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28/05/2015 | FRANCE | N°14PA00692

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 28 mai 2015, 14PA00692


Vu la requête, enregistrée le 14 février 2014, présentée pour la société Laurean, dont le siège est situé 59 avenue Victor Hugo à Paris (75116), par le cabinet d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société Laurean demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1209357 du 13 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris, en tant que, par ce jugement, celui-ci, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu, eu égard aux dégrèvements prononcés en cours d'instance, de statuer sur les conclusions de la demande à concurrence de la somme de 9 431 euros au titre

de l'année 2005, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à ...

Vu la requête, enregistrée le 14 février 2014, présentée pour la société Laurean, dont le siège est situé 59 avenue Victor Hugo à Paris (75116), par le cabinet d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société Laurean demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1209357 du 13 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris, en tant que, par ce jugement, celui-ci, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu, eu égard aux dégrèvements prononcés en cours d'instance, de statuer sur les conclusions de la demande à concurrence de la somme de 9 431 euros au titre de l'année 2005, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2005 et des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités restant en litige ;

3°) de rétablir ses déficits fiscaux déclarés, à concurrence de la somme de 535 913 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'administration a considéré à tort que l'option pour le régime des sociétés mères est constitutive d'un abus de droit, alors que ce sont les provisions pour dépréciation qui ont généré des pertes fiscales et que la société Courbet, qui exerce une activité gestion d'actifs financiers, n'a pas été vidée de ses actifs et a conservé une activité ;

- l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, contestable sur le fond, ne peut produire d'effet à son encontre, notamment en entrainant une inversion de la charge de la preuve ;

- il est contraire aux principes de définition des infractions et des sanctions ainsi que de l'intelligibilité des réglementations, protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de sanctionner un contribuable au regard d'une interprétation jurisprudentielle de la volonté du législateur ;

- les dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts méconnaissent les dispositions de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;

- la majoration de 80 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts n'est pas applicable dès lors qu'aucune fraude à la loi ou volonté d'éluder l'impôt ne peut lui être imputée ;

- elle a apporté la preuve de la cession de créance en litige ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2014, présenté par le ministre des finances et comptes publics qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient qu'aucun des moyens de la requérante n'est fondé ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 mai 2015, présenté par la société Laurean ;

Vu les pièces dont il résulte que, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions, nouvelles en appel, tendant, d'une part, à la décharge de la majoration prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts, d'autre part, au rétablissement des déficits fiscaux déclarés par la société ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive n°2011/96/UE du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2015 :

- le rapport de Mme Versol, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de Me Bogey, avocat de la société Laurean ;

1. Considérant que la société Laurean, société par actions simplifiée unipersonnelle, ayant pour activité l'acquisition, la gestion et la vente de toutes valeurs mobilières et droits sociaux pour son propre compte ainsi que tous droits et biens immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié, par proposition de rectification du 5 décembre 2007, des rehaussements de son bénéfice imposable au titre des années 2004 à 2006, selon la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales en ce qui concerne la remise en cause du bénéfice du régime fiscal mère-fille ; que, par la même proposition de rectification, elle lui a également notifié, selon la procédure contradictoire, notamment un rehaussement de son résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2005, correspondant à un abandon de créance ; que la société Laurean relève appel du jugement du 13 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris, en tant que, par ce jugement, celui-ci, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu, eu égard aux dégrèvements prononcés en cours d'instance en ce qui concerne les impositions supplémentaires établies au titre de l'année 2005, de statuer sur les conclusions en décharge de la demande à concurrence de la somme de 9 431 euros, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires établies au titre de l'année 2005 ainsi qu'au rétablissement des déficits déclarés au titre des années 2004 et 2006 ;

Sur la remise en cause du bénéfice du régime des sociétés mères sur le fondement de l'abus de droit :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années en litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; / (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification " ;

