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09/07/2015 | FRANCE | N°13PA01890

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 09 juillet 2015, 13PA01890


Vu la requête enregistrée le 16 mai 2013, présentée pour la Province Nord de Nouvelle-Calédonie, dont le siège est BP 41 à Kone (98860), par la SCP Roux-Lang-Cheymol-Canizares-le Fraper du Hellen-A..., avocats ;

La province Nord de Nouvelle-Calédonie demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200265/1 du 14 février 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé, à la demande de M. D...B..., l'arrêté en date du 3 juillet 2012 par lequel le président de l'assemblée de la province Nord de Nouvelle-Calédonie l'a suspendu à titre c

onservatoire de ses fonctions d'ingénieur de premier grade des corps techniques ...

Vu la requête enregistrée le 16 mai 2013, présentée pour la Province Nord de Nouvelle-Calédonie, dont le siège est BP 41 à Kone (98860), par la SCP Roux-Lang-Cheymol-Canizares-le Fraper du Hellen-A..., avocats ;

La province Nord de Nouvelle-Calédonie demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200265/1 du 14 février 2013 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé, à la demande de M. D...B..., l'arrêté en date du 3 juillet 2012 par lequel le président de l'assemblée de la province Nord de Nouvelle-Calédonie l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions d'ingénieur de premier grade des corps techniques de Nouvelle-Calédonie avec réduction de moitié de son traitement ;

2°) de mettre à la charge de M. B...le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est entaché d'insuffisances de motivation, en ce que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des manquements reprochés à M.B..., a omis de se prononcer sur le caractère réitéré des agissements reprochés à l'agent suspendu et n'a pas expliqué en quoi un écart de langage du chef de service serait la cause du comportement de l'agent ;

- il est entaché d'une erreur de fait en ce que les premiers juges ont estimé que les faits reprochés à M. B...trouvaient leur origine dans un écart de langage du chef de service ou une altercation entre celui-ci et M.B... ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation des faits dès lors les faits reprochés à l'agent étaient établis et justifiaient la mesure de suspension afin de préserver le fonctionnement du service ;

- aucun des moyens de légalité externe soulevés par M. B...devant les premiers juges n'est fondé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2014, présenté pour M. D...B...par Me C... qui conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la Province Nord de Nouvelle-Calédonie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance ;

Il soutient que :

- aucun des moyens de la partie requérante n'est fondé ;

- il n'est pas établi qu'il a commis des fautes dans le traitement des dossiers qui lui étaient confiés, les éléments lui étant opposés ne résultant que de preuves constituées par sa hiérarchie ;

- les faits qui lui sont imputés résultent d'une attitude de harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique direct, qui lui a retiré les missions correspondant conformément à l'article 10 de la délibération 74/CP du 12 février 2009 à son grade d'ingénieur de catégorie pour le cantonner depuis janvier 2012 sur des tâches relevant en application du même article des techniciens de 2ème grade ;

- l'arrêté du 3 juillet 2012 est entaché d'incompétence dès lors qu'en vertu des articles 57 et 65 combinés de l'arrêté n°1065 du 22 août 1953 il ne pouvait être pris que par le chef du territoire ;

- cet arrêté a été pris sur une procédure irrégulière faute de justifier de l'ouverture en temps utile d'une procédure disciplinaire régulièrement notifiée à M. B...;

- cet arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 avril 2015, présenté pour la province Nord de Nouvelle-Calédonie, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et, en outre, soutient que par un jugement du 12 décembre 2013 devenu définitif le tribunal administratif a rejeté la demande d'annulation de M. B...contre la sanction qui lui a été infligée dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte à la suite de la mesure de suspension temporaire en litige, reconnu les fautes disciplinaires commises par ce dernier et considéré que M. B...n'établit pas le harcèlement dont il se prévaut ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu l'arrêté modifié n° 1065 du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux ;

Vu la délibération n° 81 du 24 juillet 1990 portant droits et obligations des fonctionnaires territoriaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 juin 2015 :

- le rapport de Mme Notarianni, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., pour la province nord de Nouvelle-Calédonie ;

