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23/03/2016 | FRANCE | N°14PA01697

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 23 mars 2016, 14PA01697


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société " Les nouveaux délices " a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 novembre 2013 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et celle de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire de frais d'acheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des

étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1400585/3-1 du 8 juillet 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société " Les nouveaux délices " a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 19 novembre 2013 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et celle de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire de frais d'acheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un jugement n° 1400585/3-1 du 8 juillet 2014, le Tribunal administratif de Paris a fait partiellement droit à cette demande en déchargeant la société " Les nouveaux délices " de la somme de 4 759 euros.

Procédure contentieuse devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 29 septembre 2014, la société " Les nouveaux délices ", représentée par MeA..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1400585/3-1 du 8 juillet 2014 ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 19 novembre 2013, et à titre subsidiaire, de minorer les amendes mises à sa charge en les réduisant à hauteur de 1 000 euros par salarié et de la décharger du surplus ;

3°) de mettre à la charge de l'office français de l'immigration et de l'intégration le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- elle a été prise au mépris du principe du contradictoire dans la mesure où les faits contenus dans le procès verbal sur lequel elle repose n'ont pas été portés à la société " Les nouveaux délices " préalablement à l'édiction des sanctions litigieuses ;

- elle est insuffisamment motivée en droit et en fait ;

- l'article L. 8253- 1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, ne pouvait être invoqué au titre de la loi la plus douce et être appliqué en l'espèce ;

- l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, méconnaît les articles 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit dans la mesure où elle ne respecte pas la modulation des taux fixés par l'article L. 8253-1 et suivants du code du travail ;

- les faits ne justifient nullement le montant des sommes réclamées puisque les infractions n'ont porté que sur une période courte et pour un seul travailleur ;

- la société " Les nouveaux délices " présente en outre un solde créditeur auprès de l'URSSAF ;

- les bulletins de paie de salarié ont été produits de même que son solde de tout compte et son certificat de travail ;

- la somme réclamée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et aurait du être réduite à 1 000 euros par salarié ;

- ce sont les montants correspondants à 2 000 fois ou 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti qui auraient dus être appliqués en l'espèce ;

- la règle " non bis in idem " interdit l'application cumulée pour les mêmes faits de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire de réacheminement.

Par un mémoire distinct et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 4 septembre 2014 et le 28 janvier 2016, la société " Les nouveaux délices " demande à la Cour, en application des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 8251-1 et L. 8253-1 du code du travail dans leur version issue de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;

Elle soutient que :

- ces articles sont contraires au principe de proportionnalité des peines tel que garanti par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- ces articles méconnaissent l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces articles qui ne fixent aucun maximum légal contreviennent au même principe ;

- ils méconnaissent également la règle " non bis in idem ".

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2015, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) demande, par un appel incident, l'infirmation du jugement du 8 juillet 2014, en tant qu'il a déchargé la société " Les nouveaux délices " de la somme de 4 759 euros, et le rejet de la demande de cette société devant le tribunal administratif et que soit mise à sa charge une somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, pour fonder ses conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a déchargé la société " Les nouveaux délices " de la somme de 4 759 euros, que les dispositions combinées des articles L. 8256-2 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fixant une limite de 15 000 euros, ne s'appliquent pas en l'espèce, dans la mesure où ce plafond ne concerne que le montant total des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier, ce qui exclut expressément la contribution spéciale relative à l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail, et qu'au surplus, il n'est pas établi que la société " Les nouveaux délices " aurait été condamnée au versement d'une amende pénale au titre de l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail ;

Il soutient, en outre, pour fonder ses conclusions tendant au rejet de la demande de la société " Les nouveaux délices " devant le Tribunal administratif de Paris, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;

- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-467 du 4 juin 2013 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de M. Cantié, rapporteur public,

- et les observations de Me Sadi-Cottier, avocat de la société " Les nouveaux délices ".

