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12/12/2017 | FRANCE | N°16PA00154

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 12 décembre 2017, 16PA00154


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a implicitement rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 15 juillet 2014 refusant d'autoriser le licenciement de MmeB....

Par un jugement n° 1504115 du 10 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoir

e, enregistrés les 12 janvier 2016 et 3 mai 2017, la société La Poste, représentée par MeD......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société La Poste a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a implicitement rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 15 juillet 2014 refusant d'autoriser le licenciement de MmeB....

Par un jugement n° 1504115 du 10 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 janvier 2016 et 3 mai 2017, la société La Poste, représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1504115 du 10 novembre 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a implicitement rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 15 juillet 2014 refusant d'autoriser le licenciement de Mme B...;

3°) de mettre à la charge de Mme B...le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ensemble des faits reprochés à Mme B...sont établis ;

- chacun des faits reprochés à la salariée constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 octobre 2016 et 12 juillet 2017, Mme B..., représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure disciplinaire engagée à son encontre méconnaît les dispositions législatives et les stipulations conventionnelles, ainsi que les prescriptions définies par la réglementation interne de La Poste, dès lors que les lettres de convocation aux entretiens préalables ne mentionnent pas les fautes qui lui sont reprochées et que le délai d'un mois pour notifier la sanction courant à partir de l'entretien préalable n'a pas été respecté ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La requêté a été communiquée au ministre du travail qui n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., pour la société La Poste, et celles de MeA..., pour MmeB....

1. Considérant que MmeB..., recrutée par la société La Poste par un contrat à durée indéterminée le 11 janvier 2008 en qualité de factrice au sein de la plateforme de distribution du courrier de Paris 11ème, était détachée auprès du syndicat Sud PTT depuis le 1er janvier 2013 et exerçait également le mandat de conseiller du salarié depuis le 14 janvier 2013 ; que la société La Poste a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute ; que, par une décision du 15 juillet 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée ; que le recours hiérarchique formé par la société La Poste contre cette décision a été implicitement rejeté par le ministre du travail ; que la société La Poste relève appel du jugement du 10 novembre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) A défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié. " ;

4. Considérant que, pour solliciter de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder au licenciement de Mme B...pour motif disciplinaire, la société La Poste s'est fondée sur les motifs tirés de ce que Mme B...avait commis des agissements démontrant sa volonté de nuire au bon fonctionnement de l'entreprise et de porter atteinte à la continuité du service public, en particulier en pénétrant sans autorisation à plusieurs reprises dans plusieurs établissements postaux sans prévenir, en prenant la parole sans y avoir été autorisée, en empêchant la distribution d'imprimés électoraux, et enfin en ayant eu des comportements agressifs et tenu des propos injurieux et parfois menaçants à l'encontre d'une directrice d'établissement et d'un animateur de prévention ;

5. Considérant, en premier lieu, que Mme B...conteste avoir effectué, à l'aide d'un téléphone portable, des films et des clichés photographiques du directeur de la direction opérationnelle territoriale du courrier (DOTC) Paris-Nord, lors de l'occupation de son bureau par plusieurs manifestants le 26 mars 2014 ; que, s'il ressort des mentions du procès-verbal de constat d'huissier établi le même jour à la demande de la société La Poste que plusieurs manifestants ont effectivement réalisé des clichés photographiques ou des films à l'aide de téléphones portables, Mme B...n'est pas nommément désignée comme étant l'un des auteurs de ces photographies ou de ces films ; que le témoignage de la directrice de Groupement Distribution du 4 avril 2014 portant sur ces mêmes faits ne cite pas explicitement la salariée comme participant à ces prises de photographies et de films ; que les attestations émanant du directeur de la DOTC et du directeur de groupement en date des 26 mars 2014 et 9 avril 2014 ne contredisent pas sérieusement les mentions du procès-verbal de constat d'huissier qui font foi jusqu'à preuve du contraire ; que, dans ces conditions, les faits reprochés à Mme B...ne peuvent être regardés comme établis et que le doute doit, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 1235-1 du code du travail, bénéficier au salarié ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que pour établir la réalité des propos qu'aurait tenu, le 20 mars 2014, Mme B...à l'encontre de l'animatrice de prévention à la plateforme de distribution du courrier des Invalides accusée par celle-ci de surveiller les agents présents pour le compte de la direction et, le 17 avril 2014 envers la directrice du centre de distribution du courrier de Paris 13ème, la société La Poste produit uniquement des attestations émanant des victimes elles-mêmes, alors que Mme B...a contesté avoir tenu les propos en cause ; que, comme il a déjà été dit, le doute devant profiter au salarié, l'exactitude matérielle des propos injurieux reprochés à Mme B...ne peut être tenue pour établie ;

7. Considérant, en troisième lieu, que Mme B...reconnaît avoir tenu, le 21 mars 2014, à l'encontre de l'animatrice de prévention à la plateforme de distribution du courrier des Invalides des propos visant à dénoncer l'exposition d'un salarié à des manutentions manuelles de charges jugées excessives mais réfute leur caractère menaçant ; que ce dernier ne ressortant pas des pièces versées au dossier, il ne saurait être retenu à l'encontre de Mme B...;

