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11/03/2020 | FRANCE | N°19PA02872

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 11 mars 2020, 19PA02872


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 avril 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1909838 du 30 juillet 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 3 septembre 2019, Mme A..., représentée par

Me B...

, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909838 du 30 juillet 2019 du magistrat désigné par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 avril 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1909838 du 30 juillet 2019, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 3 septembre 2019, Mme A..., représentée par

Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909838 du 30 juillet 2019 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de police du 23 avril 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile en France dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de

100 euros par jour de retard, de lui remettre un formulaire de demande d'asile dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour

de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen dans un délai de 48 heures et sous la même astreinte ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, ou à défaut de surseoir à statuer, et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à

Me B..., sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article 26 de ce même règlement ainsi que les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le préfet n'a pas justifié du nom et de la qualité de la personne ayant mené l'entretien, qu'elle n'a pu produire d'observations en raison de la brièveté de cet entretien, et que celui-ci s'est déroulé en langue arabe alors qu'elle ne parle que le tigrinya ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 17 de ce même règlement, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 7 janvier 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du

9 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante érythréenne, née le 5 novembre 1993, a présenté une demande de protection internationale les 5 et 6 février 2019 à la préfecture de police.

La consultation du fichier " Eurodac " ayant permis d'établir que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes, une demande de prise en charge a été adressée à l'Italie le 12 février 2019 qui a implicitement été acceptée le 18 avril 2019. Mme A... relève appel du jugement du 30 juillet 2019, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 23 avril 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Le président du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a, par une décision du 9 septembre 2019, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, les conclusions présentées par l'intéressée aux fins d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont dépourvues d'objet.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ".

Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". L'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sous réserve du second alinéa de l'article

L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".

4. L'arrêté attaqué vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les règlements (UE) n° 603/2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales et n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers. Il mentionne également que la comparaison des empreintes digitales de Mme A... au moyen du système Eurodac a permis d'établir qu'elle était entrée irrégulièrement en Italie le 20 juin 2018. Il relève que les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de prise en charge qui a fait l'objet d'un accord implicite, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale, les autorités italiennes ayant accepté de prendre en charge son fils de trois ans, et que n'est pas établie l'existence d'un risque personnel d'atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes responsables de sa demande d'asile. L'arrêté précise, en outre, que la situation de l'intéressée ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 et 17 du règlement n° 604/2013. Il comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est donc suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien (...) ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié d'un entretien individuel le 6 février 2019 dans les locaux de la préfecture de police, dans le cadre de l'instruction de la procédure de transfert, assistée d'un interprète en langue tigrinya,

à l'occasion duquel elle a pu présenter des observations orales sur la procédure de transfert et faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'État responsable. Elle a, ainsi, indiqué être entrée irrégulièrement en France après avoir quitté l'Érythrée, et avoir transité successivement par le Soudan, la Libye, et l'Italie, sans avoir jamais demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne. Le compte-rendu de l'entretien ne mentionne aucun problème de compréhension et indique qu'elle n'a plus rien à déclarer.

7. D'autre part, si le résumé de cet entretien ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui l'a conduit, il ressort du résumé de cet entretien que l'intéressée a été reçue par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile de la préfecture de police. Dès lors que l'entretien individuel de Mme A... été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit cet entretien n'a pas privé l'intéressée de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles et n'est donc pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement susvisé du 26 juin 2013 doit être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Il résulte de ces dispositions que la présomption selon laquelle un État membre de l'Union européenne respecte ses obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans cet État membre, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

9. L'Italie est un État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mme A... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, en particulier la circonstance qu'elle aurait vécu dans la rue, et que son enfant, atteint de tuberculose, n'aurait reçu aucun soin, les autorités italiennes n'étant pas à même de poursuivre la prise en charge médicale que nécessiterait l'état de santé de celui-ci. Elle ne produit cependant aucun élément permettant de corroborer ses déclarations et le rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) datant du mois d'août 2016, portant sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, dont elle se prévaut, ne permet pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont implicitement donné leur accord à la demande de prise en charge adressée par les autorités françaises, ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police a méconnu les stipulations de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de cet article doit être écarté. Par ailleurs,

Mme A... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait, à la date de l'arrêté litigieux, des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise effective aux autorités italiennes, elle et son enfant risqueraient de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Dès lors que les autorités italiennes ont accepté la prise en charge de la requérante et de son enfant, la décision de transfert n'a ni pour effet ni pour objet de la séparer de son enfant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 doit, par suite, être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. C..., président de chambre,

- Mme Poupineau, président assesseur,

- Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 mars 2020.

Le président rapporteur,

S.-L. C... L'assesseur le plus ancien,

V. POUPINEAU

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA02872 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02872
Date de la décision : 11/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Simon-Louis FORMERY
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : DUHAYON

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-03-11;19pa02872 ?
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