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31/12/2018 | FRANCE | N°18PA00146

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 31 décembre 2018, 18PA00146


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2017 par lequel le préfet du Val-de-Marne l'a obligée à quitter le territoire français, lui a refusé le délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de 36 mois.

Par un jugement n° 1718008/8 du 25 novembre 2017 le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Par

is a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2017 par lequel le préfet du Val-de-Marne l'a obligée à quitter le territoire français, lui a refusé le délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de 36 mois.

Par un jugement n° 1718008/8 du 25 novembre 2017 le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2018, MmeA..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1718008/8 du 25 novembre 2017 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 16 novembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de produire son dossier complet ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande était recevable dès lors que l'arrêté en litige ne lui a pas été notifié dans une langue qu'elle comprend et qu'elle n'a pas bénéficié des services d'un interprète ;

- cet arrêté a été signé par une autorité dont la compétence n'est pas établie ;

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision de refus de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée ; le préfet n'a pas visé le texte sur le fondement duquel l'arrêté a été pris ;

- elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations avant son édiction ;

- cette décision méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen au regard de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, dès lors que son état de santé nécessitait une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui n'est pas disponible dans son pays d'origine ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne peut bénéficier du traitement nécessaire à sa prise en charge médicale dans son pays d'origine ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en prenant cette mesure d'éloignement à son encontre, le préfet a méconnu le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la légalité de la décision de refus d'octroi de délai de départ volontaire :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît le considérant 10 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Stoltz-Valette a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que MmeA..., ressortissante chinoise, née le 10 mai 1957 est entrée en France en 2014, selon ses déclarations ; que, par arrêté du 16 novembre 2017, le préfet du Val-de-Marne a notifié à Mme A...par voie administrative le 20 novembre suivant, une obligation de quitter le territoire français, lui a refusé le délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de 36 mois ; que Mme A...relève appel du jugement du 25 novembre 2017, par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté susmentionné ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant (...) III.- En cas de décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Lorsque l'étranger a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 512-2 de ce code : " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend " ; qu'aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " II.- Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour notifiées simultanément " ; qu'aux termes de l'article R. 776-5 du même code : " II. - Le délai de quarante-huit heures mentionné aux articles R. 776-2 et R. 776-4 n'est susceptible d'aucune prorogation " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai ou bien d'une décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision ainsi que de celles qui l'accompagnent le cas échéant ; qu'en fixant à quarante-huit heures le délai dans lequel un recours peut être introduit, le législateur a entendu que ce délai soit décompté d'heure à heure et ne puisse être prorogé ;

4. Considérant qu'il est constant que l'arrêté du 16 novembre 2017, par lequel le préfet du Val-de-Marne a prononcé à l'encontre de Mme A...une obligation de quitter le territoire français sans délai, a été notifié à celle-ci par voie administrative le 20 novembre 2017 à 10h20 ; que le document de notification de cet arrêté comportait l'indication des délais et des voies de recours ouverts contre cet arrêté qu'elle a signé ; que, par ailleurs, le recours formé par Mme A...contre cet arrêté, adressé par télécopie, au Tribunal administratif de Paris, n'est parvenu au greffe de ce tribunal que le 23 novembre 2017 à 21h53, soit au-delà de l'expiration du délai de 48 heures prévu par le II de l'article L. 512-1 précité ; qu'ainsi, la demande de Mme A...a été présentée tardivement ;

5. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une fiche d'écrou du 29 mars 2017 et d'un compte rendu d'hospitalisation de juillet 2017 que Mme A...ne maîtrise pas la langue française et qu'elle a besoin des services d'un interprète ; que le procès verbal d'audition du 31 juillet 2017 mentionne la " langue Mandarin ", et que le procureur de la République informe le directeur de la maison d'arrêt de Fresnes par la fiche d'écrou édictée le 1er août 2017, qu'elle a besoin d'un interprète et que la " langue comprise est le mandarin " ; que seul le placement en rétention a, le 23 novembre 2017, été notifié régulièrement à l'intéressée avec un interprète par téléphone, ce qui lui a permis d'exercer ses droits ; qu'ainsi, Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 25 novembre 2017, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive ; que par suite, ce jugement doit-être annulé ;

6. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A...devant le Tribunal administratif de Paris

Sur la légalité des décisions attaquées :

7. Considérant que lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit être regardé comme mettant en oeuvre le droit de l'Union européenne ; qu'il lui appartient, dès lors, d'en appliquer les principes généraux, qui incluent le droit à une bonne administration ; que, parmi les principes que sous-tend ce dernier, figure celui du droit de toute personne à être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne, ce droit se définit comme le droit de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief ; que ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales ; qu'enfin, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie ;

8. Considérant que Mme A...soutient sans être contestée par le préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas produit de mémoire en défense, que la décision contestée lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, qui ne faisait pas suite à une décision de refus de titre de séjour, a été prise par le préfet sans qu'elle ait été mise à même d'être entendue sur sa situation administrative au regard de la législation sur les étrangers et le droit d'asile ; que par ailleurs il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, qui ne maîtrise pas la langue française, a, le 28 juillet 2017, présenté une demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de malade auprès du préfet de police, en faisant notamment valoir qu'elle a été victime de plusieurs accidents vasculaires cérébraux, et produit divers documents médicaux attestant de la réalité des faits dont elle se prévaut ; qu'il suit de là que Mme A...est fondée à demander l'annulation de la décision du 16 novembre 2017 par laquelle le préfet du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire national ; que l'intéressée est, par voie de conséquence, également fondée à demander l'annulation des décisions du même jour par lesquelles le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans ;

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. Considérant qu'il y a lieu de faire droit aux conclusions de Mme A...tendant à ce que l'autorité administrative compétente, qui est en l'espèce le préfet de police, compte tenu du lieu de résidence de la requérante, procède au réexamen de sa situation administrative dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et la munisse durant cette période d'une autorisation provisoire de séjour ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Mme A...au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1718008/8 du 25 novembre 2017 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 16 novembre 2017 du préfet du Val-de-Marne est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer le droit au séjour de Mme A...dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir durant cette période d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- M. Dalle, président assesseur,

- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

A. STOLTZ-VALETTELe président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18PA00146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00146
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Alexandra STOLTZ-VALETTE
Rapporteur public ?: Mme MIELNIK-MEDDAH
Avocat(s) : NAMIGOHAR

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-31;18pa00146 ?
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