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22/01/2019 | FRANCE | N°17PA03165-17PA03170

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 22 janvier 2019, 17PA03165-17PA03170


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Polynésie française a déféré, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, M. C...B..., gérant de la SARL Libb 2, et M. D...A..., directeur de l'entreprise " Jean-LucA... ", et demandé au tribunal de constater que les faits établis par le procès-verbal n° 2243/GEG/EX dressé le 12 décembre 2013, constituent la contravention prévue et réprimée par la délibération n° 2004-34 de l'assemblée territoriale du 12 février 2004, de condamner en conséquence M. B...et M. A...à lui verser l'ame

nde prévue à cet effet, ainsi que la somme de 21 000 000 F CFP en réparation du domma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Polynésie française a déféré, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, M. C...B..., gérant de la SARL Libb 2, et M. D...A..., directeur de l'entreprise " Jean-LucA... ", et demandé au tribunal de constater que les faits établis par le procès-verbal n° 2243/GEG/EX dressé le 12 décembre 2013, constituent la contravention prévue et réprimée par la délibération n° 2004-34 de l'assemblée territoriale du 12 février 2004, de condamner en conséquence M. B...et M. A...à lui verser l'amende prévue à cet effet, ainsi que la somme de 21 000 000 F CFP en réparation du dommage, et de prendre en charge les entiers dépens ainsi que le versement d'une somme de 20 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1400066 du 27 août 2014 le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la SARL Libb 2 et l'entreprise " Jean-LucA... " à payer solidairement à la Polynésie française une amende de 150 000 (cent cinquante mille) francs CFP, ainsi qu'une somme de 21 000 000 (vingt et un millions) francs CFP correspondant au montant des frais de la remise en état du domaine public maritime.

Par un arrêt nos 14PA04696, 14PA05106 du 4 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et condamné la société Libb 2 au versement des mêmes sommes.

Par une décision n° 404068 du 22 septembre 2017, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la société Libb 2, a annulé l'arrêt nos 14PA04696, 14PA05106 du 4 juillet 2016 et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 20 novembre 2014 sous le n° 14PA04696 la SARL LIBB 2 demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 août 2014 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de la relaxer des faits de contravention de grande voirie ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 300 000 F CFP à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le principe du contradictoire a été méconnu dès lors que le tribunal s'est fondé sur un moyen, la péremption de l'autorisation, soulevé trois jours avant l'audience, le jour de la clôture de l'instruction et auquel elle n'a pu répondre ;

- le jugement est entaché d'insuffisance de motivation dans la mesure où il n'indique pas pourquoi la SARL LIBB 2 ne pourrait " utilement " soulever de moyen à l'encontre du cahier des charges de la convention d'occupation du domaine public ;

- il est entaché d'omission à statuer puisqu'il n'a pas répondu au moyen soulevé à l'encontre de ce cahier des charges ;

- dès lors que la procédure de contravention de grande voirie est soumise aux principes de la procédure pénale le tribunal, qui était lié par l'acte par lequel il était saisi, ne pouvait condamner la SARL LIBB 2 sur un autre fondement, de surcroît invoqué juste avant l'audience ; la procédure méconnait ainsi les stipulations de l'article 6-3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le jugement est contraire à l'article 7 de la convention d'occupation du domaine public signée le 19 février 2008 et prise pour l'application de l'autorisation du 30 août 2007 puisque cet article 7 prévoit que la résiliation d'autorisation d'occupation du domaine public interviendra après commandement resté infructueux, et qu'aucun commandement n'a été adressé en l'espèce ;

- l'article V du cahier des charges annexé à la convention qui prévoit qu'une déchéance pourra intervenir si les travaux autorisés ne sont pas achevés dans un délai de trois ans, est entaché d'incompétence dès lors qu'il s'agit d'un régime de caducité que seul le conseil des ministres pouvait instaurer et non le vice-président de la Polynésie française ou ses services ; que si la convention prévoyant ce régime reprend une convention type approuvée le 19 août 1983, cette convention type n'a jamais été publiée et n'est donc pas opposable ;

- il est constant que le conseil des ministres, seul compétent en la matière, n'a pas entendu révoquer l'autorisation accordée à la SARL LIBB 2 ;

- le jugement qui retient que la SARL LIBB 2 n'a pas transmis à l'administration les éléments demandés est de ce fait entaché d'erreur de fait.

