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28/05/2019 | FRANCE | N°17PA03728

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 28 mai 2019, 17PA03728


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 18 décembre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a accordé à la société Européenne Logistique Distribution (ELD) l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1601308/1 du 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017, l

a société Européenne Logistique Distribution, représentée par Me D..., puis par LS Avocats, dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 18 décembre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a accordé à la société Européenne Logistique Distribution (ELD) l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1601308/1 du 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017, la société Européenne Logistique Distribution, représentée par Me D..., puis par LS Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. C...devant le tribunal administratif de Melun ;

2°) de mettre à la charge de M. C...une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur l'absence de sanction antérieure qui ne constitue pas une condition légale ;

- les insultes proférées par M. C...qui avait déjà manifesté à plusieurs reprises son agressivité sont inacceptables.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2018, M.C..., représenté par Me F..., puis par la SELARL Lexactus, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Européenne Logistique Distribution la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les témoignages avancés par la direction, qui émanent de salariés sous son autorité, sont contradictoires et peu crédibles ;

- l'altercation est isolée, elle est survenue dans un contexte de forte tension sociale, et les seuls propos établis ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2018, le ministre du travail s'associe aux conclusions de la société Européenne Logistique Distribution et s'en rapporte à ses écritures de première instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 29 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bernier,

- les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public,

- et les observations de Me B...représentant la société Européenne Logistique Distribution.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...travaillait en qualité de conducteur de poids lourds pour la société Européenne Logistique Distribution depuis le 24 septembre 2010. Il avait été élu délégué du personnel le 27 novembre 2014. Le 4 juin 2015 son employeur a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier en invoquant un motif disciplinaire. Par une décision du

29 juin 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Saisi par la société Européenne Logistique Distribution d'un recours hiérarchique, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, le 18 décembre 2015, annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M.C.... La société Européenne Logistique Distribution relève appel du jugement du 6 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cette dernière décision.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié " ;

3. Pour annuler la décision prise par l'inspecteur du travail de refuser l'autorisation de licencier M.C..., le ministre chargé du travail a retenu que ce salarié avait eu un comportement outrancier à l'égard de son employeur lors d'une altercation survenue le

27 mars 2015, et qu'il ressortait du témoignage de deux employés que l'injure " enculé " avait été prononcée. Le ministre a estimé que ce dernier fait justifiait à lui seul le licenciement.

M. C...en conteste la matérialité.

4. M. C. dont le témoignage est produit par la société, qui travaillait au guichet dans le hall d'accueil de l'entreprise où s'est produit l'incident, fait état d'une " vive altercation " au cours de laquelle M. C..." rouge de colère, aurait crié bruyamment et insulté " son employeur. Le délégué du personnel aurait recherché l'affrontement physique et le témoin, en s'interposant, " aurait évité au chef d'entreprise de se faire taper dessus ". A la fin de l'altercation, M.C..., " très énervé ", aurait " fixé hargneusement " l'employeur en proférant l'insulte " tu n'es qu'un enculé ". M. C...aurait ensuite quitté les lieux en compagnie de

M. M. qui avait assisté à la discussion. M. G., autre témoin de l'employeur, qui n'était pas dans le hall, a quant à lui attesté que M.C..., qui " hurlait ", avait " violemment pris à partie " le chef d'entreprise et qu'il avait prononcé l'insulte au moment où il sortait. M. C...produit pour sa part le témoignage de M. M., présent au moment des faits, qui décrit une scène au cours de laquelle le ton est progressivement monté, et qui donne sa version de la teneur des échanges. Ce dernier témoin affirme que M. C...n'a pas prononcé l'insulte rapportée par ses deux collègues et souligne que M. G. n'a pas assisté à la scène.

5. Un examen de la scène enregistrée par vidéo surveillance ne permet pas en lui-même, en l'absence de bande sonore, de déterminer si M. C...a ou n'a pas proféré l'injure qui motive l'autorisation de licenciement. Cependant, l'attitude des protagonistes n'est pas celle décrite par les témoignages produits par l'employeur. La vidéo montre que la discussion qui s'est engagée entre le chef d'entreprise et le représentant du personnel, qui recueillait dans le hall d'entrée les signatures des salariés à l'appui d'une pétition, s'est peu à peu échauffée, avant que la conversation se poursuive sans acrimonie manifeste entre l'employeur, un gobelet de café à la main, M.C..., et M. M., sur le seuil de la porte puis à l'extérieur des locaux. Il n'y a pas eu de violence physique, ni de postures d'intimidation, ni autant que l'on puisse en juger de hurlements. Par ailleurs, ainsi que l'a relevé l'inspecteur du travail après avoir entendu les témoins, le témoignage de M.A..., qui atteste que l'injure a été proférée alors que le chef d'entreprise et le délégué du personnel discutaient dans le hall d'entrée à un moment où M.A..., absent sur la vidéo, n'était pas dans les locaux, et le témoignage de M. A...dont les déclarations ont varié et qui prétend avoir entendu les propos échangés depuis un entrepôt voisin, ne coïncident pas.

6. Ainsi donc, les deux témoignages de salariés, soumis à un lien de subordination hiérarchique à l'employeur, produits par la société ont quelque peu déformé les faits pour conférer à l'incident un caractère plus dramatique que celui qui se révèle au visionnage de la vidéo de surveillance. En outre, l'un des témoins de l'employeur n'était pas présent dans le hall d'entrée au moment des échanges verbaux. Le caractère sincère et véridique des témoignages contradictoires analysés au point 4 étant sujet à caution, les pièces du dossier ne permettent pas de tenir pour certain que M. C...a traité publiquement son employeur d'enculé. Le doute sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre M. C... doit profiter au salarié en application des dispositions du dernier alinéa de l'article

L. 1235-1 du code du travail. Dans ces conditions, la matérialité des faits retenus par le ministre n'est pas établie.

7. Pour le surplus, s'il est constant que M. C...dans le feu de la discussion a traité son employeur de " charlot ", cet emportement, pour regrettable qu'il soit, n'a eu pour témoins que deux salariés. Il ne présente pas, dès lors que l'altercation a présenté un caractère purement verbal, un caractère de gravité suffisant pour que soit accordée l'autorisation de le licencier. Il n'est pas par ailleurs établi que le salarié se serait signalé dans le passé par son agressivité ou sa grossièreté, les affirmations des deux salariés produites par le chef d'entreprise n'emportant pas la conviction en raison de leur formulation convenue et de leur imprécision sur ce point.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Européenne Logistique Distribution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision contestée. Ses conclusions aux fins d'annulation doivent par suite être rejetées.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.C..., qui n'est pas la partie perdante, le versement de la somme demandée par la société Européenne Logistique Distribution au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Européenne Logistique Distribution une somme de 1 500 euros à verser à M. C...sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Européenne Logistique Distribution est rejetée.

Article 2 : La société Européenne Logistique Distribution versera à M. C...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Européenne Logistique Distribution, à M. E... C...et au ministre du travail. Copie en sera adressée pour information au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile de France (unité territoriale de Seine et Marne -section 3-10T)

Délibéré après l'audience du 14 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Bouleau, premier vice-président,

- M. Bernier, président assesseur,

- Mme Pena, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 28 mai 2019.

Le rapporteur,

Ch. BERNIERLe président,

M. BOULEAU

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 17PA03728


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03728
Date de la décision : 28/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : SIMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-05-28;17pa03728 ?
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