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20/10/2011 | FRANCE | N°09PA05557

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, Formation plénière, 20 octobre 2011, 09PA05557


Vu la requête, enregistrée le 7 septembre 2009, présentée pour la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU, dont le siège social est 68, boulevard Malesherbes à Paris (75008), par Me Vergilino ; la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600748/3-3 du 23 juin 2009 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, ledit tribunal n'a fixé qu'à 10 000 euros le montant des honoraires qui lui sont dus par l'Etat pour l'accomplissement d'une mission d'expertise d'une oeuvre d'art et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ;
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Vu la requête, enregistrée le 7 septembre 2009, présentée pour la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU, dont le siège social est 68, boulevard Malesherbes à Paris (75008), par Me Vergilino ; la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600748/3-3 du 23 juin 2009 du Tribunal administratif de Paris en tant que, par ce jugement, ledit tribunal n'a fixé qu'à 10 000 euros le montant des honoraires qui lui sont dus par l'Etat pour l'accomplissement d'une mission d'expertise d'une oeuvre d'art et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 119 659,84 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 27 janvier 2004 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code du patrimoine ;

Vu la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2011 :

- le rapport de M. Rousset, rapporteur,

- les conclusions de Mme Descours-Gatin, rapporteur public,

- et les observations de Me Vergilino, pour la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU, et celles de Mlle pour le ministre de la culture et de la communication ;

Considérant que, dans le cadre de la procédure d'offre d'achat par l'Etat prévue à l'article 9-1 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 alors en vigueur, codifié depuis à l'article L. 121-1 du code du patrimoine, la direction des musées de France a présenté au propriétaire du pastel Au théâtre de Degas une offre d'achat, que celui-ci a refusée ; que, conformément à l'article 9-1 précité de la loi du 31 décembre 1992, l'autorité administrative a décidé de faire procéder à une expertise pour fixer le prix du bien ; que, par un courrier du 2 juillet 2003, le chef du département des collections de la direction des musées de France a invité la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU, spécialiste, notamment, de l'inventaire, de l'authentification et de l'évaluation des oeuvres de Degas, à lui confirmer qu'elle acceptait de procéder à l'estimation financière du tableau et, dans l'affirmative, d'établir un devis du montant de son intervention ; que, par lettre du 7 juillet 2003 adressée à la direction des musées de France, la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU a accepté cette mission d'expertise et précisé que ses honoraires seront de cinq pour mille de la valeur qui sera convenue conjointement avec l'expert désigné par le propriétaire de l'oeuvre ou, dans le cas où il serait impossible de trouver une valeur conjointe, de trois pour mille de l'estimation la plus élevée ; que, par un courrier du 10 septembre 2003, la directrice des musées de France, après avoir noté que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU avait accepté d'intervenir en tant qu'expert , l'a chargée de procéder sans délai à cette expertise, après s'être mise en relation avec l'expert désigné par le propriétaire de l'oeuvre, afin de pouvoir déposer un rapport élaboré en commun avec celui-ci avant le 2 décembre 2003 ; que le pastel de Degas a été estimé, dans le rapport déposé par les deux experts le 28 novembre 2003, à 24 000 000 de dollars (20 010 005 euros) ; que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU a adressé à la direction des musées de France, le 27 janvier 2004, sa note d'honoraires calculée sur la base de cinq pour mille de la valeur de l'oeuvre ainsi retenue conjointement dans ce rapport, soit 119 659,84 euros TTC ; que, par courrier du 25 octobre 2004, confirmé les 6 janvier et 13 avril 2005, la directrice des musées de France en a refusé le paiement et a proposé à la société requérante de lui verser, à titre de règlement définitif de sa prestation, la somme de 8 000 euros TTC ; que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU relève appel du jugement du Tribunal administratif de Paris du 23 juin 2009 en tant qu'il n'a fixé qu'à 10 000 euros TTC le montant de ses honoraires et demande à la Cour de condamner l'Etat à lui verser la somme de 119 659,84 euros TTC correspondant à la rémunération à laquelle elle estime être en droit de prétendre ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les décisions des 6 janvier et 13 avril 2005 par lesquelles la directrice des musées de France a rejeté les demandes présentées par la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU tendant au règlement à titre d'honoraires de la somme de 119 659,84 euros TTC ne mentionnaient pas les voies et délais de recours ouverts contre ces décisions ; que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la culture et de la communication à la demande de première instance de la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU et tirée de ce que celle-ci, enregistrée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2006, aurait été tardive ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU soutient que l'Etat a engagé sa responsabilité contractuelle en refusant de lui régler ses honoraires de 119 659,84 euros alors qu'il existait entre les parties un accord sur le prix de sa prestation et que, dans ces conditions, le tribunal administratif ne pouvait rejeter sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme précitée de 119 659,84 euros ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, lorsque la direction des musées de France a confié, le 10 septembre 2003, l'expertise en litige à la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU, elle avait connaissance, par le courrier précité du 7 juillet 2003, des modalités de détermination du prix , au sens de l'article 12 du code des marchés publics alors applicable à ce marché de prestation de service, et était à même, compte tenu de ses compétences techniques dans son domaine d'attributions, de déterminer l'ordre de grandeur de la rémunération auquel le mode de calcul indiqué par la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU allait conduire ; qu'ainsi, elle doit être regardée comme ayant nécessairement accepté de verser les honoraires qui avaient été proposés par la société requérante préalablement à son intervention et dont elle ne pouvait ignorer le montant élevé ;