Par un mémoire enregistré le 19 mai 2016 la Polynésie française conclut au rejet de cette requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la SARL LIBB 2 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré sous le n° 17PA03165 le 5 octobre 2017 la Polynésie française conclut aux mêmes fins que précédemment et à ce que la somme mise à la charge de la société Libb 2 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 3 000 euros.

Elle indique que les conclusions prononcées par le rapporteur public devant le Conseil d'Etat ne peuvent conduire qu'au rejet de la requête.

II. Par une requête enregistrée le 27 novembre 2014 sous le n° 14PA05106 et des mémoires complémentaires enregistrés les 28 mai 2015, 9 décembre 2015, 5 et 26 mai 2016, la SARL LIBB 2 demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 août 2014 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 150 000 F CFP à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la contravention de grande voirie est entachée d'irrégularité puisqu'elle n'a pas été notifiée dans le délai de dix jours prévu par l'article L.774-2 du code de justice administrative et qu'elle l'a été dans un délai portant atteinte aux droits du prévenu ;

- la saisine du tribunal est irrégulière dès lors que c'est la notification de la contravention de grande voirie qui aurait dû être enregistrée comme une requête, alors que le président de la Polynésie française a présenté une requête ultérieurement en joignant seulement la contravention de grande voirie ;

- la procédure est irrégulière en ce que la SARL LIBB 2 s'est vu accorder un délai d'un mois pour présenter ses observations au tribunal à une date où celui-ci n'était pas encore saisi ;

- le procès-verbal est irrégulier : il comporte deux dates, le 25 avril 2013 et le 12 décembre 2013, il n'a donc pas date certaine et ne peut servir de fondement aux poursuites ;

- la SARL LIBB2 justifiait bien d'une autorisation de réaliser des travaux de déblais, consentie par décision du 31 janvier 2008 ;

- le tribunal a, à tort, retenu l'existence d'une déchéance alors que la SARL LIBB2 avait bien demandé le renouvellement de l'autorisation d'occupation dont elle était titulaire ;

- la Polynésie française ne pouvait implicitement refuser la demande de renouvellement d'autorisation de la SARL LIBB 2 alors qu'une telle décision est soumise à une exigence de motivation ;

- un tel refus est en tout état de cause illégal dès lors qu'il n'aurait pu être opposé que pour des motifs liés à la police du domaine ou à sa meilleure utilisation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

- aucune décision de déchéance n'a pu valablement intervenir alors que la procédure de renouvellement était en cours ;

- le ministre des affaires foncières n'était pas compétent pour prononcer cette déchéance qui, si elle était prévue par le cahier des charges de l'autorisation, ne l'était pas par la règlementation relative au domaine public et notamment par la délibération n° 2004-34 APF portant composition et administration du domaine public en Polynésie française et qui n'aurait pu être décidée que par le conseil des ministres, seul compétent pour accorder les autorisations d'occupation du domaine public, et par suite, en application du parallélisme des formes, pour les retirer ; la décision du 20 octobre 2010 relative à la déchéance est donc entachée d'illégalité ;

- le tribunal a entaché sa décision d'erreur de fait dès lors qu'il retient que le volume de 6 300 m3 retenu correspond au chiffre annoncé par la société LIBB 2 elle-même alors que ce chiffre inclut le volume de 2 297 m2 correspondant aux travaux à réaliser dans le chenal, sur la parcelle voisine ;

- aux termes de la jurisprudence de la Cour l'extraction de matériaux coralliens dans le lagon de Bora-Bora n'est pas réprimée ;

- le procès-verbal de contravention de grande voirie est entaché d'erreur dès lors qu'il fait état de travaux sur le domaine public maritime au droit de la parcelle cadastrée CA n°8 alors que les parcelles litigieuses cadastrées CA 17 et CA19 sont attenantes à la parcelle CA N°8 mais n'en font pas partie ;

- le procès-verbal est insuffisamment précis puisque ne comportant aucune photo et n'indiquant pas le mode de calcul de la superficie et de la profondeur du bassin devant selon lui être dragué ;

- la Polynésie française ne peut évaluer la remise en état des lieux à un tarif de

3 000 FCFP par m3 alors que l'arrêté 547 CM du 23 mai 1996 fixe un tarif règlementaire de 400 F CFP par m3 ;

