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29/05/2019 | FRANCE | N°18PA02541

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 29 mai 2019, 18PA02541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 janvier 2018 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer pendant ce réexamen une autorisation provisoire de sé

jour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de l'admettre provis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 janvier 2018 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer pendant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 1802140/6-2 du 16 avril 2018, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a admis Mme A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2018, Mme A..., représentée par

MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802140/6-2 du 16 avril 2018 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 janvier 2018 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat, MeC..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen approfondi de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations avant son édiction ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2018, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 5 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Stoltz-Valette a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., ressortissante géorgienne née le 3 janvier 1989 à Tbilissi en Géorgie, est entrée sur le territoire français le 19 avril 2016 selon ses déclarations. Par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 25 juillet 2017 confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 décembre 2017, sa demande tendant à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié ou accordé le bénéfice de la protection subsidiaire a été rejetée. Par un arrêté en date du 17 janvier 2018, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A...relève appel du jugement du 16 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant notamment à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment le 6° du I de son article L. 511-1 dont il est fait application, et indique, d'une part, que la demande d'asile de Mme A...a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 25 juillet 2017, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 4 décembre 2017, d'autre part, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, la décision litigieuse est suffisamment motivée, nonobstant la circonstance qu'elle ne mentionne pas la présence en France de l'époux et de l'enfant mineur de MmeA....

3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision litigieuse qui est suffisamment motivée, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen approfondi de la situation de Mme A...avant de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français.

4. En troisième lieu, si aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.

5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

6. Lorsqu'il présente une demande d'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il pourra faire l'objet d'un refus de titre de séjour et, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé d'une mesure d'éloignement du territoire français. Il lui appartient, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Il lui est loisible, tant au cours de l'instruction de sa demande, qu'après que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile aient statué sur sa demande d'asile, de faire valoir auprès de l'administration toute information complémentaire utile.

7. Mme A...a été entendue par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile et pouvait faire valoir à tout moment auprès de la préfecture les éléments pertinents relatifs à son séjour en France. L'intéressée n'allègue ni n'établit qu'elle aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ou qu'elle aurait été empêchée de présenter ses observations avant que ne soit prise la mesure d'éloignement litigieuse. Par suite, le préfet de police, qui n'était pas tenu d'inviter Mme A...à formuler des observations avant l'édiction de cette mesure, ne l'a pas privée de son droit à être entendue.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Mme A...fait valoir qu'elle ne représente pas une menace pour l'ordre public et séjourne en France avec son époux et leur enfant. Toutefois, Mme A...est entrée en France le 19 avril 2016 selon ses déclarations et justifiait à la date de la décision litigieuse d'une durée de séjour limitée à un an et 9 mois. En outre, l'intéressée et son époux sont en situation irrégulière sur le territoire français. Enfin, Mme A...ne fait état d'aucune circonstance particulière qui ferait obstacle à ce que sa vie familiale se poursuive dans son pays d'origine, où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de 23 ans, avec son époux, également de nationalité géorgienne. Dans ces conditions, la décision litigieuse n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

10. En cinquième et dernier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, publiée par décret du 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

11. Mme A...fait valoir que sa fille, Mira Shamoev, est scolarisée en classe de maternelle. Toutefois, la décision litigeuse n'aura pas pour effet de séparer Mira Shamoev de l'un de ses deux parents dès lors que l'époux de MmeA..., de même nationalité, est également en France en situation irrégulière. En outre, l'intéressée n'allègue ni n'établit que sa fille serait dans l'impossibilité de poursuivre sa scolarité en Géorgie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, la décision litigieuse vise les textes applicables, notamment l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et indique que Mme A...n'établit pas être exposée à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine ou dans son pays de résidence habituelle où elle est effectivement admissible. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse manque en fait.

13. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

14. Mme A...fait valoir qu'elle sera exposée en cas de renvoi en Géorgie à des traitements inhumains et dégradants en raison de son appartenance à la communauté yézide et des opinions politiques de son époux. Toutefois, elle n'établit pas qu'elle serait personnellement exposée à de tels traitements en se bornant à citer des extraits de rapports généraux concernant la Géorgie et à réitérer les déclarations faites devant l'OFPRA et la CNDA qui ne lui ont accordé ni la qualité de réfugié ni le bénéfice de la protection subsidiaire. Dans ces conditions, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 janvier 2018 du préfet de police. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B...A....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Dalle, président,

- Mme Notarianni, premier conseiller,

- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 29 mai 2019.

Le rapporteur,

A. STOLTZ-VALETTELe président,

D. DALLE

Le greffier,

C. MONGISLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02541
Date de la décision : 29/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. DALLE
Rapporteur ?: Mme Alexandra STOLTZ-VALETTE
Rapporteur public ?: Mme MIELNIK-MEDDAH
Avocat(s) : DE CLERCK

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-05-29;18pa02541 ?
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