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12/11/2009 | FRANCE | N°08PA04569

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 12 novembre 2009, 08PA04569


Vu la requête et le mémoire, enregistrés les 1er septembre 2008 et 16 octobre 2009, présentés pour M. A, demeurant ..., par Me Saget-Jolivière ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0305639/6-1 en date du 30 mai 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 184 800 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son épouse le 25 août 2002 à l'hôpital la Pitié Salpêtrière, d'autre part, à ce que soit mise

la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 4 000 euros a...

Vu la requête et le mémoire, enregistrés les 1er septembre 2008 et 16 octobre 2009, présentés pour M. A, demeurant ..., par Me Saget-Jolivière ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0305639/6-1 en date du 30 mai 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 184 800 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son épouse le 25 août 2002 à l'hôpital la Pitié Salpêtrière, d'autre part, à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 22 janvier 2003 opposée par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à son recours préalable indemnitaire ;

3°) dire et juger que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a commis des fautes à l'encontre de Mme Marie-Josèphe B épouse C lors de son admission à l'hôpital la Pitié-Salpêtrière dans l'organisation et le fonctionnement du service d'accueil des urgences, dans l'administration des soins et traitements médicaux et par inexécution de son obligation d'information prévue par les dispositions du code de la santé publique ;

4°) dire et juger que ces fautes sont causées par la survenance du dommage principal, le décès de son épouse, en la privant de 80% de chance de survie ;

5°) de fixer l'indemnisation des préjudices subis par son épouse au titre de son préjudice moral à 10 000 euros et condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser cette somme en sa qualité d'ayant droit ;

6°) de fixer l'indemnisation des préjudices subis par son épouse au titre des souffrances endurées à 10 000 euros et condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser cette somme en sa qualité d'ayant droit ;

7°) de fixer l'indemnisation du préjudice subi par son épouse du fait de son décès à 10 000 euros ;

8°) d'évaluer la perte de chance de survie à 80% et condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser en sa qualité d'ayant droit une somme de 80 000 euros ;

9°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du défaut d'information et des vexations endurées ;

10°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 38 200 euros au titre de son préjudice moral, à laquelle s'ajoute une somme de 18 000 euros au titre de son préjudice économique ; l'ensemble de ces sommes portant intérêt ;

11°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 octobre 2009 :

- le rapport de M. Treyssac, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Odin, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant que le 24 août 2002, Mme C, souffrant d'asthénie, de difficultés à la marche, de dyspnée et de douleurs thoraciques rétrosternales, s'est rendue au service des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, établissement relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; qu'elle a été prise en charge par l'interne du service qui a conclu dans un premier temps à un problème de reins et de foie justifiant son hospitalisation pour la nuit ; que pendant la soirée, Mme C a subi un électrocardiogramme, un effet shunt aux gaz du sang et un écho doppler, à la suite desquels le diagnostic de thrombose veineuse profonde du membre inférieur droit avec embolie pulmonaire probable a été posé ; que dès lors, un traitement anticoagulant a été administré à l'intéressée et un angioscanner a été prescrit pour le lendemain ; que le 25 août, Mme C, dont le lit avait été redressé pour déjeuner, a été victime d'une embolie pulmonaire massive suivie d'un arrêt cardiaque ; qu'elle a alors été transférée en réanimation où une thrombolyse par Actilyse a été pratiquée sans succès ; que malgré les manoeuvres de réanimation effectuées, Mme C est décédée à 14h50 ; que M. A a saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins de voir condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à réparer les préjudices subis du fait du décès de son épouse ; que, dans le même temps, il a également saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation d'Ile-de-France, qui après avoir ordonné deux expertises, a rendu un avis concluant à l'existence d'une faute et à la suite duquel l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'a pas fait d'offre dans le délai de quatre mois ; qu'ainsi, en application de l'article L. 1142-15 dudit code, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux s'est substitué à cette dernière pour indemniser M. A et ses enfants et a demandé au tribunal, en qualité de subrogée, dans les droits des consorts A, le remboursement partiel des sommes versées ; que la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe a également demandé au tribunal le remboursement de ses débours ; que M. A relève régulièrement appel du jugement en date du 30 mai 2008 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à l'indemniser du décès de son épouse ;

Sur la fin de non recevoir opposée par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a reçu, le 5 juin 2008, notification du jugement attaqué ; qu'il a adressé sa requête au greffe de la cour le 1er septembre 2008, soit dans le délai de trois mois imparti à l'intéressé, résidant en Guadeloupe, pour interjeter appel, conformément aux dispositions combinées des articles R. 421-7 et R. 811-5 alinéa 1er du code de justice administrative ; que, par suite, la requête n'est pas tardive ;

Sur la régularité du jugement :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 623-1 du code de justice administrative : La juridiction peut, soit sur la demande des parties, soit d'office, prescrire une enquête sur les faits dont la constatation paraît utile à l'instruction ; qu'aux termes de l'article R. 623-5 du même code chaque témoin, avant d'être entendu, (...), fait, à peine de nullité de son témoignage, le serment de dire la vérité et seules les personnes qui sont frappées d'une incapacité de témoigner en justice (...) peuvent être entendues (...) dans les mêmes conditions, mais sans prestation de serment ; que l'article R. 623-6 du même code précise que Si l'enquête a lieu en audience, il est dressé un procès-verbal de l'audition des témoins. Ce procès-verbal est visé par le président de la formation de jugement et versé au dossier ;

