La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2019 | FRANCE | N°18PA01071

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 04 juillet 2019, 18PA01071


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle n° 2 du Val-de-Marne a autorisé la société Ricoh France SAS à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision du 16 septembre 2016 par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre cette décision.

Par un jugement n° 1607932 du 2 février 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté

sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2018,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle n° 2 du Val-de-Marne a autorisé la société Ricoh France SAS à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision du 16 septembre 2016 par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique dirigé contre cette décision.

Par un jugement n° 1607932 du 2 février 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 mars 2018, M. A..., représenté par Me Tourniquet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1607932 du tribunal administratif de Melun du 2 février 2018 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail du Val-de-Marne a autorisé la société Ricoh France SAS à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision du 16 septembre 2016 par laquelle le ministre en charge du travail a rejeté son recours hiérarchique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 16 septembre 2016 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique est insuffisamment motivée dès lors que le ministre ne s'est pas prononcé sur tous les moyens relatifs à la régularité de la procédure ayant conduit à l'autorisation de licenciement ;

- la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité dès lors que la demande d'autorisation n'a pas été précédée d'une nouvelle consultation du comité d'entreprise bien que l'employeur a été informé de ses candidatures aux élections professionnelles organisées le 22 mars 2016 ;

- la procédure de licenciement est viciée dès lors que le retrait de la première demande d'autorisation de licenciement imposait à l'employeur de le convoquer à un nouvel entretien préalable avant d'adresser la seconde demande d'autorisation de licenciement ;

- les décisions contestées méconnaissent l'article L. 1332-4 du code du travail dès lors que les faits fautifs étaient prescrits à la date à laquelle son employeur a présenté la demande d'autorisation de licenciement du 28 janvier 2016 ;

- la procédure de licenciement engagée par l'employeur méconnaît l'article R. 2421-14 du code du travail dès lors que la durée de sa mise à pied conservatoire était excessive ;

- la décision du 21 mars 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement est entachée de partialité dès lors que l'inspecteur du travail a informé l'employeur de ce que le mandat de membre du conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne n'avait pas été porté à la connaissance du comité d'entreprise, ce qui a permis à l'employeur de régulariser la procédure de licenciement engagée à son encontre ;

- les décisions contestées sont fondées sur des faits dont la matérialité n'est pas établie ; les procès-verbaux de l'enquête judiciaire sont irréguliers, il n'a pas été procédé à une analyse graphologique de la signature figurant sur les chèques litigieux et il n'a pas été tenu compte en particulier des conditions dans lesquelles il a dû assurer sa défense ;

- il existe un lien entre la procédure de licenciement et l'exercice de ses mandats dès lors qu'il a été l'objet d'un véritable acharnement de la part de son employeur qui a tenté à plusieurs reprises de le licencier, sans succès.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2018, la société Ricoh France, représentée par Me Daniel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guilloteau,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Me Tourniquet, avocat de M.A...,

- et les observations de Me Daniel, avocat de la société Ricoh France.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...a été recruté à compter du 2 novembre 2004 en qualité de conseiller commercial par la société Ricoh France, où il exerçait les fonctions d'ingénieur des ventes " comptes régionaux ". Il était titulaire des mandats de délégué du personnel titulaire au sein de la région Nord, de délégué syndical et de membre du conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne. Le 4 décembre 2015, la société Ricoh France a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A...pour motif disciplinaire. A la suite d'un courrier de l'inspecteur du travail du 14 janvier 2016, la société Ricoh France a, par un courrier daté du 15 janvier 2016, informé l'inspecteur du travail qu'elle renonçait à cette demande d'autorisation de licenciement, en vue de procéder à une nouvelle consultation du comité d'entreprise. La société Ricoh France a ensuite présenté le 28 janvier 2016 une nouvelle demande d'autorisation de licenciement. Par une décision du 21 mars 2016, l'inspecteur du travail a autorisé la société Ricoh France à licencier M. A.... Par un recours hiérarchique, M. A...a demandé au ministre du travail d'annuler cette décision. Par une décision du 16 septembre 2016, le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. A...contre cette décision. Par la présente requête, M. A...relève appel du jugement du 2 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur (...) ".

3. Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués, au soutien des conclusions dirigées contre cette décision. Ainsi, le moyen de M. A...tiré de ce que la décision du ministre serait insuffisamment motivée ou ne répondrait pas à l'ensemble des arguments présentés dans le recours hiérarchique doit être écarté comme inopérant.

4. En deuxième lieu, en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir.

5. Il ressort des pièces du dossier que par message électronique du 14 janvier 2016, l'inspecteur du travail a invité la société Ricoh France à fournir des explications sur le mandat de conseiller de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, signalé par M. A...dans ses observations à l'autorité administrative comme n'ayant pas été mentionné dans la demande d'autorisation de licenciement datée du 4 décembre 2015 ni dans les éléments soumis au comité d'entreprise. En portant à la connaissance de l'employeur cet élément invoqué par le salarié dans le cadre de l'enquête contradictoire prévue à l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail n'a pas manqué à son obligation d'impartialité. Le moyen ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-3 du même code : " L'entretien préalable au licenciement a lieu avant la présentation de la demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail ".

7. Il est constant que par un courrier daté du 24 novembre 2015, M. A...a été convoqué par son employeur le 3 décembre 2015 à un entretien préalable à la mesure de licenciement individuel pour motif disciplinaire envisagé. Il a été ensuite entendu, le lendemain, par le comité d'entreprise auquel le projet de licenciement a été soumis. La société Ricoh France a présenté le même jour, 4 décembre 2015, à l'inspection du travail une demande d'autorisation de licencier son salarié, à laquelle elle a toutefois renoncé avant que de présenter une nouvelle demande d'autorisation de licenciement le 28 janvier 2016. Si cette seconde demande n'a pas été précédée d'un nouvel entretien préalable avec M.A..., il ressort des pièces du dossier que les deux demandes présentées par l'employeur étaient fondées sur le même motif, tiré de ce que l'intéressé aurait détourné à l'occasion de l'exercice de ses fonctions cinq chèques bancaires émis par un client et destiné à son employeur, pour un montant total de 54 992, 80 euros. Dans ces conditions et alors au surplus que M. A... ne fait état d'aucun élément postérieur à l'entretien du 3 décembre 2015 qu'il n'aurait pas pu porter utilement à la connaissance de son employeur, ce dernier n'était pas tenu de convoquer à nouveau l'intéressé à un entretien préalable avant de saisir le 28 janvier 2016 l'inspecteur du travail. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de licenciement à cet égard doit ainsi être écarté.

8. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ". Dans le cas où l'intéressé, titulaire d'un de ces mandats à la date de la délibération du comité d'entreprise, obtient valablement un mandat différent après cette délibération et avant la décision de l'inspecteur du travail ou, le cas échéant, du ministre, le comité doit être saisi à nouveau de son cas, alors même qu'il aurait déjà exprimé son désaccord sur le projet de licenciement. A défaut de cette nouvelle saisine, l'autorité administrative n'est pas en mesure de se prononcer.

9. D'autre part, aux termes de l'article L. 2411-7 du code du travail, également dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " L'autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de délégué du personnel, à partir de la publication des candidatures. La durée de six mois court à partir de l'envoi par lettre recommandée de la candidature à l'employeur. / Cette autorisation est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de délégué du personnel a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement ". Aux termes de l'article L. 2411-10 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'autorisation de licenciement est requise pour le candidat aux fonctions de membre élu du comité d'entreprise, au premier ou au deuxième tour, pendant les six mois suivant l'envoi des listes de candidatures à l'employeur. / Cette autorisation est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de membre élu du comité d'entreprise ou de représentant syndical au comité d'entreprise a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement ".

