La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/11/2019 | FRANCE | N°17PA23015

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 26 novembre 2019, 17PA23015


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au Tribunal administratif de La Réunion de condamner la Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) à lui verser la somme de 20 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral dont il estime avoir été victime, et d'annuler la décision implicite par laquelle la CIVIS a rejeté sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1500840 du 26 juin 2017, le Tribunal administratif de La Réunion a

condamné la CIVIS à verser à M. B... la somme de 5 000 euros, a annulé la décision d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au Tribunal administratif de La Réunion de condamner la Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) à lui verser la somme de 20 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral dont il estime avoir été victime, et d'annuler la décision implicite par laquelle la CIVIS a rejeté sa demande de protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1500840 du 26 juin 2017, le Tribunal administratif de La Réunion a condamné la CIVIS à verser à M. B... la somme de 5 000 euros, a annulé la décision de refus de protection fonctionnelle et enjoint à la CIVIS d'accorder à M. B... la protection fonctionnelle à M. B....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2017 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, dont le jugement a été attribué à la Cour administrative d'appel de Paris par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat prise le 1er mars 2019 en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, la Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500840 du 26 juin 2017 du Tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de la Réunion ;

3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la créance dont se prévaut M. B... est atteinte par la prescription quadriennale ;

- aucun harcèlement moral n'a été commis à l'égard de M. B... ;

- le refus d'accorder à M. B... la protection fonctionnelle était de ce fait justifié.

Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2017, M. B..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) [HP1]de réformer le jugement pour porter la somme mise à la charge de la CIVIS à la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2015, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés ;

3°) d'annuler la décision implicite par laquelle la CIVIS a rejeté sa demande de protection fonctionnelle ;

4°) d'enjoindre à la CIVIS de lui accorder la protection fonctionnelle dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la CIVIS le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a fait l'objet d'un harcèlement moral et sa créance n'est pas prescrite ;

- les premiers juges ont mal apprécié l'étendue de son préjudice ;

- en présence d'un harcèlement moral le refus de protection fonctionnelle est illégal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... B..., technicien territorial affecté comme chargé de mission au service informatique de la Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS), a demandé à la CIVIS, le 2 juin 2015, de lui accorder la protection fonctionnelle et de lui verser une indemnité de 20 000 euros à raison des faits de harcèlement moral dont il estimait être victime de la part de sa hiérarchie. Par un jugement du 26 juin 2017, le Tribunal administratif de La Réunion, saisi à la suite du refus implicite qui lui a été opposé, a condamné la CIVIS à verser à M. B... une somme de 5 000 euros en réparation des préjudices résultant de ce harcèlement, a annulé la décision de refus de protection fonctionnelle qui lui avait été opposée et a enjoint à la CIVIS de lui accorder cette protection. La CIVIS fait appel de ce jugement pour demander le rejet de la demande de M. B..., lequel demande [HP2]que le montant de la condamnation prononcée à son profit soit porté à la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2015 et de la capitalisation de ces intérêts.

Sur l'appel principal de la CIVIS :

En ce qui concerne la prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. ". L'article 2 de la même loi précise que : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ".

3. La demande indemnitaire de M. B... ayant pour fondement des faits de harcèlement moral qui se seraient déroulés de manière continue entre 2010 et 2016, qui ont concouru au même préjudice, et M. B... ayant présenté à l'administration une demande d'indemnisation de ce préjudice dans le courant de l'année 2015, la CIVIS n'est pas fondée à soutenir que la créance que M. B... soutient détenir à son encontre serait prescrite.

