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25/04/1996 | FRANCE | N°94PA02004

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2e chambre, 25 avril 1996, 94PA02004


(2ème Chambre)
VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 14 décembre 1994 et le 17 février 1995, présentés pour M. Thierry Y... et pour Mme Y... agissant au nom de son fils Thierry ; ils demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 septembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à déclarer l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime M. Thierry Y... le 3 février 1980 en agglomération de Crécy-la-Chapelle, condamner le ministre de l'

quipement, des transports et du tourisme à verser à M. Y... la somme de ...

(2ème Chambre)
VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la cour le 14 décembre 1994 et le 17 février 1995, présentés pour M. Thierry Y... et pour Mme Y... agissant au nom de son fils Thierry ; ils demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 septembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à déclarer l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'accident dont a été victime M. Thierry Y... le 3 février 1980 en agglomération de Crécy-la-Chapelle, condamner le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme à verser à M. Y... la somme de 3.464.000 F ainsi qu'une rente annuelle de 412.070,40 F en réparation du préjudice subi et à Mme Y... la somme de 100.000 F au titre du préjudice moral, condamner l'Etat au paiement des frais irrépétibles ;
2°) de condamner l'Etat à payer à Mme Y... en sa qualité de curatrice de son fils Thierry la somme de 2.952.000 F sous forme de capital ainsi qu'une rente annuelle de 515.088 F ou bien aux lieu et place de cette rente un capital de 6.988.199 F au titre de son préjudice soumis à recours, et la somme de 1.100.000 F au titre de son préjudice personnel, avec les intérêts de droit à compter du 11 janvier 1989 et la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à payer à Mme Y... pour elle-même 100.000 F en réparation de son préjudice moral avec les intérêts à compter de la même date et la capitalisation des intérêts ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la sécurité sociale ;
VU le code civil ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 avril 1996 :
- le rapport de Mme HEERS, conseiller,
- les observations du cabinet ANDRE, avocat, pour Mme Y...,
- et les conclusions de Mme BRIN, commissaire du Gouvernement ;

Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accident dont a été victime M. Y..., qui circulait à cyclomoteur sur la route nationale 34 dans la traversée de Crécy-la-Chapelle en direction de Paris et a percuté un platane, a été causé par la présence d'une nappe d'eau de 6,75 m de long ; que le rapport de gendarmerie établi après l'accident justifie suffisamment, contrairement à ce que soutient le ministre, le lien de cause à effet entre la présence de la nappe sur la route et l'accident, alors qu'aucune autre pièce versée au dossier ne permet d'infirmer la causalité qu'il envisage ; que si le rapport qualifie de "légères" les dénivellations de la chaussée occasionnées par la nappe d'eau, le ministre à qui appartient la preuve de l'entretien normal, n'établit nullement, en tout état de cause, qu'elles ne dépassaient pas 7 cm, comme il doit être regardé l'alléguer au regard du précédent jurisprudentiel dont il se prévaut, alors du reste que l'accident n'est pas survenu à un automobiliste mais à un cyclomotoriste tenu de rouler à l'extrême droite de la chaussée, où les nappes d'eau se constituaient, compte tenu de l'intense circulation en direction de Paris un dimanche soir ; que contrairement à ce que soutient encore le ministre il n'est nullement établi que la victime ne portait pas son casque ou ne le portait pas attaché ; que par ailleurs il résulte des témoignages de deux personnes demeurant à proximité immédiate des lieux de l'accident qu'antérieurement à celui-ci de nombreuses formations de flaques sur la route nationale 34 se produisaient dans la traversée de Crécy-la-Chapelle et qu'il n'a été remédié à cet état de fait par des travaux de réfection de la voie qu'après l'accident ; que la circonstance que ces témoignages aient été produits en cours d'instance plusieurs années après l'accident n'est pas de nature à les priver, au regard de ce qu'ils allèguent, de force probante ; qu'il résulte de tout ce qui précède que la nappe non signalée à l'origine de l'accident constituait un défaut d'entretien normal de la voie ; que sous réserve d'action récursoire de l'Etat contre la commune au titre du défaut de signalisation, s'il s'y croit fondé, M. Y... est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat qui n'apporte pas la preuve qui lui incombe de ce que l'ouvrage était normalement entretenu ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif a jugé qu'il "n'est pas établi par les pièces du dossier que la nappe d'eau de 6,75 m de long qui aurait été à l'origine de l'accident ait été imputable à une défectuosité de la chaussée non signalée aux usagers et relevant d'un mauvais entretien de la chaussée" ; qu'il y a lieu toutefois pour la cour saisie par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par l'Etat en première instance et en appel ;
Considérant que si, comme il a été dit, l'accident est imputable à un défaut d'entretien normal de la voie, il résulte de l'instruction qu'il l'est également, alors même qu'il n'est pas établi que la victime circulait à plus de 60 km/h, vitesse normalement maximale du cyclomoteur, au défaut de maîtrise de son véhicule par M. Y... qui circulait de nuit et par temps de pluie sur une route dont il ne pouvait ignorer les risques ; qu'il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues en laissant à la charge de M. Y... la moitié des conséquences dommageables de l'accident ;

