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11/12/2018 | FRANCE | N°16PA03432

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 11 décembre 2018, 16PA03432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre de la défense a rejeté son recours préalable formé le 2 février 2015 contre la décision de rejet de sa demande tendant à se voir accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, et d'enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de cette protection fonctionnelle, dans le cadre de l'appel qu'il a interjeté à l'encontre d'une condamnation pénale.

Par un jugemen

t n° 1511924/5-1 du 22 septembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle la ministre de la défense a rejeté son recours préalable formé le 2 février 2015 contre la décision de rejet de sa demande tendant à se voir accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, et d'enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de cette protection fonctionnelle, dans le cadre de l'appel qu'il a interjeté à l'encontre d'une condamnation pénale.

Par un jugement n° 1511924/5-1 du 22 septembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 novembre 2016, M. E...représenté par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1511924/5-1 du

22 septembre 2016 et la décision du 7 juillet 2015 lui refusant l'octroi de la protection fonctionnelle ;

2°) d'enjoindre au ministre de la défense de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il s'est fondé sur l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence pourtant postérieur à la décision en litige ;

- il est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur dans l'appréciation des faits.

Par un mémoire, enregistré le 10 août 2018, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de MmeB...,

- et les observations de Me C...pour M.E....

Considérant ce qui suit :

1. M.E..., capitaine de vaisseau de la Marine nationale, était commandant de la frégate légère furtive " La Fayette " lorsque le 15 juin 2010, au large des côtes siciliennes, son maître d'hôtel s'est suicidé à bord. M. E...a, par un jugement du Tribunal correctionnel de Marseille du 20 janvier 2014 été reconnu coupable des faits de harcèlement moral, dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte aux droits, à la dignité, à la santé ou à l'avenir professionnel d'autrui et condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende. Ce jugement a été confirmé par un arrêt définitif de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 23 mai 2016, condamnant en outre M. E...à verser une somme totale de 75 000 euros aux parties civiles. Par une décision du 25 novembre 2014, la ministre de la défense a rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par M. E...dans le cadre de l'appel qu'il a interjeté à l'encontre du jugement de première instance. M. E...a introduit, le 2 février 2015, un recours administratif préalable obligatoire contre cette décision devant la commission de recours des militaires. Le silence gardé pendant quatre mois par l'administration a fait naître une décision implicite de rejet, à laquelle s'est substituée une décision explicite de rejet du ministre de la défense intervenue le 7 juillet 2015. M. E...fait appel du jugement du 22 septembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du

7 juillet 2015.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué, que les premiers juges, qui ne sont pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés devant eux, ont énoncé de façon complète et précise les motifs qui les ont conduits à rejeter tous les moyens invoqués par M. E...au soutien de sa demande. Par suite, ledit jugement qui est suffisamment motivé n'est pas irrégulier.

Sur le fond :

3. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée par les décisions des juges répressifs, qui s'applique alors même qu'un pourvoi en cassation a été exercé, ne s'attache qu'aux constatations de fait contenues dans leur jugement, qui sont le support nécessaire de son dispositif. En conséquence, l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix du 23 mai 2016, bien que postérieur à la décision contestée, devait nécessairement être pris en compte par les premiers juges s'agissant des constatations de fait qu'il contient. Par suite, les moyens soulevés par M. E...tirés de l'existence d'une erreur de droit à avoir pris en compte l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence postérieur à la décision en litige et de l'existence d'une erreur matérielle concernant ces faits doivent être écartés.

4. En second lieu, il ressort des termes de l'article L. 123-10 du code de la défense en son alinéa 4 que : " L'Etat est également tenu d'accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ".

5. Une faute d'un agent de l'Etat qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci est d'une particulière gravité doit être regardée comme une faute personnelle justifiant que la protection fonctionnelle soit refusée à l'agent, alors même que, commise à l'occasion de l'exercice des fonctions, elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service et qu'un tiers qui estime qu'elle lui a causé un préjudice peut poursuivre aussi bien la responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative que celle de son auteur devant la juridiction judiciaire et obtenir ainsi, dans la limite du préjudice subi, réparation.