En ce qui concerne la responsabilité de la CIVIS :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe alors à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. En outre, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

6. Pour soutenir qu'il fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie depuis la fin de l'année 2010, M. B... fait valoir qu'il a été progressivement écarté des réunions et formations le concernant, qu'il a fait l'objet de reproches infondés quant à sa mise en oeuvre des recommandations d'un audit alors que les moyens financiers pour ce faire lui ont été refusés, qu'il n'a pas été noté pour les années 2010 et 2011, qu'il a été nommé adjoint au directeur des services informatiques sans en avoir été informé et sans augmentation de son traitement, que les codes administrateurs du logiciel " CIRIL ", dont il est le référent au sein du service informatique, lui ont été retirés sans justification, que son lieu de travail a été à plusieurs reprises déplacé dans des bureaux destinés au stockage de matériaux ou infestés de termites et incompatibles avec son état de santé fragilisé par une opération cardiaque subie en 2011 et enfin qu'il a vainement, à plusieurs reprises, alerté sa hiérarchie sur cette situation préjudiciable à sa carrière et à sa santé sans obtenir de réponse.

7. Si les griefs de M. B... relatifs à des reproches infondés et à sa mise à l'écart de réunions et formations ne sont pas établis, les autres faits dont il se plaint, dont la matérialité résulte de l'instruction, sont, pris dans leur ensemble, de nature à faire présumer un harcèlement moral. En se bornant à faire valoir que les changements de bureaux successifs de M. B... étaient rendus nécessaires par l'intérêt du service et par le changement de site des services informatiques, qu'un traitement y a été mis en oeuvre contre les termites une fois que M. B... a signalé le problème, que le retrait des codes administrateurs résultait d'une intrusion dans son système informatique, qu'il n'a pas été possible de noter M. B... en 2010 et 2011 compte tenu de ses nombreuses absences et que l'intéressé a refusé de se présenter à son entretien d'évaluation pour 2016, la CIVIS, pas plus en appel qu'en première instance, ne démontre pas que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

8. La circonstance que le juge pénal, saisi par M. B... d'une plainte contre X pour harcèlement moral, a par une ordonnance du 21 août 2018 prononcé un non-lieu en l'état au motif qu'il ne résultait pas de l'information des charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis des faits de harcèlement moral, est à cet égard sans incidence dès lors que l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique et non aux ordonnances de non-lieu que rendent les juges d'instruction, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées.

9. Il résulte de ce qui précède que la CIVIS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a considéré que les faits de harcèlement commis à l'égard de M. B... étaient constitutifs d'une faute de nature à engager sa responsabilité et l'a condamnée à indemniser M. B... des préjudices résultant de ce harcèlement.

Sur le refus de protection fonctionnelle :

10. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction alors en vigueur : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) ". Les faits de harcèlement moral définis à l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983 sont au nombre des agissements ouvrant droit au bénéfice de cette protection fonctionnelle.

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que M. B... ayant fait l'objet d'un harcèlement moral, la CIVIS ne pouvait légalement refuser de lui octroyer la protection fonctionnelle qu'il avait demandée le 2 juin 2015. La CIVIS n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé le refus de protection opposé à M. B... et lui ont enjoint de lui accorder cette protection.

Sur les conclusions de M. B... relatives au montant de l'indemnité :

12. Compte tenu de la durée des faits de harcèlement qu'il a subis et de leurs conséquences sur sa santé, M. B... est fondé à demander que le montant de l'indemnité mise à la charge de la CIVIS pour la réparation de ces préjudices soit fixé à la somme de 20 000 euros, tous intérêts compris.

Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la CIVIS demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la CIVIS une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le montant de l'indemnité mise à la charge de la CIVIS au profit de M. B... est portée de la somme de 5 000 euros tous intérêts compris à la somme de 20 000 euros tous intérêts compris.

Article 2 : Le jugement n° 1500840 du 26 juin 2017 du Tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La CIVIS versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Communauté intercommunale des villes solidaires et à M. E... B....

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme A..., président assesseur,

- Mme Oriol, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.

Le rapporteur,

P. A...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[HP1]Rectifier les écritures en supprimant cette mention '

[HP2]Difficile de ne pas faire apparaître cette mention ... '

N° 17PA23015 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA23015
Date de la décision : 26/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : RAPADY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-26;17pa23015 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award