Considérant que le docteur X..., expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, a fixé au 11 juin 1987 la date de consolidation en s'appropriant l'avis du médecin ayant établi le certificat de consolidation à ladite date ;
Considérant qu'eu égard notamment aux modalités d'évolution des lésions physiques et mentales consécutives aux traumatismes crâniens de la nature de celui dont est atteint M. Y..., le ministre n'établit pas que, contrairement à ce qu'ont estimé ces deux praticiens, la consolidation aurait été acquise à une date antérieure telle que la prescription aurait été encourue au 1er janvier 1987, en se prévalant pour l'essentiel de ce que l'accident est survenu en 1980 et de ce que la caisse primaire d'assurance maladie a réclamé ses débours en 1981 ; qu'il n'y a pas lieu non plus d'ordonner une contre-expertise, comme il le demande en outre ;
Sur le préjudice :
Sur les demandes de Mme Y... agissant en qualité de curatrice de M. Y... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne :
Considérant que les prestations d'un montant justifié et non contesté de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne s'élèvent à 578.062 F ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à indemnisation séparée de l'incapacité totale temporaire indépendamment des chefs de préjudice de Thierry Y... sur lesquels il va être ci-après statué ;
Considérant que l'ensemble des graves séquelles physiologiques et psychologiques retenues par l'expert en ce qui concerne la vue, les privations sensorielles diverses, l'obésité, les séquelles motrices et les pertes fonctionnelles, la mobilité, l'atteinte aux facultés intellectuelles et les troubles psychologiques génèrent une incapacité permanente partielle de 90 % ; qu'il est suffisamment établi que Thierry Y... justifie de l'aide d'une tierce personne pour certains au moins des actes essentiels de l'existence ; qu'il l'est également que ses possibilités d'activités professionnelle sont de fait très gravement voire définitivement compromises ; que son handicap entraîne encore de très graves conséquences sur ses possibilités de relations sexuelles et affectives ; qu'il se trouve de fait privé des activités de loisir intellectuelles et sportives qui étaient les siennes auparavant ; que compte tenu de son âge au moment de l'accident (15 ans), il sera fait dans ces conditions une juste appréciation des troubles de toute nature subis par M. Y... dans ses conditions d'existence en évaluant le préjudice global à 2,8 millions sans qu'il y ait lieu à indemnisation supplémentaire et spécifique sous forme de rente du besoin d'assistance d'une tierce personne ; que sur cette somme 60 %, soit 1.680.000 F, réparent les troubles physiologiques, le surplus les troubles extra-physiologiques ;

