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23/10/2015 | FRANCE | N°14PA02519

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 23 octobre 2015, 14PA02519


Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2014, présentée pour la société Inso, dont le siège est 2 route de la Noue à Gif-sur-Yvette (91190), par le cabinet A...Lhéritier ; la société Inso demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300973/2-1 du 8 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation du ministre du redressement productif et du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à lui verser la somme de 2 345 000 euros, assortie des intérêts moratoires à compter de l'introduction de la requête,

au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'information erronée f...

Vu la requête, enregistrée le 9 juin 2014, présentée pour la société Inso, dont le siège est 2 route de la Noue à Gif-sur-Yvette (91190), par le cabinet A...Lhéritier ; la société Inso demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300973/2-1 du 8 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation du ministre du redressement productif et du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à lui verser la somme de 2 345 000 euros, assortie des intérêts moratoires à compter de l'introduction de la requête, au titre des préjudices qu'elle a subis du fait de l'information erronée figurant notamment dans le " guide pratique de la jeune entreprise innovante (JEI) " publié par lesdits ministères et qui est à l'origine de la remise en cause de son statut de JEI par l'administration fiscale ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 345 000 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis, assortie des intérêts moratoires à compter de l'introduction de la requête formée devant le Tribunal administratif de Paris, à parfaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que le tribunal a retenu à juste titre que l'administration a commis une faute en délivrant des informations erronées dans plusieurs publications administratives sur la portée de l'article 44 sexies-0-A du code général des impôts, s'agissant du calcul des dépenses de recherche confiées à des organismes de recherche publique, et qu'elle-même n'en avait pas commis en ne remettant pas en cause ces informations ; que, toutefois, contrairement à ce qu'il a jugé malgré les conclusions de son rapporteur public, le lien de causalité entre cette faute et les graves préjudices subis est établi ; que si l'instruction fiscale du 16 septembre 2011 ne permet plus de prendre en compte le double du montant des dépenses réalisées dans le cadre de travaux confiés aux organismes de recherche publique, d'une part, la société ne constitue pas une reprise des activités de la société Invarture, ce que d'ailleurs l'administration fiscale ne contestait plus et malgré l'intervention postérieure en sens contraire de la commission départementale des impôts, et, d'autre part, elle ne constitue pas une extension des activités de la société ITAC Software, ce qu'a reconnu ladite commission ; que la question de la nature de l'activité de la société fait l'objet d'une réclamation contentieuse ; qu'il y a bien eu concomitance entre sa décision d'abandonner le projet de recherche et la remise en cause de son statut de jeune entreprise innovante ; qu'elle a perdu l'investissement réalisé pour un montant de 145 000 euros dans le cadre de deux conventions de recherche avec le conservatoire national des arts et métiers (CNAM), qu'elle a dû abandonner dès lors que son objet est devenu obsolète ; qu'il en est aussi résulté une dévalorisation de son image entraînant pour elle un préjudice commercial évalué à un million d'euros ; qu'elle a perdu une chance de réaliser la phase d'industrialisation du projet Scrambling engendrant un préjudice évalué à un million d'euros ; que les troubles dans les conditions de son développement économique qu'elle a subis doivent être indemnisés à hauteur de 200 000 euros, à parfaire ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 septembre 2014, présenté pour le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ; il conclut au rejet de la requête ; il fait valoir que le tribunal a jugé à bon droit qu'il ne lui revenait pas, en l'état de la procédure fiscale en cours, de se prononcer en tant que juge de la responsabilité administrative, sur la satisfaction ou non par la société du critère tenant à la nature de l'activité de l'entreprise ; que le tribunal a aussi à bon droit estimé que le lien de causalité entre l'information erronée et les préjudices dont se plaint la société n'était pas établi, dès lors que l'administration s'est surtout fondée sur la nature de l'activité de l'entreprise ; que le tribunal n'a retenu l'absence de preuve de la concomitance entre la date d'arrêt estimé des programmes de recherche et celle de la proposition de rectification qu'à titre surabondant ; que la société ne démontre pas qu'elle n'a tiré aucun avantage du projet d'investissement amorcé entraînant un préjudice financier à hauteur de ce qu'elle allègue ; que les autres préjudices ne sont soit pas personnels, soit pas directs, ni réels et certains ;

Vu, enregistré le 3 août 2015, le mémoire présenté pour la société Inso ; elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle fait valoir en outre que le jugement est irrégulier dès lors que l'office du juge de la responsabilité n'est pas borné par la compétence de l'administration fiscale ; que c'est la remise en cause du critère relatif au montant de dépenses de recherches qui est la cause déterminante des dommages dès lors que si l'administration n'avait contesté que le critère de la nature de son activité, elle n'aurait pas été contrainte d'abandonner son projet de recherche puisque la position de l'administration est contestable, comme le montrent notamment ses changements en la matière et le fait qu'une procédure est en cours sur ce seul terrain ; que le fait que le tribunal n'ait retenu le motif tiré de l'absence de concomitance entre l'arrêt des programmes de recherche et la remise en cause de son statut qu'à titre surabondant est sans influence sur l'irrégularité du jugement aussi sur ce plan ; que la dévalorisation capitalistique constitue bien un préjudice propre de la société dans la mesure où elle obère sa capacité d'investissement et de développement ; que la perte de chance de réaliser des profits est directe, réelle et certaine puisque la remise en cause du projet Scrambling l'a empêchée de réaliser les travaux d'industrialisation de ce projet et de commercialiser les produits qui en auraient résulté ;