Considérant, en deuxième lieu, que, dès lors qu'il existait un accord sur les éléments essentiels du contrat, et notamment sur son objet et sur les modalités de détermination des honoraires, le ministre de la culture et de la communication ne saurait, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer, pour s'affranchir du paiement de la somme due à son cocontractant, le montant totalement inusité du devis présenté le 7 juillet 2003 par la société requérante ou le fait que l'expertise n'aurait pas présenté de difficulté particulière ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'expertise a été exécutée selon les modalités et dans les délais prescrits par la directrice des musées de France dans sa lettre de commande du 10 septembre 2003 ; qu'ainsi, aucun motif tiré d'un comportement fautif du cocontractant n'est en l'espèce susceptible d'être retenu pour justifier l'application d'une réfaction sur le montant des honoraires convenus ; qu'en outre, si le ministre se prévaut, pour solliciter une réduction de ce montant, du principe selon lequel l'administration ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, ce moyen doit être écarté, dès lors que la direction des musées de France, qui, comme il a été dit, est réputée avoir donné son accord aux honoraires sollicités par la société requérante, a ainsi mis à la charge de l'État l'obligation contractuelle d'en acquitter le versement ;

Considérant que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a limité à 10 000 euros le montant des honoraires qui lui sont dus au titre de la mission d'expertise en litige et à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 119 659,84 euros TTC ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant, d'une part, que la somme due à la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU doit porter intérêts à compter du 27 janvier 2004, date à laquelle celle-ci a présenté sa note d'honoraires à l'administration ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU a demandé la capitalisation des intérêts le 17 janvier 2006 ; que cette demande prend effet à compter de cette date, à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, cette capitalisation s'accomplissant à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle à compter du 17 janvier 2006 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU demande, sur le fondement de ces dispositions, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le montant de la somme que l'Etat est condamné à verser à la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU est porté à 119 659,84 euros TTC. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du 27 janvier 2004 et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 janvier 2006, cette capitalisation intervenant à nouveau à chaque échéance annuelle à compter du 17 janvier 2006.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 23 juin 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE BRAME ET LORENCEAU est rejeté.