3. Considérant que seul un vice de forme ou de procédure de nature à entacher d'irrégularité l'avis du comité consultatif peut être utilement invoqué pour contester la validité de cet avis ou pour faire obstacle aux conséquences, quant à la charge de la preuve, que la loi attache à la conformité entre l'avis donné par le comité sur le véritable caractère de l'opération litigieuse et les impositions établies à raison de cette opération ;

4. Considérant que la société Laurean soutient que l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, rendu à l'issue de sa séance du 26 novembre 2009, ne peut produire d'effet à son encontre, notamment en ce qui concerne l'attribution de la charge de la preuve, au motif, en premier lieu, que cet avis affirme que les acquisitions de titres et les distributions en litige ont été effectuées entre sociétés contrôlées par les mêmes personnes sans en justifier et sans indiquer en quoi cette circonstance influerait sur le bien-fondé de l'engagement de conservation des titres pendant deux ans, en deuxième lieu, qu'un tel engagement ne peut constituer en lui-même un abus de droit, en dernier lieu, que cet avis ajoute à la loi en limitant le bénéfice du régime des sociétés mères aux seules sociétés dont les filiales poursuivent effectivement leur activité ; que, toutefois, ces circonstances sont sans influence sur la validité de l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, et, par suite, sur la charge de la preuve ; que celle-ci incombe à la société requérante dès lors que l'administration a suivi l'avis du comité ;

5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " 1 Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : / a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; / b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (...) ; / c. titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans (...). " ; qu'aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charge (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...). Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. (...) / Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) " ;

6. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des article 20 et 21 de la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française ; que le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 22 décembre 2004, la société Laurean a acquis, pour un montant de 601 540 euros, 1 601 854 actions de la société Courbet, qui exerçait une activité de gestion d'actifs financiers, soit une participation de 25,2 % ; que, le 28 décembre suivant, la société Laurean a perçu des dividendes de cette société, pour un montant de 528 611,82 euros, qu'elle a comptabilisés en produits ; que ces dividendes ont bénéficié du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts précités et ont été exonérés d'imposition, à l'exclusion d'une quote-part de frais et charges s'élevant à 26 431 euros ; que la contribuable a également déduit de son résultat imposable, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2004, une provision pour dépréciation des titres en cause, à concurrence de la somme de 547 287 euros, correspondant à l'écart entre le prix d'acquisition des titres et la quote-part de la situation nette de la société Courbet au 31 décembre 2004 ; que la société Laurean a ainsi dégagé, au titre de l'exercice clos en 2004, un déficit fiscal, d'un montant de 520 856 euros, reportable sur les exercices suivants ;

8. Considérant que, regardant ces opérations comme constitutives d'un abus de droit au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration a remis en cause l'application du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts et annulé les corrections extracomptables effectuées par la société Laurean, à concurrence de la somme de 502 181 euros, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2004 ; que le ministre fait valoir qu'à la date à laquelle les titres de participation de la société Courbet ont été acquis, cette société n'exerçait plus aucune activité et était dépourvue de moyens techniques et humains pour poursuivre une telle fin, ses actifs étant essentiellement constitués de liquidités ; que si la société requérante soutient que la société Courbet a conservé une activité financière de gestion d'actifs, que le montant de ses capitaux propres s'élevait à 2 354 571 euros au titre de l'exercice clos en 2004 et qu'elle était admise à la cotation sur le marché Euronext, l'examen des déclarations de résultat de cette société fait apparaître qu'à la clôture de l'exercice précédant la cession des titres en cause, soit le 30 juin 2003, l'actif immobilisé de la société consistait essentiellement en titres de participations, d'un montant de 7 030 188 euros, alors qu'à la clôture de l'exercice intervenue le 30 juin 2004, l'actif immobilisé a été ramené à 123 919 euros ; que les distributions de dividendes ont eu pour effet de priver cette société des moyens susceptibles de lui permettre de retrouver une quelconque activité ; que si la société Laurean remplissait les conditions légales pour bénéficier du régime des sociétés mères prévu par les articles 145 et 216 du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable, si elle a pris et tenu l'engagement de conserver les titres pendant deux ans et si les opérations litigieuses n'ont pas été rendues possibles par l'interposition d'une ou de sociétés spécialement créées à cette fin, elle n'a pris aucune mesure de nature à favoriser le développement de la société Courbet qu'elle venait d'acquérir et elle ne démontre pas que cette société a conservé une activité ; que les opérations litigieuses ont, en revanche, grâce à la déduction immédiate des provisions correspondant à la dépréciation des titres et à l'exonération d'impôt dont ont bénéficié, à l'exception d'une quote-part, les dividendes reçus de la filiale en application du régime des sociétés mères, permis à la société Laurean de dégager un important déficit fiscal, imputable sur son résultat de l'année 2004 et reportable sur les résultats des exercices suivants ; que, dans ces conditions, les opérations litigieuses doivent être regardées comme ayant été inspirées par un but exclusivement fiscal et ont méconnu les objectifs poursuivis par le législateur lorsqu'il a institué le régime des sociétés mères ; qu'elles constituaient ainsi un abus de droit, au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte ni de l'article L. 64 précité du livre des procédures fiscales, ni d'aucune autre disposition législative et réglementaire que l'administration ne pourrait pas appliquer la procédure de répression des abus de droit à un régime d'exonération optionnel, lorsqu'il y est recouru dans des conditions contraires à ses objectifs ;

