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23/05/2016 | FRANCE | N°15PA03105

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 23 mai 2016, 15PA03105


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Electricité de Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2011 par lequel le gouvernement de la Polynésie française l'a autorisée à occuper deux emplacements du domaine public fluvial sur le territoire de la commune de Punaauia pour deux forages d'eau.

Par un jugement n° 1100680 du 20 mars 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'avant-dernier paragraphe de cet arrêté, qui a imposé à la soci

té Electricité de Tahiti le paiement d'une redevance d'occupation du domaine public pour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Electricité de Tahiti a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2011 par lequel le gouvernement de la Polynésie française l'a autorisée à occuper deux emplacements du domaine public fluvial sur le territoire de la commune de Punaauia pour deux forages d'eau.

Par un jugement n° 1100680 du 20 mars 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'avant-dernier paragraphe de cet arrêté, qui a imposé à la société Electricité de Tahiti le paiement d'une redevance d'occupation du domaine public pour les années antérieures à 2011. Il a rejeté le surplus des conclusions de la société Electricité de Tahiti.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt n° 12PA03094 du 31 mai 2013, la Cour administrative d'appel de Paris a, à la demande de la Polynésie française, annulé l'article 1er du jugement n° 1100680 du 20 mars 2012 et rejeté l'appel incident de la société Electricité de Tahiti tendant à l'annulation de l'intégralité de l'arrêté du 26 octobre 2011.

Par une décision n° 371592 du 22 juillet 2015, le Conseil d'Etat, saisi par la société Electricité de Tahiti, a annulé l'article 1er de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 31 mai 2013, renvoyé l'affaire à la Cour dans cette mesure, et rejeté le surplus des conclusions de la société Electricité de Tahiti qui tendait à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt par lequel la Cour avait rejeté son appel incident.

Par un mémoire enregistré le 24 novembre 2015, la société Electricité de Tahiti, représentée par MeA..., conclut au rejet de l'appel de la Polynésie française, subsidiairement à ce que l'arrêté du 26 octobre 2011 soit annulé en tant qu'il impose le paiement d'une redevance d'occupation ou d'une indemnité d'occupation pour les années antérieures au 25 octobre 2006 ou au 19 février 2004 et à ce que le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 20 mars 2012 soit réformé en conséquence, enfin à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la convention du 27 septembre 1960 liant la société EDT au Territoire autorise une occupation gratuite du domaine public fluvial ; en revenant unilatéralement sur une situation contractuelle en cours qui avait autorisé cette occupation gratuite, la Polynésie française a méconnu le principe de sécurité juridique ;

- l'article 11 de la délibération du 12 février 2004, qui constitue la base légale de l'arrêté en litige, est illégal car il méconnaît le principe de non-rétroactivité des actes administratifs ;

- les conditions d'une substitution de motifs ne sont pas réunies ; la Polynésie française n'aurait pas pris la même décision si elle avait fait application de l'article 14 de cette délibération ; elle a entendu, en effet, imposer rétroactivement une redevance, et non réclamer une indemnité d'occupation ; l'article 14 de cette délibération s'inscrit nécessairement dans une démarche de poursuite et de réparation du préjudice subi par la collectivité du fait de l'occupation non autorisée du domaine public ; la substitution de motifs ne peut être acceptée dès lors qu'elle a pour seul objet de contourner la garantie que constitue le principe de non rétroactivité des actes administratifs ;

- à titre subsidiaire, si la Cour faisait droit à la demande de substitution de motifs, l'arrêté resterait illégal, pour méconnaissance du principe de non rétroactivité, s'agissant de la période antérieure à la date d'entrée en vigueur de la délibération du 12 février 2004, même si l'article 53 de cette délibération prévoit son application immédiate aux situations en cours ; ce même principe fait obstacle à ce qu'une indemnité puisse être sollicitée pour une période antérieure à la constatation d'une situation prétendument irrégulière : l'indemnité d'occupation ne pourrait commencer à courir qu'après le constat d'une occupation irrégulière par les agents cités à l'article 27 de la délibération du 12 février 2004 ; en tout état de cause, la prescription quinquennale doit s'appliquer en l'espèce, que l'on regarde la somme réclamée comme une redevance ou comme une indemnité ; l'arrêté qui lui a été notifié fait d'ailleurs application de cette prescription, contrairement à la version de l'arrêté publié au Journal officiel de la Polynésie française ; la Polynésie ne peut ainsi, en tout état de cause, demander le versement d'une indemnité d'occupation du domaine public pour une période antérieure au 25 octobre 2006.

