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11/07/2007 | FRANCE | N°06PA00631

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 11 juillet 2007, 06PA00631


Vu la requête, enregistrée le 17 février 2006, présentée pour l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK, dont le siège est 7 rue Adolf Mille à Paris (75019), par la SCPA Deprez Dian Guinot ; l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0315707 / 0423140 du 16 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des liberté

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Vu la requête, enregistrée le 17 février 2006, présentée pour l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK, dont le siège est 7 rue Adolf Mille à Paris (75019), par la SCPA Deprez Dian Guinot ; l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0315707 / 0423140 du 16 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et le ministre de l'agriculture lui ont refusé l'agrément nécessaire à l'habilitation de sacrificateurs pour pratiquer des abattages rituels, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre chargé des cultes de proposer un tel agrément au ministre de l'agriculture, ou, à titre subsidiaire de réexaminer ses demandes ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les dites décisions de refus d'agrément ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice des communautés européennes, en application des dispositions de l'article 234 du Traité des communautés européennes ;

……………………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, modifié par l'acte unique européen signé les 17 et 28 février 1986 et le traité sur l'Union Européenne signé le 7 février 1992 ;

Vu le code rural ;

Vu la loi du 1er juillet 1901 modifiée, relative au contrat d'association ;

Vu la loi du 9 décembre 1905 modifiée, concernant la séparation des Églises et de l'État ;

Vu l'arrêté du ministre de l'agriculture, en date du 1er juillet 1982, portant agrément d'un organisme religieux habilitant des sacrificateurs rituels ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 juin 2007 :

- le rapport de M. Bernardin, rapporteur,

- et les conclusions de M. Coiffet, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, le jugement contesté est suffisamment motivé ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 214-75 du code rural : « Sous réserve des dispositions du troisième alinéa du présent article, l'abattage rituel ne peut être effectué que par des sacrificateurs habilités par les organismes religieux agréés, sur proposition du ministre de l'intérieur, par le ministre chargé de l'agriculture. Les organismes agréés mentionnés à l'alinéa précédent doivent faire connaître au ministre chargé de l'agriculture le nom des personnes habilitées et de celles auxquelles l'habilitation a été retirée. Si aucun organisme religieux n'a été agréé, le préfet du département dans lequel est situé l'abattoir utilisé pour l'abattage rituel peut accorder des autorisations individuelles sur demande motivée des intéressés. Les sacrificateurs doivent être en mesure de justifier de cette habilitation aux agents mentionnés aux articles L. 214-19 et L. 214-20 » ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant que l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK soutient qu'en lui refusant l'agrément nécessaire à l'habilitation de ses propres sacrificateurs pour pratiquer l'abattage rituel, et en délivrant cet agrément à la seule Association consistoriale israélite de Paris, l'administration a méconnu les principes de liberté de religion et de non discrimination garantis par les article 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; que l'article 14 de cette convention stipule : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute situation » ;

Considérant que si l'abattage rituel relève du droit de manifester sa religion par l'accomplissement des rites, garanti par les stipulations sus rappelées de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en accordant par son arrêté du 1er juillet 1982, le bénéfice de l'agrément à la commission rabbinique intercommunautaire, le ministre de l'agriculture n'a nullement porté atteinte à la liberté pour les fidèles se réclamant de l'association requérante de manifester leur religion ; que, par ailleurs, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces derniers ne peuvent pas se procurer de la viande répondant à leur pratique religieuse, en recourant à des sacrificateurs habilités par la commission rabbinique intercommunautaire, les refus d'agrément qui ont été opposés à l'association requérante ne constituent pas une ingérence dans le droit de ses adhérents à la liberté de manifester leur religion ; qu'enfin, en refusant l'agrément sollicité sur le fondement d'une réglementation prévue par la loi et qui poursuit les buts légitimes de protection de la santé et de l'ordre publics, et eu égard à la marge d'appréciation qui est laissée aux États en matière d'organisation des l'exercice des cultes, l'administration n'a pas pris une mesure excessive ou disproportionnée ;

Considérant qu'à supposer même que l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK serait dans une situation identique à l'Association consistoriale israélite de Paris, eu égard à l'effet limité sus rappelé des refus opposés à l'association requérante, la différence de traitement dont l'association requérante se dit être victime, à savoir les refus d'agrément, qui en résulte, est de faible portée ; qu'ainsi, dès lors que ces refus poursuivent un but légitime, et qu'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, cette différence de traitement qui trouve en l'espèce une justification objective et raisonnable, est compatible avec les stipulations sus rappelées des articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du droit communautaire :

