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10/03/2020 | FRANCE | N°19PA00585

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 mars 2020, 19PA00585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Compudeal a demandé au Tribunal administratif de Melun la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1608540 du 29 novembre 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2019, la société Compudeal

, représentée par

Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1608540 du 29 novembre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Compudeal a demandé au Tribunal administratif de Melun la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1608540 du 29 novembre 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 janvier 2019, la société Compudeal, représentée par

Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1608540 du 29 novembre 2018 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée contestés, en droits et pénalités.

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle a réalisé des transactions en conformité avec la législation sur le plan formel et agi en acquéreur diligent et avisé, étranger à toute situation de fraude, c'est à tort que le service a estimé qu'elle était impliquée dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée de type carrousel avec les fournisseurs Sourcing For Value, Delta Technologies et IT Diffusion ;

- en l'absence d'élément intentionnel, les rappels litigieux ne pouvaient être assortis de la majoration pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Compudeal ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Oriol, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Compudeal, établie à Torcy (Seine-et-Marne), a été créée en 1994 pour exercer une activité de négoce de matériels informatiques et toutes prestations de services se rattachant aux domaines de l'informatique, de la bureautique et des télécommunications. A la suite de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014, selon la procédure de rectification contradictoire, l'administration fiscale lui a assigné des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de l'intérêt de retard et de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré, au motif qu'elle avait participé à un schéma de fraude de type carrousel avec trois de ses fournisseurs, les sociétés Sourcing For value, Delta Technologies et IT Diffusion, qui lui ont facturé des ventes de matériels informatiques acquis auprès de la société britannique Anand International. La société Compudeal relève appel du jugement du 29 novembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à leur décharge.

Sur le bien-fondé des impositions contestées :

2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes des I et II de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Enfin, l'article 272 du code dispose que : " La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ".

3. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du CGI citées au point 2 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13).

4. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, il devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04).

5. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens de s'assurer qu'en ce qui les concerne, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

6. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

7. Il résulte de l'instruction, et n'est pas utilement contesté, que les fournisseurs de la société Compudeal incriminés dans le circuit de fraude dont se prévaut l'administration, ont tous eu des durées éphémères. Ainsi, les sociétés Delta Technologies, Sourcing For Value et IT Diffusion ont été immatriculées au registre du commerce et des sociétés respectivement les 9 janvier 2012, 21 mars 2012 et 7 octobre 2013, avant de cesser leur activité respectivement les 3 décembre 2012, 22 octobre 2013 et 24 février 2015, soit pour chacune moins de deux ans après leur création. Deux d'entre elles, les sociétés Sourcing For Value et IT Diffusion, étaient par ailleurs établies à des adresses de domiciliation, sans moyens humains et techniques à leur disposition pour exercer l'activité prévue par leur objet social, qui, pour la première citée, n'avait de surcroît aucun lien avec la livraison de matériels informatiques. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les trois sociétés étaient défaillantes dans leurs obligations déclaratives à la taxe sur la valeur ajoutée et que les sociétés Delta Technologies et Sourcing For Value se sont succédé pour participer au schéma de fraude en débat avant de s'en retirer brutalement, la première entre mars et août 2012, la seconde entre mai et juillet 2013. Si la société Compudeal soutient qu'elle n'était pas informée de ces anomalies et avait fait toutes les diligences requises en exigeant de ses fournisseurs litigieux la production de leurs extraits K Bis et de leurs références bancaires, il n'est pas contesté que ses achats auprès d'eux ont été récurrents sur l'ensemble de la période vérifiée, atteignant 24 % en volume en 2012 et 51 % en 2013, ce qui aurait dû attirer son attention, d'autant plus qu'il n'est pas contesté que les biens vendus étaient facturés sans marge, donc à un prix inférieur à celui du marché, ce qu'elle ne pouvait ignorer. La société Compudeal ne pouvait davantage ne pas savoir qu'un responsable commercial avec qui elle était en relation d'affaires était impliqué dans plusieurs des sociétés auprès desquelles elle s'approvisionnait, toutes concernées par le schéma de fraude. Enfin, alors que les marchandises lui étaient facturées par les fournisseurs en cause, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été de simples intermédiaires, la société Compudeal aurait dû s'étonner de ce que ce soit la société britannique auprès de laquelle ils étaient supposés s'approvisionner, Anand International, qui les lui livre directement. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le service, qui a établi que la société Compudeal ne pouvait ignorer être impliquée dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée de type carrousel, a remis en cause son droit à la déduction de la taxe facturée par les fournisseurs Sourcing For Value, Delta Technologies et IT Diffusion, non reversée au Trésor public au cours de la période en litige.

Sur les pénalités :

8. L'article 1729 du code général des impôts dispose que : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré. / (...) ". En vertu de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".

9. Pour assortir les rappels en litige de la majoration pour manquement délibéré, ainsi qu'il a été exposé au point 7 du présent arrêt, le service a établi que la société Compudeal avait participé à un schéma de fraude qui lui a indument permis, sur l'ensemble de la période vérifiée, de porter en déduction la taxe sur la valeur ajoutée non reversée au Trésor facturée par les sociétés Sourcing For Value, Delta Technologies et IT Diffusion. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'infliction de cette majoration était fondée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Compudeal n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Compudeal est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Compudeal et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales.

Délibéré après l'audience du 25 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, président assesseur,

- Mme Oriol, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 10 mars 2020.

Le rapporteur,

C. ORIOLLe président,

C. JARDINLe greffier,

C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00585


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00585
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03-02 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Déductions. Conditions de la déduction.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Christelle ORIOL
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : MICHELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-03-10;19pa00585 ?
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