- si l'article V du cahier des charges signé le 19 février 2008 prévoit une possibilité de déchéance si les travaux ne sont pas exécutés dans un délai de trois ans, l'article XI du même document prévoit que la révocation de l'autorisation, dans cette hypothèse, ne constitue qu'une possibilité, que la Polynésie française n'a pas entendu utiliser en l'espèce ; qu'aucune caducité automatique ne peut lui être opposée ; il est au contraire constant que l'administration a entendu maintenir en vigueur l'autorisation dont elle était titulaire ;

- dès lors que l'extraction de matériaux coralliens n'est pas interdite à Bora Bora, elle ne nécessite pas d'autorisation particulière et l'absence d'une telle autorisation n'est dès lors constitutive d'aucune infraction.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 octobre 2015 et 16 juin 2016, la Polynésie française conclut au rejet de cette requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Libb 2 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 17 mai et 22 décembre 2018 sous le n° 17PA03170, la société Libb 2 conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Polynésie française en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient en outre que :

- le rapporteur public devant le Conseil d'Etat contredit le raisonnement consistant à considérer que l'extraction de matériaux coralliens dans le lagon de Bora-Bora n'est pas pénalement réprimé faute de réglementation précise, uniquement pour des raisons idéologiques ;

- la Cour ne devra pas réitérer l'omission de statuer commise dans l'arrêt cassé, à savoir l'absence de condamnation, séparée ou solidaire, ou même de relaxe de l'entreprise Jean-LucA....

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pena,

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 17PA03165 et 17PA03170 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger certaines questions identiques. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le gouvernement de la Polynésie française a déféré comme prévenus d'une contravention de grande voirie M. B... et M.A..., respectivement gérant de la société Libb 2 et directeur de l'entreprise Jean-LucA..., auxquels il était reproché d'avoir réalisé des travaux d'extraction de matériaux coralliens sur le domaine public maritime, consistant dans le dragage d'un bassin d'une superficie estimée à 2 100 m² pour un volume estimé à 6 300 m3, au droit de la terre " Tevaitapuhuaraau ", cadastrée section CA n° 8, au PK 15,8 sur le territoire de la commune associée de Faanui à Bora Bora, sans autorisation administrative. Par un jugement du 27 août 2014, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la société Libb 2 et l'entreprise Jean-Luc A...à payer solidairement au gouvernement de la Polynésie française une amende de 150 000 francs CFP au titre de l'action publique et à lui verser la somme de 21 000 000 francs CFP correspondant au montant des frais de la remise en état du domaine public maritime au titre de l'action domaniale. Par un arrêt du 4 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française pour irrégularité puis, évoquant l'affaire, a condamné la seule société Libb 2 au versement des mêmes sommes. Par une décision du

22 septembre 2017, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la société Libb 2, a annulé l'arrêt du 4 juillet 2016 pour méconnaissance du principe du contradictoire, après que la Cour a omis d'adresser certains éléments de procédure à celui de ses deux avocats que la société Libb 2 avait pourtant désigné comme mandataire unique, et renvoyé l'affaire devant elle.

Sur la régularité du jugement :

3. Le moyen tiré de la déchéance de l'autorisation d'occupation du domaine public maritime consentie par l'arrêté du 30 août 2007, sur lequel s'est fondé le tribunal, a été soulevé pour la première fois par la Polynésie française dans un mémoire enregistré le 26 juin 2014 soit quatre jours avant l'audience qui s'est tenue le 1er juillet 2014. Dès lors, compte tenu de la clôture automatique de l'instruction, la société Libb 2 n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur ce moyen avant l'audience et n'a pu y répondre que par notes en délibéré. Le jugement contesté a ainsi été rendu au terme d'une procédure méconnaissant le principe du contradictoire, et est en conséquence entaché d'irrégularité. La société Libb 2 est par suite fondée à en demander l'annulation sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de son irrégularité.

4. Il y a lieu par suite d'évoquer et de statuer immédiatement sur la requête n° 1400066 présentée devant le Tribunal administratif de la Polynésie française.