9. Considérant que la société Laurean soutient qu'il est contraire au principe de définition des infractions et des sanctions ainsi qu'à celui tenant à l'intelligibilité des réglementations, notamment protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Constitution, de sanctionner un contribuable sur le fondement et en raison de la rétroactivité qui s'attache à l'interprétation jurisprudentielle qui en a été faite par le Conseil d'Etat ; que, toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat selon une jurisprudence constante depuis sa décision n° 19079 du 10 juin 1981, que lorsque l'administration use des pouvoirs qu'elles lui confèrent, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'il est établi que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que depuis sa décision n° 284565 du 28 février 2007, le Conseil d'Etat subordonne en outre la qualification d'abus de droit, s'agissant d'un acte n'ayant pas un caractère fictif, à la condition que l'acte en cause procède de la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, au regard de cette interprétation résultant d'une jurisprudence constante, antérieure aux faits de l'espèce, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, ne présente aucune ambiguïté en ce qui concerne la définition des infractions qu'il sanctionne ; que le moyen tiré de ce que la recherche de l'intention du législateur pour caractériser un abus de droit ne garantit pas une sécurité juridique suffisante pour les contribuables concernés ne peut donc qu'être écarté ;

10. Considérant que la société Laurean soutient que l'application qui a été faite en l'espèce des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts méconnaît les dispositions de la directive n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ; que, toutefois, aux termes du 2 de l'article 1er de cette directive, " la présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus " ; que, dès lors et en tout état de cause, les dispositions de cette directive ne faisaient pas obstacle à ce que l'administration remette en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le déficit déclaré par la société Laurean au titre de l'année 2004 ; que les conclusions en décharge de la société Laurean, et celles tendant au rétablissement de ses déficits déclarés ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;

Sur la cession de créance au bénéfice de la société Zordalys :

11. Considérant qu'aux termes des 1 et 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, le bénéfice imposable est le bénéfice net, lui-même " constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées " ; et qu'aux termes de l'article 1690 du code civil : " Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique. " ;

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société CIM, sise au Luxembourg, a cédé le 10 juin 2005 à une autre société luxembourgeoise - Zordalys - les actions qu'elle détenait dans le capital de la société Laurean ; que l'administration a relevé qu'à cette date du 10 juin 2005, le compte courant de la société CIM dans la société Laurean a été débité d'une somme de 42 879,89 euros, tandis que le compte courant venant d'être ouvert au nom de la société Zordalys dans les écritures de la société Laurean était crédité d'une somme de même montant ; qu'estimant que le débit du compte courant de la société CIM dans la société Laurean traduisait l'extinction de la dette que celle-ci avait à l'égard de la société CIM et que la réalité de la cession alléguée du compte courant de CIM dans Lorean à Zoldalys n'était pas établie par la convention de cession produite, laquelle n'avait pas été soumise à la formalité de l'enregistrement, l'administration a réintégré la somme de 42 880 euros, correspondant, selon elle, à un abandon de créance par la société CIM au profit de la société Laurean dans le résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2005 de cette dernière ;