Considérant que l'association soutient qu'en attribuant un monopole de fait au bénéfice de l'Association consistoriale israélite de Paris en matière d'habilitation des sacrificateurs rituels, l'Etat français méconnaît les principes communautaires de libre concurrence, d'égalité de traitement et de confiance légitime qu'il est tenu de respecter ;

Considérant, en premier lieu, que les principes de libre concurrence et d'égalité de traitement n'interdisent pas aux États de mettre en place des régles ayant pour objectif premier la préservation de la santé publique et la protection du consommateur ; qu'ainsi, l'État français pouvait sans méconnaître lesdits principes mettre en oeuvre les procédures prévues par les dispositions précitées de l'article R. 214-75 du code rural, dès lors que celles-ci ne visent qu'à encadrer la pratique de l'abattage rituel et non à en empêcher son exercice ;

Considérant, en second lieu, qu'à supposer même que l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK ait entendu se prévaloir du principe de confiance légitime, ce moyen n'est assorti d'aucune précision de nature à permettre de statuer sur son bien-fondé ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du droit interne :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 susvisée : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » ; qu'aux termes de l'article 18 de cette même loi : « Les associations formées pour subvenir aux frais, à l'entretien et à l'exercice public d'un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre 1er de la loi du 1er juillet 1901 » ; que l'article 19 de cette loi précise : « Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte (...) » ; qu'il résulte de ces dispositions, que les associations revendiquant le statut d'association cultuelle doivent avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte ;

Considérant, en premier lieu que, contrairement à ce que soutient l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK, les refus de lui délivrer l'agrément aux fins d'habilitation de sacrificateurs pour la pratique des abattages rituels ne sont pas fondés sur le fait qu'elle aurait recours à des sacrificateurs qui porteraient une atteinte à l'ordre public ou à la santé publique, mais uniquement sur l'impossibilité pour l'association de justifier de son caractère essentiellement religieux au sens des dispositions de l'article R. 214-75 code rural et d'une audience suffisamment importante au sein de la communauté juive ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en raison de l'effet limité des refus qui lui ont été opposés, de la légitimité du but poursuivi, et du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK, n'est pas fondée à soutenir que lesdits refus méconnaissent les dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 ;

Considérant, en troisième lieu, que si le ministre de l'agriculture a, par son arrêté susvisé du 1er juillet 1982, attribué à la seule commission rabbinique intercommunautaire l'agrément prévu par les dispositions de l'article R. 214-75 du code rural, il ressort des pièces du dossier que cette commission, qui émane du Consistoire central lequel regroupe l'ensemble des principales Associations cultuelles israélites de France, représente la quasi totalité des fidèles pratiquant dans ce pays, la religion juive, selon des rites divers ; que l'association requérante ne justifie pas, par les nouveaux éléments dont elle fait état, lesquels sont, pour la plupart postérieurs aux refus qui lui ont été opposés, que la commission rabbinique intercommunautaire n'était pas représentative, à la date des décisions attaquées, d'une forte majorité de fidèles de la religion en cause ; que, dans ces conditions, en refusant d'accorder à l'association requérante l'agrément qu'elle demandait, les ministres de l'intérieur et de l'agriculture qui n'ont fait qu'user des pouvoirs qui leur ont été conférés par les dispositions précitées afin que l'abattage rituel des animaux soit effectué dans des conditions conformes à l'ordre public, à la salubrité et au respect des libertés publiques, ne se sont pas immiscés dans le fonctionnement d'un organisme religieux, et n'ont pas méconnu le principe de neutralité ;

Considérant qu'il résulte de ce tout qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice des communautés européennes, ni d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée, que l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions implicites du ministre de l'agriculture et de la pêche lui ayant refusé l'agrément nécessaire à la désignation de sacrificateurs habilités à pratiquer des abattages rituels ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme comme le demande l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que par suite, les conclusions présentées à ce titre par l'association doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'ASSOCIATION CULTUELLE ISRAELITE CHA'ARE HA SHALOM VE HATSEDEK est rejetée.

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N° 06PA00631


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 06PA00631
Date de la décision : 11/07/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MOREAU
Rapporteur ?: M. André-Guy BERNARDIN
Rapporteur public ?: M. COIFFET
Avocat(s) : MUGERIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2007-07-11;06pa00631 ?
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