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26/11/2019 | FRANCE | N°18PA02786

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 26 novembre 2019, 18PA02786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 6 février 2018 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de destination, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
>Par un jugement n° 1802983 du 6 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté en date du 6 février 2018 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de destination, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1802983 du 6 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté du 6 février 2018 du préfet de police, d'autre part, enjoint au préfet de police, sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de M. E..., de délivrer à ce dernier un titre de séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 13 août et 7 septembre 2018, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802983 du 6 juillet 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté rejetant la demande de titre de séjour de M. E... était entaché d'une erreur de droit en ce qu'il décidait que M. E... ne remplissait pas les conditions prévues à l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les autres moyens invoqués par M. E... en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2019, M. E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, d'une part, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la requête d'appel est tardive ;

- le préfet a entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de droit en décidant qu'il ne remplissait pas les conditions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 17 décembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant camerounais né le 1er août 1980, est arrivé en France le 30 mars 2009, selon ses déclarations. Avant de former une demande tendant à obtenir la délivrance d'une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. E... avait déposé plainte auprès du Parquet du tribunal de grande instance de Paris les 11 juillet et 23 décembre 2014 à l'encontre de sa mère, Mme C... F..., gérante de la SARL Felicity-Beauty, pour traite des êtres humains et travail dissimulé. La première des infractions ainsi dénoncées est au nombre de celles qui sont mentionnées à l'article 225-4-1 précité du code pénal. La demande de titre de séjour déposée par M. E... a été rejetée par un arrêté du préfet de police du 3 mai 2016 qui portait également obligation pour M. E... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixait le pays de destination. Le recours de M. E... formé contre cet arrêté a été rejeté par un jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 4 octobre 2016, avant que le jugement ne soit annulé par un arrêt du 28 novembre 2017 de la Cour, qui a enjoint au préfet de police de statuer à nouveau sur la demande de M. E.... A la suite de la plainte de M. E..., la Cour d'appel de Paris a condamné le 26 mai 2016 la SARL Felicity-Beauty pour travail dissimulé. Le préfet de police a, par un arrêté du 6 février 2018, rejeté la demande de carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " présentée par M. E..., reçu en dernier lieu dans les services de la préfecture de police le 16 janvier 2018, en qualité de victime de la traite des êtres humains dans le cadre des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français en fixant le pays de destination. Le préfet de police relève appel du jugement n° 1802983 du 6 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé son arrêté du 6 février 2018, d'autre part, lui a enjoint, sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de M. E..., de délivrer à ce dernier un titre de séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". Aux termes de l'article L. 316-2 du même code : " Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application des articles L. 316-1 et L. 316-1-1. Il détermine notamment les conditions de la délivrance, du renouvellement et du retrait de la carte de séjour temporaire mentionnée au premier alinéa de l'article L. 316-1 et de l'autorisation provisoire de séjour mentionnée à l'article L. 316-1-1 ainsi que les modalités de protection, d'accueil et d'hébergement de l'étranger auquel cette carte ou cette autorisation provisoire de séjour est accordée ".

3. Aux termes de l'article 225-4-1 du code pénal : " I. - La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes : 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de carte de séjour temporaire présentée par M. E... était accompagnée des récépissés de dépôt de plainte, notamment du récépissé du dépôt de plainte du 11 juillet 2014 auprès du Parquet du tribunal de grande instance de Paris. Ce document était accompagné d'un courrier mentionnant que la plainte était déposée pour travail forcé et traite des êtres humains et, comme l'ont relevé les premiers juges, faisant état de l'exploitation de la situation de grande précarité de l'intéressé par sa mère et de conditions d'hébergement contraire à la dignité de celui-ci. Ainsi, alors même que, comme le soutient le préfet de police, aucun des récépissés n'indique que la plainte a été enregistrée pour des faits relatifs à la traite des êtres humains, la plainte du 11 juillet 2014 a bien été déposée par M. E... pour de tels faits. Il ressort également du courrier en date du 10 août 2018 du Procureur de la République adjoint adressé au préfet de police et produit devant la Cour que trois plaintes étaient en cours à cette même date opposant M. E... à sa mère qu'il accuse de traite des êtres humains à son égard. Si ce courrier mentionne que le Parquet n'a pas retenu la qualification de traite des êtres humains pour ordonner des enquêtes à la suite à ces trois plaintes, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, le procureur de la République s'était prononcé sur les faits dont il était saisi. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas soutenu par l'administration, que le Parquet n'aurait été saisi de cette plainte que dans le but exclusif de permettre à M. E... de bénéficier du régime prévu par l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni que les faits dénoncés seraient manifestement imaginaires. La demande de carte de séjour temporaire de M. E... remplissait dès lors les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Par ailleurs, le préfet de police ne pouvait pas, pour rejeter la demande de M. E..., se fonder sur l'appréciation des faits retenue dans le rapport des services de police du 24 février 2016, ces derniers n'ayant pas compétence pour apprécier et qualifier juridiquement les faits dénoncés. En conséquence, c'est à tort que le préfet de police a refusé de délivrer à M. E... la carte de séjour temporaire qu'il sollicitait sur le fondement de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il remplissait les conditions prévues à cet article.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par M. E..., que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 6 février 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonctions et d'astreinte :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Et aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".

8. En premier lieu, le présent arrêt confirmant le jugement du 6 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé l'injonction demandée à nouveau par M. E... devant la Cour, il n'y a pas lieu de se prononcer sur cette demande, ni sur les conclusions à fin d'astreinte dès lors que le jugement attaqué fait l'objet d'une demande d'exécution en cours devant la Cour.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

9. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A..., conseil de M. E..., de la somme de 1 500 euros sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me A..., conseil de M. E..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... E... et à Me A....

Copie en sera adressée au préfet police.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme D..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.

Le rapporteur,

A. D...Le président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02786


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02786
Date de la décision : 26/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-02-01 Étrangers. Séjour des étrangers. Autorisation de séjour. Demande de titre de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Anne MIELNIK-MEDDAH
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : VEGA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-11-26;18pa02786 ?
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