1. Considérant que, lors d'un contrôle effectué le 3 juillet 2012, dans les locaux d'un restaurant à l'enseigne " Les nouveaux délices " situé 10, rue Rampal à Paris (19e), les services de police ont constaté que sur les quatre personnes travaillant à la confection de tofu, l'une d'entre elles n'avait pas été déclarée et était dépourvue d'un titre l'autorisant à travailler en France et à y séjourner ; qu'après avoir informé la société " Les nouveaux délices ", par une lettre du 20 septembre 2013, que les dispositions énoncées par les articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui seraient vraisemblablement appliquées et qu'elle disposait d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations, le directeur général de l'OFII, par une décision du 19 novembre 2013, a mis à la charge de cette société une somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et une somme de 2 309 euros au titre la contribution forfaitaire de frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la société " Les nouveaux délices " demande à la Cour d'annuler le jugement du 8 juillet 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris n'a fait que partiellement droit à sa demande en la déchargeant de la somme de 4 759 euros ; que, par la voie d'un appel incident, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a annulé partiellement la décision du 19 novembre 2013 ;

Sur la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article " ; qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 précité de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat, (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige " ;

3. Considérant que par une ordonnance du 5 mars 2014, le président de la troisième section du Tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question que lui avait soumise la société " Les nouveaux délices " de la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi susvisée du 28 décembre 2011, lequel renvoie à l'article L. 8251-1 du même code ; que par un mémoire distinct, intitulé " question prioritaire de constitutionnalité " présenté à l'appui de sa requête d'appel, la société " Les nouveaux délices " doit être regardée comme ayant d'une part, contesté ce refus de transmission et, d'autre part, demandé à la cour de transmettre la même question au Conseil d'Etat en invoquant les mêmes moyens que ceux soulevés devant le tribunal administratif ;

4. Considérant que la société " Les nouveaux délices " fait valoir que l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version issue de l'article 46 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée, lequel renvoie à l'article L. 8251-1 du même code, est contraire au principe de proportionnalité des peines tel qu'il résulte de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée " et au principe constitutionnel " non bis in idem " ; que, toutefois, les réponses susceptibles d'être apportées par le Conseil constitutionnel à ces questions sont en tout état de cause sans incidence sur la solution du litige dès lors que ce texte, dans sa version issue de la loi précitée du 28 décembre 2011, n'est pas applicable au litige ; que c'est ainsi à bon droit que le tribunal administratif a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel, la question de la constitutionnalité de ces dispositions ; que, pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité identique présentée par la société " Les nouveaux délices " en appel ;

Sur l'appel principal de la société " Les nouveaux délices " :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi du 28 décembre 2011 susvisée : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 25 000 fois ce même taux " ; qu'aux termes de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction issue de l'article 42 de la loi du 29 décembre 2012 susvisée : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-2 du même code dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013 susvisé : " I.-Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.-Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.-Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 8253-6 du code du travail : " l'employeur d'un étranger sans titre s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales " ; qu'aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Le montant total des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l'employeur entre dans le champ d'application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre " ; qu'aux termes de l'article L. 8256-2 du code du travail : " Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros. " ;

6. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté du 1er novembre 2012, publié au bulletin officiel du ministère de l'intérieur n° 2012-10 du 30 décembre 2012, le directeur général de l'OFII a donné délégation à M. B...C..., directeur de l'immigration, à l'effet de signer tous actes, décisions et correspondances " au titre de la mise en oeuvre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire : les décision d'application de ces deux contributions, les procédures contradictoires, les décisions de rejet du recours gracieux, etc.. " ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions contestées doit donc être écarté comme manquant en fait ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société " Les nouveaux délices " n'aurait pas eu connaissance des informations contenues dans le procès verbal d'infraction établi le 3 juillet 2012, préalablement à l'édiction des sanctions prises à son encontre, le directeur général de l'OFII ayant adressé à la société " Les nouveaux délices ", le 20 septembre 2013, une lettre l'informant des faits qui lui étaient reprochés, de la mise en oeuvre à son égard du dispositif prévu par les articles L. 8253-1 et suivants précités du code du travail et de la possibilité qu'elle avait de formuler des observations sous quinze jours ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'OFII, en ne portant pas à la connaissance de la société intéressée les informations contenues dans le procès verbal d'infraction, aurait méconnu le principe du contradictoire doit être écarté ;