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N° 09PA05557


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : Formation plénière
Numéro d'arrêt : 09PA05557
Date de la décision : 20/10/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION FINANCIÈRE DU CONTRAT. RÉMUNÉRATION DU CO-CONTRACTANT. PRIX. - ESTIMATION DE LA VALEUR D'UNE ŒUVRE D'ART PRÉSENTANT LE CARACTÈRE DE TRÉSOR NATIONAL (ARTICLE 9-1 DE LA LOI N° 92-1477 DU 31 DÉCEMBRE 1992, CODIFIÉ À L'ARTICLE L. 121-1 DU CODE DU PATRIMOINE) - MISSION D'EXPERTISE CONFIÉE À UNE SOCIÉTÉ - RÉMUNÉRATION DE LA PRESTATION FIXÉE PAR L'EXPERT À CINQ POUR MILLE DE LA VALEUR DE L'ŒUVRE - ABSENCE D'OBJECTION, PRÉALABLEMENT À L'EXÉCUTION DE LA MISSION, SUR LE PRIX DE LA PRESTATION - ACCEPTATION IMPLICITE DU VERSEMENT DES HONORAIRES PROPOSÉS - MISSION EXÉCUTÉE DANS LES CONDITIONS REQUISES - ABSENCE DE RÉFACTION SUR LE MONTANT DES HONORAIRES.

39-05-01-01 A la suite du refus, par le propriétaire du pastel « Au théâtre » de Degas, d'une offre d'achat présentée par la direction des musées de France, l'autorité administrative a décidé, conformément à l'article 9-1 de la loi du 31 décembre 1992 alors en vigueur, de faire procéder à une expertise pour fixer le prix du bien. La société d'experts qu'elle a invitée, par un courrier du 2 juillet 2003, à établir un devis du montant de son intervention a précisé, le 7 juillet suivant, que ses honoraires s'élèveraient, en cas d'accord avec l'expert désigné par le propriétaire de l'oeuvre, à cinq pour mille de la valeur de l'oeuvre. Par un courrier du 10 septembre 2003, la directrice des musées de France, après avoir noté que la société avait « accepté d'intervenir en tant qu'expert », l'a chargée, sans objection sur les conditions de rémunération ainsi définies, de procéder sans délai à cette expertise et de déposer son rapport avant le 2 décembre 2003.,,,Ayant évalué l'oeuvre, dans un rapport établi conjointement avec l'autre expert, à 24 000 000 de dollars, la société a, en conséquence, présenté une note d'honoraires d'un montant correspondant à cinq pour mille de cette valeur, soit 119 659, 84 euros TTC. La direction des musées de France en a toutefois refusé le paiement et a proposé à la société de lui verser, à titre de règlement définitif de sa prestation, la somme de 8 000 euros TTC.,,,La connaissance, préalablement à l'intervention confiée à la société, des « modalités de détermination du prix », au sens de l'article 12 alors applicable à ce marché de prestation de service, valait nécessairement acceptation des honoraires proposés par la société, dont la Direction des musées de France ne pouvait, compte tenu de ses compétences techniques dans son domaine d'attributions, ignorer que leur mode de calcul aboutirait à un montant élevé.,,,Dès lors qu'il existait un accord sur les éléments essentiels du contrat, notamment sur son objet et sur les modalités de détermination des honoraires, le ministre de la culture ne pouvait, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer, pour s'affranchir du paiement de la somme due à son cocontractant, le montant « totalement inusité » du devis présenté le 7 juillet 2003 par la société requérante ou le fait que l'expertise n'aurait pas présenté de difficulté particulière.,,,De surcroît, la prestation ayant été exécutée selon les modalités et dans les délais prescrits par la direction des musées de France dans sa lettre de commande, aucun motif tiré d'un comportement fautif du cocontractant n'était en l'espèce susceptible d'être retenu pour justifier l'application d'une réfaction sur le montant des honoraires convenus.... ,,Enfin, si le ministre se prévalait, pour solliciter une réduction de ce montant, du principe selon lequel l'administration ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, ce moyen devait être écarté, dès lors que la direction des musées de France, qui était réputée avoir donné son accord aux honoraires sollicités par la société requérante, avait ainsi mis à la charge de l'État l'obligation contractuelle d'en acquitter le versement.


Composition du Tribunal
Président : M. FRYDMAN
Rapporteur ?: M. Olivier ROUSSET
Rapporteur public ?: Mme DESCOURS GATIN
Avocat(s) : VERGILINO

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2011-10-20;09pa05557 ?
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