Par un mémoire enregistré le 27 janvier 2016, la Polynésie française, représentée par la SCP de Chaisemartin-Courjon, reprend ses conclusions d'appel tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 20 mars 2012 et demande à la Cour de mettre à la charge de la société EDT le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- au motif initial retenu par l'arrêté en litige doit être substitué celui tiré de ce qu'une indemnité d'occupation peut être réclamée à la société EDT pour les années antérieures à 2011, au titre d'une occupation sans autorisation du domaine public fluvial, en application de l'article 14 de la délibération du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ; elle aurait pris la même décision en se fondant initialement sur ce nouveau motif, le montant de l'indemnité correspondant aux redevances qui auraient dû être perçues ; que cette substitution de motifs ne prive la société EDT d'aucune garantie ;

- la créance litigieuse n'est pas soumise à la prescription quinquennale de l'article 22 27 du code civil ;

Par ordonnance du 1er février 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2016.

Un mémoire, présenté par la société Electricité de Tahiti, a été enregistré le 5 mai 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code civil ;

- la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Petit,

- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

1. Considérant que le 5 juin 2008, la société Electricité de Tahiti (EDT) a demandé à la Polynésie française , à titre de régularisation, l'autorisation d'exploiter, pour le fonctionnement de la centrale électrique E. Martin, deux forages utilisés existant respectivement depuis 1986 et 1988 dans la nappe phréatique de la Punaruu, laquelle appartient au domaine public fluvial ; que par un arrêté du 25 octobre 2011, le gouvernement de la Polynésie française a accordé cette autorisation, mais l'a assortie d'une redevance d'occupation du domaine public fluvial, en fonction du volume d'eau pompée, ainsi que d'une obligation de régulariser au même tarif, au titre de l'exploitation passée, les redevances que cette société aurait dû verser depuis la mise en service de ces forages ; que par un jugement du 20 mars 2012, le Tribunal administratif de la Polynésie française, saisi par la société Electricité de Tahiti, a seulement annulé l'avant-dernier paragraphe de cet arrêté, par lequel a été imposé à la société Electricité de Tahiti le paiement d'une redevance d'occupation du domaine public pour les années antérieures à 2011 ; que par un arrêt du 31 mai 2013, la Cour de céans a, à la demande du gouvernement de la Polynésie française, annulé l'article 1er de ce jugement et rejeté l'appel incident de la société Electricité de Tahiti tendant à l'annulation de la totalité de l'arrêté du 26 octobre 2011 ; que par une décision du 22 juillet 2015, le Conseil d'Etat, saisi par la société Electricité de Tahiti, a annulé l'article 1er de l'arrêt du 31 mai 2013, renvoyé l'affaire à la Cour dans cette mesure, et rejeté le surplus des conclusions de la société Electricité de Tahiti qui tendait à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt par lequel la Cour avait rejeté son appel incident ; qu'ainsi, seul reste à juger l'appel principal du gouvernement de la Polynésie française ;

2. Considérant, qu'aux termes de l'article 6 de la délibération du 12 février 2004 susvisée portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public, occuper une dépendance dudit domaine ou l'utiliser dans les limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. " ; qu'aux termes de l'article 10 de cette même délibération : " L'autorité compétente fixe les revenus, -redevances, droits et taxes de toutes sortes dus à raison des autorisations d'occupation et des utilisations de toute nature des dépendances du domaine public. L'autorité compétente tient compte, pour déterminer le montant des redevances dues, des avantages de toute nature procurés à l'occupant " ; que l'article 11 de la même délibération dispose : " La redevance commence à courir à compter de la date mentionnée dans l'arrêté d'autorisation.....Dans le cas où l'occupation est antérieure à l'autorisation, la redevance commence à courir à compter de l'occupation effective....C'est à l'autorité compétente qu'il appartient de déterminer la date d'exigibilité des redevances. " ; que l'article 12 précise " Les revenus, redevances, droits et taxes de toutes sortes, afférents au domaine public de la Polynésie française, recouvrées par le receveur des domaines en vertu de délibérations, arrêtés, décisions ou actes, sont soumis à la prescription quinquennale édictée par l'article 2277 du code civil. Cette prescription commence à courir à compter de la date d'exigibilité des droits et redevances " ; qu'aux termes de l'article 14 de la même délibération : " En outre, les occupations ou utilisations sans titre ni autorisation d'une dépendance du domaine public donnent lieu à recouvrement d'une indemnité dont le montant correspond à la totalité des redevances dont la Polynésie française a été frustrée, le tout sans préjudice de la répression des contraventions de grande voirie " ;