8. Considérant, en quatrième lieu, que Mme B...reconnaît avoir, les 11 et 14 mars 2014, comparé, d'une part, la relation commerciale entre la société La Poste et le parti politique dont les tracts avaient été retirés dans les conditions décrites ci-dessous au point 11 avec le régime de Vichy et, d'autre part, les méthodes des responsables hiérarchiques de la plateforme de distribution du courrier des Invalides à celles de dictatures d'Amérique latine ; que ces propos inappropriés s'inscrivaient respectivement dans le conflit portant sur le retrait des imprimés électoraux susmentionnés et dans un contexte social tendu lié à une réorganisation importante de la distribution du courrier au sein de la société La Poste ; que, dans les circonstances de l'espèce, ces propos n'ont pas excédé les limites admissibles de la polémique syndicale et ne sauraient être regardés comme fautifs ;

9. Considérant, en cinquième lieu, que Mme B...admet avoir tenu des propos proches de ceux qui lui sont reprochés par son employeur envers la directrice de la plate-forme de préparation et de distribution du courrier de Bonvin le 17 mars 2014, lors d'une intervention annoncée de représentants syndicaux en vue de faire signer une pétition en faveur d'une salariée convoquée en commission disciplinaire ; que ces propos tendant à dénoncer la pression managériale ont été prononcés dans un contexte social tendu au sein de l'entreprise ; que, si certains de ces propos sont certes inappropriés, ils ne constituent pas pour autant des menaces, mais relèvent de la liberté d'expression des salariés investis d'un mandat représentatif ; que, par suite, c'est à bon droit que le tribunal a estimé que les faits reprochés à l'intéressée ne revêtaient pas un caractère fautif ;

10. Considérant, en sixième lieu, qu'il est constant que Mme B...a, à quatorze reprises, entre le 10 mars et le 5 mai 2014, pénétré dans des plateformes de distribution du courrier parisiennes, accompagnée d'une ou plusieurs personnes étrangères au service, sans avoir informé préalablement la direction des établissements ni obtenu une autorisation et qu'à l'occasion de deux de ces intrusions, les 28 mars et 2 avril 2014, elle a pris la parole en tant que représentante syndicale sans autorisation ; que, contrairement à ce que fait valoir MmeB..., sa qualité de représentante syndicale, détachée auprès du syndicat SUD PTT, ne lui permettait pas de pénétrer sans autorisation dans les centres postaux de tri parisiens pour s'adresser aux personnels en poste, afin notamment qu'ils s'associent au mouvement de grève au sein de la direction opérationnelle territoriale du courrier des Hauts-de-Seine, initié le 29 janvier 2014 par le syndicat Sud activités postales 92 ; qu'en outre, Mme B...a participé, avec plusieurs autres manifestants, à l'occupation du bureau du directeur de la DOTC Paris-Nord le 26 mars 2014 ; que ces agissements revêtent un caractère fautif ; que, toutefois, il ressort des procès-verbaux de constat d'huissier produits par la société La Poste que ces faits, qui s'inscrivent, comme il vient d'être dit, dans un contexte social tendu, se sont déroulés dans le calme, qu'ils n'ont pas porté atteinte à la liberté individuelle du travail, ni perturbé le fonctionnement du service ; qu'en outre, la société requérante ne justifie d'aucun préjudice résultant de ces faits ;

11. Considérant, en septième et dernier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal de constat dressé le 11 mars 2014 par un huissier de justice à la demande de la société La Poste que MmeB..., qui avait pénétré sans autorisation dans une salle de distribution du courrier du centre de Paris 7ème, a retiré, avec d'autres agents, des documents intitulés " Elections 2014 - Liste Paris Bleu Marine pour le 7ème arrondissement " des liasses d'informations publicitaires ; que Mme B..., qui ne conteste pas ces faits, fait valoir que la société La Poste est soumise à un devoir de neutralité politique et ne peut exiger de ces agents de distribuer de tels documents sans enveloppes opaques ; que, toutefois, les agissements de la salariée ont constitué une entrave à la distribution de ces imprimés à laquelle était tenue l'entreprise en tant que prestataire de service, et, dès lors, revêtent un caractère fautif ; que, néanmoins, il ressort du constat d'huissier susmentionné que l'action de Mme B...a été brève et a cessé dès l'intervention de la directrice de l'établissement ; qu'il est constant que les tracts politiques en cause, qui ne constituent pas des documents électoraux au sens du code électoral, ont simplement été déplacés et ont été par la suite distribués ; que La Poste ne justifie d'aucun préjudice, notamment commercial, qui résulterait de ces agissements ;

12. Considérant que l'ensemble des faits revêtant un caractère fautif commis par Mme B..., tels qu'ils ont été exposés aux points 10 et 11, n'ont pas eu pour effet de porter atteinte à la liberté du travail, au bon fonctionnement de l'entreprise et à la continuité du service public ou encore aux intérêts de la société La Poste ; que, par suite, ces faits ne sauraient présenter un caractère de gravité suffisante pour justifier le licenciement de MmeB..., alors même que la salariée avait déjà fait l'objet d'un blâme en raison de faits en partie similaires le 25 septembre 2013 ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeB..., qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme demandée par la société La Poste au titre des frais qu'elle a exposés ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Poste le versement de la somme que Mme B...demande sur le fondement des mêmes dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société La Poste est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Mme B...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste, à Mme E...B...et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 décembre 2017.

Le rapporteur,

V. LARSONNIER Le président,

S.-L. FORMERY Le greffier,

C. RENE-MINE

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA00154


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00154
Date de la décision : 12/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-01-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Bénéfice de la protection. Délégués syndicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : SCP GRANRUT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2017-12-12;16pa00154 ?
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