8. Considérant, en troisième lieu, que les décisions contestées visent les dispositions applicables et comportent en annexe un document précisant les nom et prénom du salarié incriminé et la circonstance qu'il est démuni de titre autorisant le travail et de titre autorisant le séjour ; que les éléments de droit et de fait qui fondent ces décisions étant mentionnés, le moyen tiré de l'insuffisance de leur motivation doit être écarté ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires" ; que découle de ce principe, la règle selon laquelle la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée ; que cette règle s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi aux sanctions administratives, au nombre desquelles figure la contribution spéciale que doit acquitter, en vertu de l'article L. 8253-1 précité du code du travail, l'employeur qui occupe des étrangers non munis du titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ;

10. Considérant que les dispositions précitées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail dans leurs rédactions issues respectivement de la loi du 29 décembre 2012 et du décret du 4 juin 2013, sont plus douces que celles applicables à la date de l'infraction résultant de l'article 48 de la loi du 26 décembre 2011 susvisée ; que, par suite, c'est à bon droit, que l'OFII en a fait application en l'espèce à l'égard de la société " Les nouveaux délices " ;

11. Considérant, en cinquième lieu, que la contribution spéciale instituée par les articles L. 8253-1 et suivants et R. 8253-2 précités du code du travail appartient "à la matière pénale" au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suivant lesquelles : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) équitablement (...) par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" ; qu'ainsi, lorsque le juge administratif est, comme en l'espèce, saisi de conclusions dirigées contre un état exécutoire établi sur le fondement de ces dispositions du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des deux autres taux qu'il estime légalement justifié, soit, s'il n'est pas établi que l'employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l'article L. 8251-1 précité du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale ; qu'en revanche, les dispositions précitées ne l'habilitent pas davantage que l'administration elle-même à moduler les taux qu'elles ont fixés ; que le respect des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique pas non plus que le juge module l'application du barème résultant des dispositions précitées ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le montant de la contribution spéciale mise à la charge de la société requérante sur la base de 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti ne serait pas proportionné à la gravité des infractions commises, en méconnaissance de ces stipulations, ne saurait être accueilli ; que, pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de moduler le montant de la sanction prise à l'égard de la société " Les nouveaux délices " ;

12. Considérant, en sixième lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés à l'accusé ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité ; que si la société " Les nouveaux délices " fait valoir, sans d'ailleurs l'établir, qu'elle aurait été relaxée par le juge pénal des poursuites ayant conduit au prononcé à son encontre de la contribution spéciale forfaitaire, cette circonstance ne signifie pas qu'elle ne se serait rendue coupable d'aucun fait justifiant les sanctions contestées ;

13. Considérant, en septième lieu, que le procès-verbal d'infraction du 3 juillet 2012, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, mentionne non seulement l'infraction d'emploi d'un étranger sans autorisation de travail prévue par les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail et réprimée pénalement par les dispositions ses articles L. 8256-1, mais aussi l'infraction de travail dissimulé, prévue par les dispositions de son article L. 8221-1 et réprimée pénalement par les dispositions de ses articles L. 8224-1 et suivants ; qu'ainsi, la situation de la société requérante n'entre pas dans les prévisions du 1° du II de l'article R. 8253-2 précité dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013 susvisé qui permet d'appliquer le taux réduit en l'absence de cumul d'infractions ; que si la société " Les nouveaux délices " produit le bulletin de salaire du mois de juin 2012 du salarié concerné, son solde de tout compte signé le 7 juillet 2013 et un certificat de travail, soutenant ainsi s'être acquittée spontanément des salaires et indemnités visées par l'article L. 8252-2 du code du travail, elle ne démontre ni même n'allègue avoir porté ces informations à la connaissance de l'OFII, lequel soutient d'ailleurs n'avoir rien reçu ; qu'ainsi, la situation de la société " Les nouveaux délices " n'entre pas davantage dans les prévisions des 2° du II de l'article R. 8253-2 dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 4 juin 2013, susvisé et III de ce même article ; que, par conséquent, c'est à bon droit que le montant de la contribution spéciale a été fixé à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail soit, en l'espèce, à la somme de 17 450 euros ;