3. Considérant que comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, l'article 11 de la délibération du 12 février 2004 est illégal en tant qu'il autorise, en méconnaissance du principe de non rétroactivité des actes administratifs, la perception de redevances pour les périodes antérieures à l'autorisation d'occupation du domaine public ;

4. Considérant, toutefois, que pour justifier la disposition de l'arrêté litigieux imposant une " régularisation " financière pour les années antérieures à 2011, la Polynésie française demande à la Cour de substituer au motif initialement retenu, tiré de l'application de l'article 11 de la délibération précitée, celui tiré de l'exigibilité des mêmes sommes au titre de l'indemnisation de l'occupation sans titre du domaine public sur le fondement de l'article 14 précité de cette délibération ;

5. Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

6. Considérant qu'il est constant qu'aucune autorisation expresse n'a été accordée à EDT avant le 25 octobre 2011 ; que l'article 7 de l'avenant n° 7 à la convention de concession du 27 septembre 1960 liant la société EDT et le Territoire de la Polynésie française, dont la signature a été autorisée par un arrêté du 17 décembre 1990, ne peut être interprété comme autorisant EDT à utiliser gratuitement le domaine public fluvial sous forme de pompage de l'eau d'un cours d'eau ;

7. Considérant que l'arrêté du 25 octobre 2011 notifié à la société EDT indique que " les redevances ne sont dues qu'à compter du 1er janvier 2006, compte tenu de la prescription quinquennale prévue par l'article 2227 du code civil et rappelée par la délibération du 12 février 2004 " ; que cet arrêté doit ainsi être regardé comme n'imposant le paiement d'une indemnité d'occupation qu'à compter de l'année 2006 ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la Polynésie française n'aurait pas pris en compte les règles de prescription quinquennale manque en fait et doit ainsi, en tout état de cause, être écarté ;

8. Considérant que les dispositions de l'article 14 de la délibération du 12 février 2004 autorisent la Polynésie française à recouvrer une indemnité compensant l'utilisation sans autorisation du domaine public, même en l'absence d'engagement d'une procédure de contravention de grande voirie ; que la société EDT ne peut dès lors être regardée comme ayant été privée des garanties procédurales propres à l'engagement d'une telle procédure ; que, contrairement à ce que soutient la société EDT, la circonstance qu'aucun constat de l'occupation irrégulière n'ait été dressé par l'un des agents assermentés mentionnés à l'article 27 de la délibération du 12 février 2004 est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige, dès lors qu'il est constant que cette occupation irrégulière a commencé avant 2006 ;

9. Considérant que le montant de l'indemnité correspond, en vertu de l'article 14 de la délibération, à celui des redevances qui auraient dû être perçues si l'occupation ou l'utilisation du domaine avait été régulière ; que, ce sont les mêmes sommes que la Polynésie aurait décidé de recouvrer, pour la période antérieure à 2011, si elle s'était fondée initialement sur le motif tiré de l'exigibilité d'une indemnité pour occupation irrégulière, depuis l'origine, du domaine public fluvial ; que dans ces conditions il résulte de l'instruction que le gouvernement de la Polynésie française aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur les dispositions de l'article 14 de la délibération du 12 février 2004 ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 10 ci-dessus que la substitution de motifs demandée par la Polynésie française qui ne prive EDT d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué, doit être accueillie et que l'arrêté du 25 octobre 2011 n'est ainsi pas entaché d'illégalité ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Polynésie française est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a annulé l'arrêté du 25 octobre 2011 en tant que celui-ci a imposé à la société Electricité de Tahiti, pour la période postérieure au 1er janvier 2006, le paiement d'une redevance d'occupation du domaine public ; que les conclusions présentées par la société EDT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Polynésie française au titre des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1100680 du Tribunal administratif de la Polynésie française du 20 mars 2012 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Electricité de Tahiti devant le Tribunal administratif de la Polynésie française est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au gouvernement de la Polynésie française et à la société Electricité de Tahiti.

Copie en sera adressée au Haut commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2016, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- Mme Petit, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 mai 2016.

Le rapporteur,

V. PETITLe président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

P.TISSERAND

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 15PA03105


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 15PA03105
Date de la décision : 23/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-02-01-01-04 Domaine. Domaine public. Régime. Occupation. Utilisations privatives du domaine. Redevances.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: Mme Valérie PETIT
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN LAMOURETTE

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-05-23;15pa03105 ?
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