1. Considérant que M.B..., ingénieur de premier grade relevant du statut particulier des personnels techniques de la Nouvelle-Calédonie, a été détaché auprès des services de la direction du développement économique et de l'environnement (DDE-E) de la province Nord de Nouvelle-Calédonie et affecté, en janvier 2008, au poste d'ingénieur agricole de l'Antenne Ouest (Pouembout) avec pour mission l'animation des filières céréales et grandes cultures et l'appui technique aux éleveurs bovins ; que, par arrêté du 31 mai 2012, le président de l'assemblée de la province Nord a infligé à M. B... un blâme, lequel a été annulé en la forme pour défaut de motivation par un jugement du 24 février 2013 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie devenu définitif ; qu'à la suite de l'infliction de ce premier blâme, estimant que M. B... avait persisté dans un comportement fautif, le président de l'assemblée de la province Nord a engagé une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre et l'a, par un arrêté du 3 juillet 2012, suspendu à titre conservatoire de ses fonctions, avec réduction de moitié de son traitement ; que, sur la demande de M.B..., le même tribunal administratif a prononcé l'annulation au fond de cette décision par un jugement du 14 février 2013 dont la province Nord de Nouvelle-Calédonie relève appel ;

Sur le bien-fondé :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 65 de l'arrêté modifié n° 1065 du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux de Nouvelle-Calédonie : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être immédiatement suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. La décision prononçant la suspension d'un fonctionnaire doit préciser si l'intéressé conserve pendant le temps où il est suspendu le bénéfice de son traitement ou déterminer la quotité de la retenue qu'il subit, qui ne peut être supérieure à la moitié du traitement (...)" ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par une décision du 31 mai 2012, M. B... a fait l'objet à la suite d'une procédure disciplinaire engagée en février 2012 d'un blâme non assorti de motivation, dont il ressort de l'instruction qu'il avait pour objet de sanctionner un comportement d'insubordination, M. B...refusant d'accomplir des tâches qui lui étaient confiées, et une attitude irrespectueuse envers sa hiérarchie ; que, peu après l'infliction de cette sanction, M. B...a adressé à son supérieur hiérarchique une lettre datée du 15 juin 2012 par laquelle il lui a retourné les dossiers que celui-ci lui avait confiés et lui a confirmé son refus de les traiter tout en l'informant, en termes très vifs et désobligeants, de la mauvaise opinion dans laquelle il le tenait tant sur le plan personnel que professionnel ; que la matérialité de ces faits est établie par la production notamment de ladite lettre ; que, dans ces conditions, le président de l'assemblée de la province Nord de Nouvelle-Calédonie qui a, comme il a été dit, engagé une nouvelle procédure disciplinaire à l'encontre de M. B..., a pu légalement estimer que l'intérêt du service exigeait d'écarter provisoirement l'intéressé de son emploi ; que, par ailleurs, eu égard à la nature et à l'objet d'une mesure de suspension provisoire prise sur le fondement des dispositions précitées M. B...ne peut utilement soutenir pour en contester le bien-fondé que les dossiers qu'il a refusé de traiter relevaient de la compétence d'un autre agent d'un grade inférieur au sien qu'il avait temporairement remplacé en sus de ses propres fonctions et qu'il subissait un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique dans le cadre duquel il avait notamment été privé de toutes les missions correspondant à son grade et à ses fonctions d'ingénieur ;

4. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la province Nord de Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 14 février 2013, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé l'arrêté en date du 3 juillet 2012 par lequel le président de l'assemblée de la province Nord de Nouvelle-Calédonie a suspendu à titre conservatoire M. B...de ses fonctions d'ingénieur de premier grade des corps techniques de Nouvelle-Calédonie aux motifs que les faits qui lui étaient reprochés trouvaient leur source dans une altercation avec son chef de service et ne présentaient pas un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour que la mesure de suspension puisse être légalement prise par le président de la province Nord ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B...à l'encontre de la décision par laquelle le président de l'assemblée de la province Nord l'a suspendu de ses fonctions dans l'attente de l'aboutissement de la procédure disciplinaire engagée à son encontre ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du paragraphe 4 de l'article 12 de la délibération susvisée du 24 juillet 1990 portant droits et obligations des fonctionnaires territoriaux : " Les fonctionnaires sont gérés par l'autorité de la collectivité ou de l'établissement qui les emploie, sauf dans les cas suivants qui relèvent de l'exécutif du Territoire : / a) les procédures de recrutement; / b) les nominations dans les corps et dans les grades; / c) les avancements au choix après avis de l'autorité de rattachement; / d) les changements de position statutaire après avis de l'autorité de rattachement; / e) les consultations des commissions administratives paritaires; / f) les procédures disciplinaires y compris le prononcé des sanctions après avis de l'autorité de rattachement à l'exception de l'avertissement et du blâme" ; que les dispositions précitées de l'article 65 de l'arrêté du 22 août 1953, qui confient à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire celui de suspendre un fonctionnaire territorial, ne sauraient prévaloir sur les dispositions postérieures de l'article 12 de la délibération du 24 juillet 1990, lesquelles ne font pas figurer la suspension dans les attributions limitatives de l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie ; qu'ainsi, si l'exécutif du territoire est seul compétent pour engager des procédures disciplinaires et prononcer des sanctions, l'autorité de la collectivité ou de l'établissement qui les emploie peut, en cas de faute grave, prononcer une mesure de suspension, laquelle présente un caractère conservatoire ; que, par suite, M.B..., ingénieur du premier grade des corps techniques de Nouvelle-Calédonie, affecté pour servir sous l'autorité du président de la province Nord de Nouvelle-Calédonie, n'est pas fondé à soutenir que la décision par laquelle ce dernier l'a suspendu de ses fonctions émanerait d'une autorité incompétente ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que la mesure de suspension prise sur le fondement des dispositions de l'article 65 de l'arrêté du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux de Nouvelle-Calédonie est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service, qui ne constitue pas une sanction disciplinaire ; qu'il s'ensuit, d'une part, qu'aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire, n'imposait au président de la province Nord de Nouvelle-Calédonie de motiver la décision en date du 3 juillet 2012 par laquelle il a suspendu M. B...de ses fonctions ; que, d'autre part, M. B...ne peut utilement se prévaloir du non respect des garanties prévues dans le cadre de la procédure disciplinaire ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 65 précité de l'arrêté du 22 août 1953 : " (...) Dans le cas de suspension immédiate, le conseil de discipline est saisi de l'affaire sans délai. Celui-ci émet un avis motivé sur la sanction applicable et le transmet au Chef du Territoire. La situation du fonctionnaire suspendu en application de l'alinéa premier du présent article doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision a pris effet. Lorsqu'aucune décision n'est intervenue au bout de quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau son traitement. Lorsque l'intéressé n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement, d'un blâme, d'une radiation du tableau d'avancement ou si, à l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent, il n'a pu être statué sur son cas, il a droit au remboursement des retenues opérées sur son traitement " ; que, d'une part, contrairement à ce que soutient M.B..., il ne résulte pas des dispositions précitées que la mesure de suspension litigieuse devait être précédée de l'ouverture d'une procédure disciplinaire ; que, d'autre part, aucun texte n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la province Nord de Nouvelle-Calédonie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé son arrêté du 3 juillet 2012 ; que, par suite, ce jugement doit-être annulé et les conclusions présentées par M. B...devant ce tribunal, tendant à l'annulation de ladite décision, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la province Nord de Nouvelle-Calédonie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que M. B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la province Nord de Nouvelle-Calédonie sur le fondement des mêmes dispositions ;

Sur les dépens :

11. Considérant qu'aucune circonstance particulière ne justifie qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. B...sur le fondement de l'article R. 761-1 du même code ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1200265/1 du 14 février 2013 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.

Article 2 : La demande de M. B...devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 3 juillet 2012 par lequel le président de l'assemblée de la province Nord de Nouvelle-Calédonie l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions d'ingénieur de premier grade des corps techniques de Nouvelle-Calédonie avec réduction de moitié de son traitement est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Province Nord de Nouvelle-Calédonie et les conclusions de M. B...sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Province Nord de Nouvelle-Calédonie et à M. D...B....

Délibéré après l'audience du 25 juin 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Monchambert, président de chambre,

- M. Dalle, président assesseur,

- Mme Notarianni, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 juillet 2015.

Le rapporteur,

L. NOTARIANNILe président,

S. MONCHAMBERT

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13PA01890


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 13PA01890
Date de la décision : 09/07/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Suspension.


Composition du Tribunal
Président : Mme MONCHAMBERT
Rapporteur ?: Mme Laurence NOTARIANNI
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : ECOLIVET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-07-09;13pa01890 ?
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