Vu, enregistré le 4 septembre 2015, le mémoire présenté pour le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; il conclut au rejet de la requête ; il fait valoir qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la faute qui consiste en la publication d'une information erronée et les préjudices prétendument subis ; que le caractère concomitant de l'arrêt des programmes de recherche et de la proposition de rectification n'est pas établi ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 septembre 2015, présenté pour la société Inso ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 septembre 2015, présentée pour la société Inso ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 septembre 2015 :

- le rapport de M. Polizzi, président assesseur,

- les conclusions de M. Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la société Inso ;

1. Considérant que la société Inso, qui exerce une activité de conseil et de distribution de logiciels, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2007 et 2008 ; que, dans la proposition de rectification en date du 21 décembre 2010 et reçue le 24 janvier 2011 qu'elle lui a adressée, l'administration fiscale a notamment remis en cause le statut de jeune entreprise innovante défini par l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts dont la société requérante bénéficiait conformément au rescrit fiscal qui lui avait été délivré le 14 février 2007 et l'a assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ; que la société Inso a sollicité en vain, le 24 novembre 2012, l'indemnisation des préjudices résultant de la remise en cause de son statut de jeune entreprise innovante lesquels, selon elle, trouvent leur origine dans l'information erronée figurant notamment dans le " guide pratique de la jeune entreprise innovante " qui a été édité conjointement par les ministres délégués à la recherche et à l'industrie ; qu'elle demande à la Cour l'annulation du jugement du tribunal administratif rejetant sa demande et la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que, dans le cadre du présent litige, la société Inso ne demande pas la condamnation de l'administration fiscale à l'indemniser des sommes dont elle a dû s'acquitter à la suite du redressement susmentionné, mais la réparation des conséquences de ce redressement, à savoir principalement l'arrêt de son programme d'investissement ; qu'il s'agit donc d'un litige distinct de celui dont le tribunal administratif de Versailles est actuellement saisi ; que le juge de la responsabilité ne saurait, pour apprécier la régularité et le bien-fondé de la procédure d'imposition, s'en remettre à la position préalable du juge de l'impôt et ne peut donc ni surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure contentieuse tendant à la décharge des impositions, ni a fortiori refuser de porter une appréciation sur le fond ; que, dès lors, rien ne justifiait que les premiers juges s'abstiennent de trancher le désaccord entre les parties sur la nature de l'activité de l'entreprise ; qu'en méconnaissant ainsi leur obligation d'épuiser leur pouvoir juridictionnel, ils ont entaché leur jugement d'irrégularité ; que, par suite, le jugement attaqué doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Inso ;

Sur la demande de réparation des préjudices :

4. Considérant qu'une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu'un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition ; que l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur, comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité ;

5. Considérant qu'il est constant que, ainsi que l'a jugé le tribunal, l'administration a commis une faute en délivrant une information erronée dans plusieurs publications administratives, notamment dans le guide pratique de la jeune entreprise innovante mentionné au point 1, sur la portée de l'article 44 sexies-0-A du code général des impôts, s'agissant du calcul des dépenses de recherche portant sur des travaux confiés à des organismes de recherche publique, des universités ou des centres techniques exerçant une mission d'intérêt général, en vertu de laquelle ces dépenses seraient retenues pour le double de leur montant ; que, par ailleurs, si l'administration a aussi fondé les redressements sur la nature de l'entreprise, en estimant que celle-ci constituait l'extension d'une activité préexistante au sens du 5° dudit article et du III de l'article 44 sexies, la requérante fait valoir que les préjudices qu'elle allègue avoir subis ne sont consécutifs qu'à la remise en cause du doublement des dépenses de recherche dès lors qu'elle n'en conteste pas le bien-fondé, contrairement à l'autre motif ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le non-respect par l'entreprise de la condition relative au seuil de 15 % de dépenses de recherche n'a été opposé par l'administration fiscale qu'au titre de l'exercice 2007, les dépenses de recherche de la société ayant en effet fortement augmenté en 2008, conformément d'ailleurs aux données prévisionnelles fournies à l'administration fiscale dans le cadre de la demande de rescrit ; que, par ailleurs, le redressement d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2007 à 2009 n'était pas justifié par la seule remise en cause du statut de jeune entreprise innovante dès lors que l'administration contestait également, notamment, la comptabilisation par la société d'une perte sur créances d'un montant de 70 000 euros ainsi que des honoraires à hauteur de 35 000 euros versés à la société Arthémi ; que, par suite, à supposer même que le programme Scrambling ait été abandonné en raison des sommes réclamées par l'administration, la société Inso ne peut imputer cette situation à la seule information erronée qui lui a été transmise sur les modalités de détermination du seuil de 15 % de dépenses engagées susceptibles d'ouvrir droit à un crédit d'impôt recherche ; qu'il en résulte que les préjudices invoqués ne trouvent pas leur cause directe et certaine dans la faute mentionnée au point 5 ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Inso n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; qu'ainsi la requête de la société Inso doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 8 avril 2014 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Inso et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Inso, au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Polizzi, président assesseur,

- Mme Julliard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 23 octobre 2015.

Le rapporteur,

F. POLIZZILe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 14PA02519


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA02519
Date de la décision : 23/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Francis POLIZZI
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CLOT LHERITIER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-10-23;14pa02519 ?
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