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07/07/2020 | FRANCE | N°18PA01881

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 juillet 2020, 18PA01881


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Adneom a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 octobre 2016 par laquelle l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) a refusé de faire droit à sa demande de remboursement de la contribution prévue à l'article L. 5212-9 du code du travail au titre des années 2011 à 2015, et de condamner l'AGEFIPH à lui verser la somme de 150 187 euros au titre du trop-perçu de cette contribution versée pour les années 2011 à 2

015.

Par un jugement n° 1701699/3-3 du 10 avril 2018, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Adneom a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 octobre 2016 par laquelle l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) a refusé de faire droit à sa demande de remboursement de la contribution prévue à l'article L. 5212-9 du code du travail au titre des années 2011 à 2015, et de condamner l'AGEFIPH à lui verser la somme de 150 187 euros au titre du trop-perçu de cette contribution versée pour les années 2011 à 2015.

Par un jugement n° 1701699/3-3 du 10 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 juin 2018 et 23 novembre 2018, la société Adneom, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 25 octobre 2016 refusant de faire droit à sa demande de remboursement ;

3°) de condamner l'AGEFIPH à lui verser la somme de 150 187 euros correspondant au trop-perçu de la contribution versée pour les années 2011 à 2015 ;

4°) de mettre à la charge de l'AGEFIPH le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas répondu à son argumentation relative à l'illégalité d'une double taxation des salariés mis à disposition ;

- aucune disposition légale n'impose la double prise en compte d'un salarié mis à disposition dans les effectifs de l'entreprise prestataire et dans ceux de l'entreprise utilisatrice ; les salariés qu'elle met à disposition d'entreprises utilisatrices ne doivent pas être comptabilisés dans ses effectifs, dès lors qu'ils le sont dans ceux des entreprises utilisatrices en application des dispositions de l'article L. 1111-2 du code du travail ;

- le décompte d'effectifs qui lui est opposé est contraire à la volonté du législateur, et crée une rupture d'égalité au regard du décompte appliqué aux groupements d'employeurs et aux entreprises de travail temporaire, qui sont dans une situation comparable à la sienne ;

- l'illégalité de la double comptabilisation d'une partie de ses effectifs justifie son action en répétition de l'indu.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 octobre 2018, l'AGEFIPH, représentée par Me Comte, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la société Adneom le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 novembre 2018, la société Adneom, représentée par Me C..., demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 1253-8-1 et L. 5212-3 du code du travail.

Elle soutient que :

- les articles L. 1253-8-1 et L. 5212-3 du code du travail créent une rupture d'égalité devant l'impôt, en méconnaissance des articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946 ;

- ces dispositions sont applicables à la procédure en cours et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question posée présente un caractère sérieux, dès lors qu'il est porté atteinte au principe d'égalité devant l'impôt.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 janvier 2019, l'AGEFIPH, représentée par Me Comte, demande à la cour de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société requérante.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me Comte, représentant l'AGEFIPH.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 24 juin 2016, la société Adneom, société de services en ingénierie informatique, a demandé à l'AGEFIPH de lui rembourser la somme de 150 775 euros versée au titre de la contribution annuelle prévue à l'article L. 5212-9 du code du travail pour les années 2011 à 2015. L'AGEFIPH a rejeté sa demande le 25 octobre 2016. Par un jugement du

