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03/10/2019 | FRANCE | N°19PA00792

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 03 octobre 2019, 19PA00792


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et M. G... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 7 juin 2017 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté les recours gracieux qu'ils avaient formés contre les décisions du 26 janvier 2017 rejetant leurs demandes de changement de leur nom en " A... D...".

Par deux jugements nos 1712642 et 1713220 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a respectivement rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :



I. Par une requête enregistrée le 19 février 2019 sous le n° 19PA00792, M. G... ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et M. G... A... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 7 juin 2017 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté les recours gracieux qu'ils avaient formés contre les décisions du 26 janvier 2017 rejetant leurs demandes de changement de leur nom en " A... D...".

Par deux jugements nos 1712642 et 1713220 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a respectivement rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 19 février 2019 sous le n° 19PA00792, M. G... A..., représenté par Me I..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1713220 du 13 décembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 7 juin 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté le recours gracieux qu'il avait formé contre la décision du 26 janvier 2017 rejetant sa demande de changement de son nom en " A... D..." ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande de changement de nom dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure, faute pour le garde des sceaux, ministre de la justice, d'avoir sollicité une enquête auprès du procureur de la République en application de l'article 4 du décret du 20 janvier 1994, ainsi que l'avis du Conseil d'État ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article 61 du code civil, dès lors que le patronyme dont l'adjonction est sollicitée au sien est celui de Jesus D..., qui l'a élevé au Venezuela avec son frère et a adopté leur père après lui avoir sauvé la vie ;

- le patronyme dont l'adjonction est sollicitée est menacé d'extinction ;

- la décision litigieuse méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il utilise le patronyme dont l'adjonction est sollicitée depuis sa majorité et dans la vie courante.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 juillet 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

II. Par une requête enregistrée le 19 février 2019 sous le n° 19PA00793, M. E... A..., représenté par Me I..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1712642 du 13 décembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 7 juin 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté le recours gracieux qu'il avait formé contre la décision du 26 janvier 2017 rejetant sa demande de changement de son nom en " A... D..." ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande de changement de nom dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de procédure, faute pour le garde des sceaux, ministre de la justice, d'avoir sollicité une enquête auprès du procureur de la République en application de l'article 4 du décret du 20 janvier 1994, ainsi que l'avis du Conseil d'État ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article 61 du code civil, dès lors que le patronyme dont l'adjonction est sollicité au sien est celui de Jesus D..., qui l'a élevé au Venezuela avec son frère et a adopté leur père après lui avoir sauvé la vie ;

- le patronyme dont l'adjonction est sollicitée est menacé d'extinction ;

- la décision litigieuse méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il utilise le patronyme dont l'adjonction est sollicitée depuis sa majorité et dans la vie courante.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 juillet 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.

1. Les requêtes de M. G... A... et de M. E... A..., présentées en termes similaires, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par le même arrêt.

2. M. G... A... et M. E... A..., nés le 5 mars 1991, sont frères jumeaux. Ils ont simultanément sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de leur patronyme en " A... D... ". Par deux décisions du 7 juin 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, a respectivement rejeté les recours gracieux formés par les intéressés contre les décisions du 26 janvier 2017 rejetant leurs demandes de changement de nom. M. G... A... et M. E... A... font appel des deux jugements du 13 décembre 2018 par lesquels le tribunal administratif de Paris a respectivement rejeté leur demande d'annulation de ces décisions.

Sur la légalité des décisions litigieuses :

3. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

En ce qui concerne la légalité externe :

4. Aux termes de l'article 4 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom : " Le garde des sceaux, ministre de la justice, instruit la demande. A cette fin, il peut demander au procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de résidence de l'intéressé ou, si celui-ci demeure à l'étranger, à l'agent diplomatique ou consulaire territorialement compétent de procéder à une enquête. Il recueille, le cas échéant, l'avis du Conseil d'État ".

5. Les formalités, prévues à titre facultatif par les dispositions précitées de l'article 4 du décret du 20 janvier 1994, ne sont pas prescrites à peine d'irrégularité de la décision prise sur la demande de l'intéressé. Dès lors, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'était tenu, préalablement à l'édiction de la décision attaquée, ni de demander au procureur de la République territorialement compétent de procéder à une enquête, ni de recueillir l'avis du Conseil d'État. Par suite, le moyen invoqué doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, les requérants soutiennent qu'ils ont noué des liens affectifs forts avec M. B... D..., diplomate vénézuélien décédé le 7 octobre 2007, par lequel ils ont été élevés au Venezuela et qui a adopté leur père, après lui avoir sauvé la vie en Haïti, alors que ce dernier était âgé de sept ans. Toutefois, les requérants ont d'abord motivé devant le garde des sceaux, ministre de la justice, leur demande de changement de nom par leur volonté de prendre le patronyme de leur grand-mère paternelle qui les aurait " en grande partie " élevés au pays basque. Outre le caractère peu cohérent de ces deux motifs successifs de changement de nom, ils n'apportent devant la Cour aucun élément probant à l'appui de leurs allégations, et notamment la preuve de la filiation adoptive établie entre leur père et M. B... D.... La circonstance que les requérants aient acquis la nationalité vénézuélienne, dans des conditions qui ne sont au demeurant pas explicitées et sous le nom de A... J... associant le nom de leur mère à celui de leur père, ne suffit pas à établir la réalité des faits allégués.

7. En deuxième lieu, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil subordonnent le relèvement d'un nom menacé d'extinction à la condition que le demandeur établisse son lien de parenté avec la personne dont il demande à porter le nom, laquelle peut être un ascendant ou un collatéral jusqu'au quatrième degré. En l'état des pièces produites tant en première instance que devant la Cour, les requérants n'établissent pas, par la seule production d'une recherche élémentaire effectuée sur Internet et portant sur la fréquence des naissances d'individus portant le patronyme d'D..., et en l'absence de toute démonstration généalogique, que ce nom serait menacé d'extinction dans leur famille, ni même qu'ils possèderaient un quelconque lien de parenté avec une personne l'ayant porté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que les requérants déclarent eux-mêmes avoir pris comme nom d'usage celui de " A... D... " à leur majorité et l'utiliser dans leur vie courante, et notamment professionnelle, que la décision leur refusant le changement de nom sollicité porterait au droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Par suite, le moyen tiré de ce que le garde des sceaux, ministre de la justice, aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes réclamées par les requérants sur ce fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. G... A... et de M. E... A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à M. E... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme H..., présidente de chambre,

- M. F..., président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.

Le rapporteur,

S. F...La présidente,

S. H...Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00792, 19PA00793


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00792
Date de la décision : 03/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : FONTANA BENAIM

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-03;19pa00792 ?
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