Sur la régularité du procès-verbal d'infraction :

5. Aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative dans sa version alors applicable : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. Pour le domaine public défini à l'article L. 4314-1 du code des transports, l'autorité désignée à l'article L. 4313-3 du même code est substituée au représentant de l'Etat dans le département. Pour le domaine public défini à l'article L. 4322-2 dudit code, l'autorité désignée à l'article L. 4322-13 du même code est compétente concurremment avec le représentant de l'Etat dans le département. La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception... ". Aux termes de l'article L. 774-11 du même code : " Pour l'application des articles L. 774-1 à L. 774-8 en Polynésie française : 1° Dans l'article L. 774-2, le mot : " préfet " est remplacé par les mots : " haut-commissaire " ; 2° Le délai de quinze jours prévu à l'article L. 774-2 est porté à un mois ; 3° Le délai d'appel de deux mois prévu à l'article L. 774-7 est porté à trois mois ".

6. La société Libb 2 réitère devant la Cour l'ensemble des moyens tirés de l'irrégularité dont serait entaché le procès-verbal d'infraction du 12 décembre 2013. Il y a lieu d'écarter ces différents moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 5 à 10 de leur jugement, en l'absence d'éléments de fait ou de droit nouveau invoqué par l'appelant.

Sur l'action publique :

7. D'une part, aux termes de l'article 2 de la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public naturel comprend : le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer, des lais et relais de mer, des étangs salés communiquant librement ou par infiltration ou par immersion avec la mer, du sol et du sous-sol des eaux intérieures dont les havres et rades non aménagés et les lagons jusqu'à la laisse de basse mer sur le récif côté large, du sol et du sous-sol des golfes, baies et détroits de peu d'étendue, et du sol et du sous-sol des eaux territoriales (...)". Aux termes de l'article 6 de la même délibération : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public, occuper une dépendance dudit domaine ou l'utiliser dans les limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous...". L'article 27 de ladite délibération dispose par ailleurs que : " Les infractions à la réglementation en matière de domaine public (...) constituent des contraventions de grande voirie et donnent lieu à poursuite devant le tribunal administratif, hormis le cas des infractions à la police de la conservation du domaine public routier qui relèvent des juridictions judiciaires. Les contrevenants pourront être punis des peines d'amende ou des peines privatives ou restrictives de droit, telles que définies dans le code pénal pour les contraventions de la cinquième classe. En cas de récidive, le montant maximum de l'amende pourra être doublé. En outre, l'auteur d'une contravention de grande voirie pourra être tenu de réparer le dommage causé, au besoin sous astreinte ".

8. D'autre part, aux termes de l'article 47 de la loi organique du 27 février 2004 : " (...) Le domaine public maritime de la Polynésie française comprend, sous réserve des droits de l'Etat et des tiers, les rivages de la mer, y compris les lais et relais de la mer, le sol et le sous-sol des eaux intérieures, en particulier les rades et les lagons, ainsi que le sol et le sous-sol des eaux territoriales... ".

9. Il résulte de ces dispositions que le sol et le sous-sol des eaux intérieures, en particulier les rades et les lagons ont été affectés, par le législateur organique, au domaine public maritime de la Polynésie française. Il s'ensuit que, contrairement à ce que persiste à soutenir la société requérante, ils entrent dans le champ d'application de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française. Il résulte également clairement de l'article 6 de ladite délibération, que tous travaux d'extraction sont soumis à une autorisation préalable, que la nécessité de celle-ci soit ou non rappelée dans l'arrêté portant autorisation d'occupation du domaine public. La circonstance que l'arrêté n° 1253 CM du 30 août 2007 n'impose en son article 4G le dépôt d'une demande d'autorisation d'extraction de sable que pour l'aménagement de la seule plage, est dès lors sans incidence sur la nécessité d'une telle autorisation pour les travaux d'extraction liés à la réalisation de la marina. Par ailleurs, ledit arrêté par lequel la société Libb 2 est seulement " autorisée à occuper, à titre temporaire et révocable, deux emplacements du domaine public maritime, d'une emprise totale de 9 295 m2, (....) " ne peut, alors même que cette autorisation est expressément consentie en vue de l'aménagement d'une marina et de la réalisation d'une plage, être regardé comme autorisant implicitement les travaux d'extraction qu'impliquent ces réalisations.