13. Considérant qu'une société est réputée établir qu'une créance d'un tiers n'a pas été éteinte mais transférée à un autre tiers dans le cas où ont été respectées les formalités de publicité prévues, à l'égard des tiers intéressés au maintien de la créance, par les articles 1689 et 1690 du code civil ; que, dans le cas où ces formalités n'ont pas été accomplies, elle peut cependant démontrer par tout moyen de preuve la réalité du transfert de créance ;

14. Considérant que, pour justifier du transfert à la société Zordalys de la créance que la société CIM détenait à son encontre au titre de son compte courant, la société Laurean a produit la convention de cession du compte courant, d'un montant de 42 879,89 euros, que la société CIM détenait dans la société Laurean, conclue le 10 juin 2005 entre les sociétés CIM et Zordalys ; que si les formalités de publicité prévues par les articles 1689 et 1690 du code civil n'ont pas été accomplies à cette occasion, la société Laurean produit toutefois un extrait de son Grand livre de l'exercice 2005 faisant apparaître, à la date du 10 juin 2005, l'inscription d'une somme de 42 879,89 euros au crédit du compte courant de la société Zordalys ; que l'authenticité et le caractère probant de cette pièce ne sont pas discutés par l'administration ; que la société Laurean doit être regardée par suite comme apportant la preuve de la réalité du transfert de la créance que la société CIM détenait sur elle à la société Zordalys ; qu'elle est en conséquence fondée à demander que les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'année 2005 soient réduites, en bases, d'une somme de 42 880 euros ;

Sur les pénalités :

15. Considérant, d'une part, que le VI de l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008 a substitué aux dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, qui prévoyaient une majoration de 80 % si le contribuable s'était rendu coupable d'abus de droit, les dispositions suivantes : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (... ) / b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire (...) " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...) la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration " ;

16. Considérant qu'il résulte des circonstances exposées au point 8, dont elle se prévaut pour justifier les pénalités pour abus de droit, que l'administration établit que la société Laurean entre dans les prévisions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et qu'elle doit être regardée comme étant le principal bénéficiaire des opérations litigieuses, au sens du b de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2008 ; qu'il s'ensuit qu'elle a pu légalement appliquer le taux de 80 % au titre des pénalités pour abus de droit quel qu'ait été, par ailleurs, le degré de connaissance par la société Laurean des intentions du législateur lors de l'adoption du régime fiscal des sociétés mères ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Laurean n'est fondée à demander la réformation du jugement attaqué qu'en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à la décharge, à concurrence d'une somme, en bases, de 42 880 euros, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2005 et des pénalités correspondantes ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat en remboursement des frais exposés par la société Laurean ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les bases de l'impôt sur les sociétés et de la contribution sur l'impôt sur les sociétés assignées à la société Laurean au titre de l'année 2005 sont réduites d'une somme de 42 880 euros.

Article 2 : La société Lauren est déchargée des droits supplémentaires et des pénalités correspondant à la réduction des bases d'imposition définie à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions en décharge et tendant au rétablissement des déficits déclarés, présentées par la société Laurean, est rejeté.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 13 décembre 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à la société Lauren au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Laurean et au ministre des finances et comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (pôle fiscal Paris centre et services spécialisés).

Délibéré après l'audience du 13 mai 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Dalle, président,

- Mme Notarianni, premier conseiller,

- Mme Versol, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 mai 2015.

Le rapporteur,

F. VERSOL Le président,

D. DALLE

Le greffier,

C BUOT

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA00692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA00692
Date de la décision : 28/05/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. DALLE
Rapporteur ?: Mme Françoise VERSOL
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-05-28;14pa00692 ?
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