Considérant que le pretium doloris a été, compte tenu notamment du nombre d'opérations subies et la durée de l'incapacité temporaire totale, qualifié d'assez important par l'expert dont les conclusions ne sont pas infirmées par les contestations de M. Y... ; que le préjudice esthétique, distinct de ceux pris en compte au titre des troubles dans les conditions d'existence, a été qualifié par l'expert d'assez important, mais peut être regardé comme important ; qu'il y a lieu de fixer le préjudice global pour ces deux chefs confondus à 150.000 F ;
Considérant que M. Y... justifie de l'acquisition de divers matériels indispensables à sa prise en charge à domicile et non pris en compte par des prestations légales d'assurance maladie ; que si les factures n'ont été produites que pour certains, le renouvellement en apparaît inéluctable ; qu'il y a lieu de fixer à 60.000 F le préjudice de ce chef ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice de M. Y... s'établit à 3.588.062 F ; que compte tenu du partage de responsabilité l'indemnité dont il peut bénéficier est de 1.794.031 F ; qu'il résulte de ce qui précède que sur cette somme doivent s'imputer les débours de la caisse primaire d'assurance maladie, soit 578.062 F ; qu'ainsi l'indemnité à allouer à M. Y... s'établit à 1.215.969 F ;
Sur les droits de Mme Y... :
Considérant que le "préjudice moral" dont l'indemnisation est seule demandée doit être entendu comme celui résultant tant des troubles dans les conditions d'existence que de la douleur morale ; que ces préjudices tant actuels que futurs et non éventuels sont d'autant plus sérieux que Mme Y... a la charge de son fils et qu'il n'est pas envisagé un placement en institution spécialisée ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs confondus en fixant conformément aux conclusions de la requérante le préjudice global à 100.000 F et compte tenu du partage de responsabilité l'indemnité allouée à Mme Y... à 50.000 F ;
Sur les intérêts et la capitalisation :
Considérant que les intérêts sont demandés à compter de la date de la demande au tribunal admi-nistratif ; qu'il y a lieu conformément aux dispositions de l'article 1153 du code civil de faire droit à cette demande dans la limite des conclusions ; que la capitalisation a été demandée le 14 décembre 1994 ; qu'à cette date il était dû plus d'une année d'intérêts et qu'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles doivent être mis à la charge de l'Etat ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 14 septembre 1994 est annulé.
Article 2 : L'Etat paiera à Mme Y... en qualité de curatrice de son fils Thierry Y... une somme de 1.215.969 F.
Article 3 : L'Etat paiera à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 578.062 F.
Article 4 : L'Etat paiera à Mme Y... 50.000 F.
Article 5 : Les sommes allouées aux articles 2 et 4 porteront intérêts à compter du 11 janvier 1989, ces intérêts seront capitalisés le 14 décembre 1994 pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 6 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles sont mis à la charge de l'Etat.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 94PA02004
Date de la décision : 25/04/1996
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COMPTABILITE PUBLIQUE - DETTES DES COLLECTIVITES PUBLIQUES - PRESCRIPTION QUADRIENNALE - REGIME DE LA LOI DU 31 DECEMBRE 1968 - POINT DE DEPART DU DELAI.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - TROUBLES DANS LES CONDITIONS D'EXISTENCE - TROUBLES DANS LES CONDITIONS D'EXISTENCE SUBIS PAR LA VICTIME D'UN ACCIDENT.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MORAL - DOULEUR MORALE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE ESTHETIQUE.

TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - LIEN DE CAUSALITE - EXISTENCE.

TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - CAUSES D'EXONERATION - FAUTE DE LA VICTIME - EXISTENCE D'UNE FAUTE.

TRAVAUX PUBLICS - DIFFERENTES CATEGORIES DE DOMMAGES - DOMMAGES SUR LES VOIES PUBLIQUES TERRESTRES - DEFAUT D'ENTRETIEN NORMAL - CHAUSSEE.

TRAVAUX PUBLICS - DIFFERENTES CATEGORIES DE DOMMAGES - DOMMAGES SUR LES VOIES PUBLIQUES TERRESTRES - DEFAUT D'ENTRETIEN NORMAL - SIGNALISATION.


Références :

Code civil 1153, 1154


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme HEERS
Rapporteur public ?: Mme BRIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1996-04-25;94pa02004 ?
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