10. Si la société Libb 2 se prévaut également des autorisations d'urbanisme qui lui ont été accordées les 4 juin 2007 et 31 janvier 2008 pour réaliser des travaux de terrassement en vue de la réalisation d'une base à terre sur la parcelle en question, de tels permis de travaux immobiliers, qui relèvent de législations distinctes et sont soumises à des procédures indépendantes, ne sauraient tenir lieu de l'autorisation d'extraction exigée au titre de la règlementation sur la domanialité publique.

11. Enfin, si la société Libb 2 tente aussi de faire valoir que les opérations d'extraction en cause consistaient en réalité à déblayer, et que les matériaux extraits ont été réutilisés dans la zone de concession d'occupation du domaine public comme matériaux de remblai, cette argumentation ne saurait prospérer dès lors que, tout comme les extractions dont il n'est pas précisé que leur sort serait différent selon que les matériaux extraits sont ou non transportés hors de la zone d'extraction, les remblaiements sont soumis à autorisation préalable expresse, en vertu de l'article 6 précité de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du

12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française.

12. Il résulte de ce qui précède que la Polynésie française est fondée à soutenir que les travaux litigieux d'extraction ont été réalisés sans autorisation et peuvent dès lors faire l'objet d'une procédure de contravention de grande voirie, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur l'éventuelle déchéance de l'arrêté d'autorisation d'occupation du domaine public du

30 août 2007 en application de l'article 5 du cahier des charges annexé à la convention d'occupation du domaine public en date du 19 février 2008. Il y a lieu, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, d'infliger à la société Libb 2 et à l'entreprise " Jean-LucA... " une amende d'un montant de 150 000 F CFP.

Sur l'action domaniale :

13. L'auteur d'une contravention de grande voirie doit être condamné à rembourser à la collectivité publique concernée le montant des frais exposés ou à exposer par celle-ci pour les seuls besoins de la remise en état de l'ouvrage endommagé. Il n'est fondé à demander la réduction des frais mis à sa charge que dans le cas où le montant des dépenses engagées en vue de réparer les conséquences de la contravention présente un caractère anormal.

14. Les mentions du procès-verbal de contravention de grande voirie, établi par un agent assermenté, font foi jusqu'à preuve du contraire. Si la société Libb 2 conteste l'évaluation faite dans ce document de la superficie du bassin dragué et de sa profondeur, elle ne justifie pas, par les pièces versées au dossier, du caractère erroné de ces évaluations. Elle n'établit pas non plus que, comme elle le soutient, la remise en état des lieux n'impliquerait pas la location de matériel à un taux horaire de 10 000 F CFP, ni pour une durée de 210 heures, ou, à supposer que la collectivité dispose dans son parc à matériel des engins nécessaires, que leur usage pour remettre les lieux en l'état ne pourrait faire l'objet d'une tarification à hauteur des chiffres retenus. Enfin, si elle soutient que le tarif de 3 000 F CFP par mètre cube de matériaux coralliens à fournir serait excessif, la seule référence à un tarif règlementaire fixé par arrêté n° 547 CM du 23 mai 1996 qui fixerait une redevance de 400 FCFP par mètre cube extrait, ne suffit pas à établir ce caractère excessif alors surtout que la Polynésie française produit un devis établi par l'entreprise Jean-Luc Thane, bénéficiaire avec la société Libb 2 de l'autorisation d'occupation du domaine public du 30 août 2007 qui évaluait à 3 000 F CFP par mètre cube le coût d'un remblaiement en matériaux extraits. Il y a donc lieu de condamner les deux entreprises intéressées à payer à la Polynésie française la somme de 21 000 000 F CFP au titre de la remise en état des lieux.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la Polynésie française qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Libb 2 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Libb 2 la somme de 1 500 euros que la Polynésie française demande sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1400066 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : La société Libb 2 et la société " Jean-LucA... " sont solidairement condamnées à verser à la Polynésie française une amende de 150 000 F CFP ainsi qu'une somme de 21 000 000 F CFP au titre de la remise en état du domaine public maritime.

Article 3 : La société Libb 2 versera à la Polynésie française la somme de 1 500 euros de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Libb 2 présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Libb 2, à la société " Jean-LucA... ", et au gouvernement de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 22 janvier 2019.

Le rapporteur,

E. PENALe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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nos 17PA03165, 17PA03170


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03165-17PA03170
Date de la décision : 22/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Eléonore PENA
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : EFTIMIE-SPITZ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-01-22;17pa03165.17pa03170 ?
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