14. Considérant, en huitième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction la société " Les nouveaux délices ", n'aurait pas commis intentionnellement les manquements qui lui sont imputables, alors par ailleurs que le procès-verbal du 3 juillet 2012 témoigne de faits clairement établis ; que la circonstance que ces manquements auraient été isolés et limités dans le temps ne sauraient davantage être de nature à contredire la réalité des infractions ainsi constatées ;

15. Considérant, en neuvième lieu, que les infractions respectivement prévues aux articles L. 626-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 8253-1 précité du code du travail ne sanctionnant pas un même manquement, c'est sans méconnaître le principe " non bis in idem ", auquel la loi peut déroger, que l'OFII a pu poursuivre la société " Les nouveaux délices " au titre de la contribution spéciale en même temps qu'elle l'a poursuivie au titre de la contribution forfaitaire des frais de réacheminement ;

Sur l'appel incident de l'OFII :

16. Considérant que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;

17. Considérant que si la société " Les nouveaux délices " a été condamnée au versement de la somme de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire de frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile soit pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier, il ne résulte pas de l'instruction que cette même société aurait été condamnée pour les mêmes faits, dans le cadre d'une composition pénale, au versement d'une amende ; que par suite, les premiers juges n'étaient pas fondés à juger que la société " les nouveaux délices " avait fait l'objet, pour l'emploi d'un travailleur étranger en situation irrégulière, d'un cumul de sanction administrative et pénale impliquant que le montant global des sanctions encourues ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une d'entre elles ;

18. Considérant, en outre, qu'il résulte des dispositions combinées des articles précités L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 8256-2 du code du travail, que le montant de 15 000 euros à ne pas dépasser s'applique uniquement aux sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger en situation de séjour irrégulier à l'exclusion des sanctions pécuniaires pour l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail telles que la contribution spéciale issue de l'article L. 8253-1 précité du code du travail ; qu'ainsi, les premiers juges ne pouvaient tenir compte du montant cumulé des contributions forfaitaire et spéciale pour conclure que le montant global des sanctions prononcées à l'égard de la société " Les nouveaux délices " excédait 15 000 euros ;

19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort, que les premiers juges ont déchargé la société " Les nouveaux délices " de la somme de 4 759 euros ; qu'il y a dès lors lieu de rétablir à 19 759 euros le montant dû par la société " Les nouveaux délices " au titre des contributions spéciale et forfaitaire de frais de réacheminement et de réformer en ce sens le jugement attaqué du 8 juillet 2014 ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'OFII qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés par la société " Les nouveaux délices " et non compris dans les dépens ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la société " Les nouveaux délices " le versement à l'OFII de la somme de 1 500 euros ;

DÉCIDE :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société " Les nouveaux délices " dans le cadre de la présente instance.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La somme de 15 000 euros à laquelle la société " Les nouveaux délices " a été condamnée au titre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire de frais de réacheminement, en application du jugement contesté du Tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2014 est rétablie à 19 759 euros.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3.

Article 5 : La société " Les nouveaux délices " versera 1 500 euros à l'OFII sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société " Les nouveaux délices ", à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 mars 2016.

Le rapporteur,

L. d'ARGENLIEULe président,

B. EVEN

Le greffier,

A-L. CALVAIRELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA01697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA01697
Date de la décision : 23/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-07-05-01 Droits civils et individuels.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: M. CANTIE
Avocat(s) : DIXSAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-03-23;14pa01697 ?
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