d'entrée sur le territoire de M. D..., expose les raisons pour lesquelles la mesure d'obligation de quitter le territoire ne porte pas atteinte aux droits protégés par les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ainsi, cette décision mentionne les circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée, contrairement à ce que soutient M. D....

8. En troisième lieu, alors qu'il est constant que M. D... n'a jamais présenté de demande de délivrance d'un titre de séjour avant l'édiction de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire et n'a jamais donné suite aux demandes de renseignements qui lui ont été adressées par la préfecture durant sa période de détention, M. D... ne peut utilement se prévaloir de ce que la décision portant obligation quitter le territoire français méconnait les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenues L. 423-23 du même code.

9. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs qu'exposés au point 3, les moyens tirés de la violation du droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. D... doivent être écartés.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;(...) ". Ainsi qu'il a été dit au point 3, le comportement de M. D..., marqué par trois condamnations pénales depuis son entrée sur le territoire français, constitue une menace à l'ordre public. Par suite, le préfet a pu légalement refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'intéressé.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 613-3 du code de l'entrée et du séjour des étranger set du droit d'asile : " (...) Lorsque le délai de départ volontaire n'a pas été accordé, l'étranger est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. " et aux termes de l'article L. 613-4 du même code : " L'étranger auquel est notifiée une décision portant obligation de quitter le territoire français est également informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments, traduits dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des décisions qui lui sont notifiées en application des chapitres I et II. ". Les conditions dans lesquelles sont notifiées les décisions administratives sont, en elles-mêmes, sans incidence sur leur légalité. Par suite, M. D... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions précitées à l'encontre de la décision contestée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Sarthe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 17 juillet 2023. Par voie de conséquence, les conclusions de

M. D... présentées devant la cour aux fins d'injonction et celles relatives aux frais du litige doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 17 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que les conclusions aux fins d'injonction et de mise à la charge de l'Etat des frais liés au litige présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre- mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray président-assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

Le rapporteur

S. VIÉVILLELe président de chambre

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT0263202


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02632
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : LELONG

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23nt02632 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award