10. Il ressort des pièces du dossier que le comité d'entreprise a été consulté le 26 janvier 2016 sur le projet de licenciement de M.A..., qui, à cette date comme à celle de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement, avait la qualité de délégué du personnel titulaire au sein de la région Nord, de délégué syndical et de membre du conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne. Le salarié s'est postérieurement porté candidat aux élections des membres titulaires et suppléants du comité d'entreprise de Rungis et des délégués du personnel suppléant de l'établissement de Lezennes organisées le 22 mars 2016, ce dont son employeur a été informé le 6 mars 2016. Il est toutefois constant que M. A...n'avait pas obtenu de nouveau mandat avant la date de la décision de l'inspecteur du travail, le 21 mars 2016 ni avant celle du ministre, le 16 septembre 2016. Dans ces conditions, les dispositions précitées des articles L. 2411-7 et L. 2411-10 du code du travail n'imposaient pas que le comité d'entreprise soit saisi à nouveau du projet de licenciement du seul fait de cette candidature, contrairement à ce que soutient le requérant. Il ressort par ailleurs des termes mêmes de la décision de l'inspecteur du travail que la société Ricoh France l'a informé, le 11 mars 2016, de la candidature de M. A...à ces élections professionnelles. Il suit de là que le moyen tiré d'une irrégularité de la procédure au regard de la candidature du salarié doit être écartée.

11. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. (...) ". Les délais, fixés par l'article R. 2421-14 du code du travail cité ci-dessus, dans lesquels la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié mis à pied doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu, à peine d'irrégularité de sa demande, de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter.

12. La lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement datée du 24 novembre 2015 informait également M. A... de sa mise à pied avec effet immédiat. Le salarié a, ainsi qu'il a été dit, été convoqué à un entretien préalable le 3 décembre 2015, et le comité d'entreprise a été consulté, une première fois, le 4 décembre 2015, soit dans le délai de dix jours prévu par les dispositions précitées. La demande d'autorisation de licenciement a ensuite été présentée par l'employeur, pour la première fois, le 4 décembre 2015, soit dans le délai de 48 heures prévu par les dispositions précitées. Si l'employeur a ultérieurement renoncé à cette demande d'autorisation de licenciement en vue de reprendre la procédure interne à l'entreprise, M. A... a également été informé le même jour, le 15 janvier 2016, de l'annulation de sa mise à pied de ce fait et de la régularisation du paiement de son salaire pour la période antérieure. Une nouvelle consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement a eu lieu le 26 janvier 2016 et la nouvelle demande d'autorisation de travail a été formée le 28 janvier 2016. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des délais prévus par les dispositions de l'article R. 2421-6 du code du travail doit être écarté.

13. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ce texte que lorsqu'un fait fautif a donné lieu à des poursuites pénales, que l'action publique ait été déclenchée sur l'initiative du ministère public, une plainte avec constitution de partie civile ou une citation directe de la victime, quelle que soit celle-ci, le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires est interrompu par la mise en mouvement de l'action publique jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale.

14. D'une part, par un avis d'audience pénale reçu le 15 octobre 2015, la société Ricoh France a été informée de ce que M. A... était mis en cause pour avoir détourné cinq chèques établis par la section CFDT de la société Française de Mécanique et destinés à son employeur, pour un montant total de 54 992,80 euros. L'employeur a obtenu communication du dossier pénal à la date du 28 octobre 2015 et doit ainsi être regardé comme ayant eu connaissance des faits reprochés à M. A... à cette date. La procédure disciplinaire a été engagée par la société Ricoh France le 24 novembre 2015 par la remise en main propre d'une convocation à un entretien préalable, soit avant l'expiration du délai de prescription des faits.