Considérant que le Tribunal administratif de Paris a, en application des articles R. 623-1 et suivants du code de justice administrative, ordonné d'office une enquête à la barre aux fins de recueillir le témoignage du professeur D, chef du service d'accueil des urgences de l'hôpital la Pitié-Salpêtrière ; qu'il ne ressort pas des mentions du procès-verbal d'enquête, au demeurant non visé par le président de la formation de jugement, que le professeur D, unique témoin, ait prêté serment avant d'être entendu ; que l'enquête est ainsi entachée d'irrégularité ;

Considérant au surplus que cette enquête, qui s'est déroulée le 24 avril 2008, avait pour but de répondre à un certain nombre de questions concernant le niveau de gravité de l'embolie pulmonaire, la difficulté de poser un bon diagnostic, l'évolution de l'embolie et sa prévisibilité, le rapport bénéfices/risques des investigations et traitements complémentaires et le montant de l'éventuel pourcentage de perte de chance ; qu'ainsi ladite enquête ne portait pas uniquement sur des faits dont il s'agissait de vérifier l'existence et dont la constatation aurait été utile à l'instruction de l'affaire, mais tendait à apporter des réponses à des questions insuffisamment résolues par les expertises ordonnées dans le cadre de cette affaire et auxquelles il ne pouvait être répondu que dans le cadre d'une nouvelle expertise ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué, intervenu au vu des résultats de l'enquête à la barre, a été rendu sur une procédure irrégulière et doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées devant le Tribunal administratif de Paris ;

Sur la responsabilité :

Considérant, en premier lieu, qu'il ne ressort ni des rapports d'expertise ni de la main courante remplie lors de l'admission de Mme C à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, que cette dernière aurait fait état dès son admission de douleurs thoraciques ou d'un antécédent d'embolie pulmonaire, ce qui aurait justifié qu'elle soit orientée vers un circuit court de moins d'une heure pour être présentée à un médecin ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la réalisation d'un électrocardiogramme à 18h11, que Mme C, arrivée à l'hôpital à 16h05, a été examinée par l'interne de garde aux environs de 18h ; qu'aucun retard fautif dans sa prise en charge ne peut donc être retenu de ce chef ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aucun défaut de surveillance médicale de Mme C au cours de la nuit du 24 au 25 août 2002 ne ressort des pièces du dossier ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aucun des rapports d'expertise ne retient le redressement de Mme C dans son lit pour déjeuner le 25 août 2002 comme fautif au regard des consignes de strict repos au lit ou de l'état de la patiente ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur E, qu'aucune faute médicale n'est à retenir dans la réalisation des opérations de transfusion sanguine lors des manoeuvres de réanimation ;

Considérant cependant que les pièces du dossier, et notamment les rapports d'expertise des docteurs F et E, ne permettent pas à la cour de se prononcer, d'une part, sur le caractère tardif du diagnostic d'embolie pulmonaire, sur le caractère approprié de la mise en place d'un traitement anticoagulant dans les conditions dans lesquelles elle a eu lieu et si une mise en place plus précoce dudit traitement aurait permis d'éviter une perte de chance quantifiable d'une récidive fatale de l'embolie pulmonaire, d'autre part, sur une éventuelle sous estimation de la gravité de l'embolie, sur la nécessité ou non d'ordonner des examens complémentaires tels qu'angioscanner ou échographie cardiaque et sur l'efficacité possible d'une thrombolyse ou d'une embolectomie au cas d'espèce ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, d'ordonner une expertise complémentaire ; que l'expert aura pour mission de se faire communiquer l'entier dossier médical de Mme C, de dire si, en premier lieu, le diagnostic de thrombose veineuse profonde du membre inférieur droit avec embolie pulmonaire probable n'ayant été posé le 24 août 2002 que vers 23h, l'interne ayant examiné Mme C vers 18h aurait dû suspecter d'ores et déjà, au terme d'un interrogatoire conduit dans les règles de l'art, une embolie pulmonaire, où, à tout le moins, privilégier cette hypothèse ; qu'en pareil cas, si la mise en place d'un traitement anticoagulant le 25 août vers 1h du matin peut-être regardé comme synonyme d'une prise en charge appropriée, et si la mise en place plus précoce d'un tel traitement aurait permis d'éviter une perte de chance quantifiable d'une récidive fatale de l'embolie pulmonaire de la patiente ; en second lieu si, après la pose du diagnostic d'embolie pulmonaire, une éventuelle sous-estimation de la gravité de cette embolie au regard de l'état clinique de Mme C, du résultat des examens déjà réalisés, et en l'état des connaissances médicales à l'époque des faits, peut-être établie ; si, en tout état de cause il y avait lieu d'ordonner ou non dès la pose de ce diagnostic, des examens complémentaires, comme un angioscanner ou une échographie cardiaque, pour confirmer l'évaluation de la gravité de l'embolie et décider de la thérapie à mettre en oeuvre ; si enfin, des pertes de chance induites peuvent être, le cas échéant, retenues compte tenu de l'efficacité possible de la réalisation d'une thrombolyse ou d'une embolectomie ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 30 mai 2008 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les requêtes présentées par M. A, la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, procédé à une expertise complémentaire aux fins précisées ci-dessus, par un expert désigné par le Président de la cour.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.

Article 4 : Les frais d'expertise seront avancés par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Article 5 : Tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

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N° 08PA04569


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 08PA04569
Date de la décision : 12/11/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: M. Jean-François TREYSSAC
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : SAGET-JOLIVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2009-11-12;08pa04569 ?
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