6. Il ressort des pièces du dossier, que si une ambiance particulièrement tendue régnait au moment des faits sur la frégate furtive " La Fayette " en raison, notamment, de fortes contraintes opérationnelles, de très nombreux témoignages de marins présents à bord attestent en outre de ce que cette situation résultait, pour l'essentiel, du mode de commandement anormalement sévère et exigeant, imposé par M.E..., capitaine de vaisseau, à l'ensemble de l'équipage et, plus spécifiquement, à M. D..., son maître d'hôtel. Il ressort, en effet, des pièces du dossier que

celui-ci s'était vu confier, en qualité de chef des maîtres d'hôtel, la mission de prendre en charge le carré " commandant ", ainsi que l'entretien, entre autres, de la chambre du commandant, mission qu'il assumait seul, M. E...ayant privé M. D...de l'assistance des deux marins qui travaillaient en principe sous ses ordres. L'appelant a profité de cette situation de proximité avec son maître d'hôtel et de l'isolement de ce dernier pour lui imposer des conditions de travail totalement anormales. Il lui a fixé des tâches, dont il reconnaît lui-même qu'elles ne figuraient pas en principe au nombre des missions dévolues à un maître d'hôtel. Il lui demandait en particulier de dépoussiérer les néons et les plafonds, de lustrer les cuivres du carré commandant, d'en changer le parquet flottant, ou encore de procéder aux travaux de peinture des coursives. Il lui imposait par ailleurs fréquemment une amplitude de travail excessive, pouvant aller, lorsqu'il organisait des réceptions à bord, de 5h45 du matin à 23 heures, alors que certaines de ces réceptions avaient un caractère purement privé et n'entraient pas dans le cadre des actions visant au rayonnement de la marine nationale, dont notamment l'organisation, en janvier et mars 2010, de deux réceptions pour les enfants de M.E..., qui ont réuni 80 personnes environ. Il dénigrait M. D...lors de ces réceptions et l'humiliait publiquement, en renvoyant en cuisine des plats qu'il estimait mal présentés, ou en jetant directement à la poubelle ceux qui ne lui convenaient pas. M. E...n'a témoigné d'aucune reconnaissance, ni empathie à l'égard de M.D..., alors que son état psychologique et physique - l'intéressé ayant perdu plus de dix kilos à l'issue de sa première mission sur le " La Fayette ", entre les mois de juillet et décembre 2009 - laissait pourtant paraitre un intense mal-être. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une autre cause, de quelque nature que ce soit, puisse être à l'origine du suicide de M.D..., lequel avait fait l'objet quelques jours auparavant d'une notation comportant des appréciations très défavorables, en totale discordance avec celles formulées les années précédentes. Il résulte de tout ce qui précède, que ce sont les agissements de M. E...à l'égard de son maître d'hôtel, qui expliquent ce suicide. Compte tenu de leur particulière gravité, et des circonstances dans lesquelles ils se sont produits, ces faits, bien que commis dans le cadre du service, doivent être regardés comme étant constitutifs d'une faute personnelle. Par conséquent, c'est sans commettre une erreur d'appréciation, que la ministre de la défense a considéré que les poursuites pénales engagées à l'encontre de M. E...ne pouvaient lui ouvrir droit à la protection fonctionnelle.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité, que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juillet 2015. Par voie de conséquence, les conclusions de M. E...aux fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des frais de justice sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E...et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Even, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.

Le rapporteur,

L. d'ARGENLIEULe président,

B. EVENLe greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 16PA03432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA03432
Date de la décision : 11/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

08-01-01-08-04 Armées et défense. Personnels militaires et civils de la défense. Questions communes à l'ensemble des personnels militaires.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme ORIOL
Avocat(s) : RICHÉ LOUIS-ROMAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-11;16pa03432 ?
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