15. D'autre part, les poursuites pénales à raison de ces mêmes faits ont été engagées à l'encontre de M.A..., au plus tard, à la date de la citation à comparaître à cette même audience, délivrée le 25 novembre 2015 selon les motifs du jugement du tribunal correctionnel de Béthune en date du 6 juin 2016, et qui constitue un acte de poursuite par application de l'article 551 du code de procédure pénale. Les poursuites pénales ont ainsi été engagées avant l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article L. 1332-4 du code du travail. Il suit de là que le délai de prescription des faits était interrompu par les poursuites pénales et ce jusqu'à l'intervention de la décision du tribunal correctionnel, le 6 juin 2016. Le moyen tiré de ce que les faits reprochés étaient prescrits à la date à laquelle l'employeur a repris la procédure de licenciement en janvier 2016 doit dès lors être écarté comme manquant en fait.

16. En septième lieu, si le requérant soutient que les décisions contestées ne pouvaient se fonder sur les procès-verbaux établis par les services de police dès lors que les auditions ont été menées en méconnaissance des droits de la défense, il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de porter une appréciation sur la régularité des actes de procédure établis dans le cadre d'une enquête de police. Au demeurant, il ressort des termes du jugement du tribunal correctionnel de Béthune du 6 juin 2016 que l'exception de régularité opposée par M. A...aux actes de procédure accomplis au cours de son audition par les services de police a été écartée par le juge judiciaire.

17. En huitième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

18. Il est constant que cinq chèques bancaires établis par un client de la société Ricoh France, pour un montant total de 54 992,80 euros, ont été encaissés sur le compte bancaire de M. A.... Si le requérant soutient qu'il n'est pour autant pas établi qu'il aurait lui-même procédé à leur encaissement, que cet encaissement aurait été connu de lui ni qu'il en aurait sciemment bénéficié, il a été condamné, notamment, pour abus de confiance au préjudice de son employeur pour avoir encaissé ces chèques par le jugement correctionnel du 6 juin 2016, dont la société Ricoh France soutient sans être nullement contredite qu'il est définitif. Dans ces conditions, les faits reprochés à M. A...et sur le fondement desquels l'autorisation de le licencier a été délivrée à son employeur doivent être regardés comme établis.

19. En dernier lieu, M. A...soutient que la demande d'autorisation de licenciement à laquelle il a été fait droit s'inscrit dans un processus d'acharnement de son employeur à son encontre en lien avec l'exercice, de ses mandats dès lors qu'il s'agirait de la troisième demande d'autorisation de licenciement le concernant dans un délai de cinq ans, qu'il fait l'objet d'un traitement discriminatoire comme en atteste le fait que son employeur a contesté devant la juridiction prud'homale sa désignation en qualité de délégué syndical central supplémentaire CGT alors qu'une désignation du même ordre au titre du syndicat CFDT n'a pas été contestée et que la société Ricoh a d'ailleurs été condamnée à lui verser la somme de 266 930,62 euros à titre de rappels d'heures de délégation et d'heures supplémentaires. Toutefois, la circonstance que le salarié ait déjà fait l'objet en 2012 et 2014 de précédentes demandes d'autorisation de licenciement ne permet pas de présumer que la nouvelle procédure serait en lien avec son appartenance syndicale. En outre, il ressort des pièces du dossier que la société Ricoh France a également contesté la désignation de délégués syndicaux complémentaires par la CFDT et n'a par conséquent pas eu d'attitude discriminatoire envers le syndicat CGT dont faisait partie l'intéressé. Enfin, le contentieux qui a opposé M. A...à son employeur était relatif aux modalités de calcul d'une partie de la rémunération de l'intéressé et n'avait pas de rapport avec l'exercice par celui-ci de ses mandats. Dans ces conditions M. A... n'est pas fondé à soutenir que la demande d'autorisation de son licenciement pour motif disciplinaire présentée par son employeur présentait un lien avec l'exercice de ses mandats syndicaux.

20. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. A...la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de M. A...le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de ces mêmes dispositions à la société Ricoh France SAS.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : M. A...versera à la société Ricoh France SAS la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à la société Ricoh France SAS et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Larsonnier, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 juillet 2019.

Le rapporteur,

L. GUILLOTEAULe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 18PA01071


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01071
Date de la décision : 04/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : TOURNIQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-07-04;18pa01071 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award