10 avril 2018 dont la société Adneom relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la requérante tendant à l'annulation de la décision du 25 octobre 2016 et à la condamnation de l'AGEFIPH à lui verser la somme de 150 187 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". En estimant au point 6 du jugement que les circonstances que les salariés de la société Adneom " feraient l'objet d'une double comptabilisation et qu'une telle situation serait inéquitable pour une activité qui ressemble à celle des entreprises de travail temporaire [étaient], en l'absence de toute disposition légale ou réglementaire en ce sens, sans incidence sur la légalité de la décision en litige ", les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par la société requérante, ont suffisamment exposé les motifs de leur décision. Par suite, la société Adneom n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel (...) ". Aux termes l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 5212-1 du code du travail : " Tout employeur emploie, dans la proportion de 6 % de l'effectif total de ses salariés, à temps plein ou à temps partiel, des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés, mentionnés à l'article L. 5212-13 ". Aux termes de l'article L. 5212-9 du même code : " L'employeur peut s'acquitter de l'obligation d'emploi en versant au fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés prévu à l'article L. 5214-1 une contribution annuelle pour chacun des bénéficiaires de l'obligation qu'il aurait dû employer. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1111-2 de ce code : " Pour la mise en oeuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l'entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes : 1° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l'effectif de l'entreprise ; 2° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d'un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d'un congé de maternité, d'un congé d'adoption ou d'un congé parental d'éducation ; 3° Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail ". Aux termes de l'article L. 5212-3 dudit code : " (...) Les entreprises de travail temporaire ne sont assujetties à l'obligation d'emploi que pour leurs salariés permanents ". Enfin, aux termes de l'article L. 1253-8-1 du même code : " Pour l'application du présent code, à l'exception de sa deuxième partie, les salariés mis à la disposition, en tout ou partie, d'un ou de plusieurs de ses membres par un groupement d'employeurs ne sont pas pris en compte dans l'effectif de ce groupement d'employeurs ".

5. Les dispositions dérogatoires de l'article L. 5212-3 précité du code du travail permettent aux entreprises de travail temporaire, pour l'application de l'obligation d'emploi prévue à l'article L. 5212-1 dudit code, de ne compter dans leurs effectifs que leurs salariés permanents. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 1253-8 de ce code prévoient des modalités spécifiques de calcul des effectifs s'agissant des salariés mis à disposition de l'un de ses membres par un groupement d'employeurs.

6. La société Adneom soutient que la circonstance qu'elle affecte certains de ses salariés sur des missions longues auprès d'entreprises clientes la place dans une situation comparable à celle des entreprises de travail temporaire et des groupements d'employeurs. Elle en déduit que la " double comptabilisation " par l'AGEFIPH desdits salariés tant au sein de ses propres effectifs qu'au sein des effectifs de l'entreprise utilisatrice, pour le calcul du montant de la contribution prévue à l'article L. 5212-9 du code du travail, est contraire au principe d'égalité et méconnaît par suite les articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le préambule de la Constitution de 1946. Toutefois, les salariés de la société requérante affectés à l'exécution des contrats de sous-traitance de prestation de services informatiques conclus par cette dernière avec ses clients ne sauraient être regardés ni comme étant placés dans une situation identique à celle des travailleurs temporaires, ni comme des salariés mis à disposition des entreprises utilisatrices, dès lors notamment qu'ils restent soumis à l'autorité hiérarchique de la société Adneom. Dans ces conditions, les dispositions précitées des articles L. 5212-3 et L. 1253-8 du code du travail ne créent pas, contrairement à ce qu'elle soutient, une rupture d'égalité devant la loi entre les sociétés de services en ingénierie informatique, d'une part, et les entreprises de travail temporaires et les groupements d'employeurs, d'autre part.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Adneom étant dépourvue de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur le bien-fondé du jugement :

8. Comme il a été dit au point 6 du présent arrêt, les salariés de la société Adneom affectés à l'exécution de contrats de sous-traitance de prestation de services ne peuvent être regardés comme étant mis à disposition des clients de la requérante. Par suite, l'AGEFIPH n'a pas commis d'erreur de droit en estimant, par la décision du 25 octobre 2016, que l'ensemble des effectifs de la société Adneom devait être pris en compte pour le calcul du montant de la contribution prévue par les dispositions de l'article L. 5212-9 du code du travail au titre de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Adneom n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fin d'annulation ainsi que celles tendant au remboursement d'un trop-perçu.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AGEFIPH, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Adneom et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 500 euros à l'AGEFIPH.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Adneom est rejetée.

Article 2 : La société Adneom versera la somme de 1 500 euros à l'AGEFIPH au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Adneom et à l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 juillet 2020.

Le rapporteur,

G. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre du travail, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01881


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01881
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : JUILLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;18pa01881 ?
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