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09/07/2020 | FRANCE | N°20PA00571

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 09 juillet 2020, 20PA00571


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités polonaises responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1921471/8 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 février 2020, 27 février 2020 et 5 mai 2020, complétés d'un dépôt de pièces le

24 juin 2020, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoiremen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités polonaises responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1921471/8 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 février 2020, 27 février 2020 et 5 mai 2020, complétés d'un dépôt de pièces le 24 juin 2020, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler le jugement n° 1921471/8 du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Paris ;

3°) d'annuler l'arrêté du 12 septembre 2019 du préfet de police ;

4°) d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale, de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile et de lui remettre le formulaire de demande d'asile ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à son bénéfice si elle n'est pas admise à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le premier juge n'a pas répondu aux moyens concernant le défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle et l'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté contesté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il existe en Pologne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs ;

- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juin 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et indique que le délai de transfert vers la Pologne a été prolongé du fait de la situation de fuite de l'intéressée.

Par une décision du 25 février 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis Mme B... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me A..., avocate de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante russe née en avril 1957, a sollicité l'asile auprès du guichet unique des demandeurs d'asile de Paris le 29 juillet 2019. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées en Pologne le 19 juillet 2019. Par un arrêté du 12 septembre 2019, le préfet de police a décidé de remettre Mme B... aux autorités polonaises, responsables de sa demande d'asile en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Mme B... fait appel du jugement du 3 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 25 février 2020, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant à ce que la Cour lui accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont donc devenues sans objet.

Sur la régularité du jugement :

3. Il ressort des points 4 et 12 du jugement attaqué que le premier juge a suffisamment répondu aux moyens tirés du défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressée et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle. Mme B... n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement est irrégulier car insuffisamment motivé.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

5. Mme B..., qui ne conteste pas que la Pologne est l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile au regard des critères prévus par le règlement européen n° 604/2013 précité, fait valoir qu'elle est entrée en France en même temps que sa fille et ses deux petits-fils, dont l'ainé est handicapé, qui ont été admis à déposer leur demande d'asile en France et auxquels le bénéfice de la protection subsidiaire a d'ailleurs été accordé le 28 janvier 2020. Toutefois, la circonstance que le préfet de police a fait application de la clause discrétionnaire pour admettre la fille de Mme B..., accompagnée d'un mineur et d'un jeune majeur gravement malade, à déposer sa demande d'asile en France ne l'obligeait pas à réserver le même traitement à sa mère, alors même que celle-ci avait quitté son pays avec eux. Dans les circonstances de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 pour admettre Mme B..., qui ne pouvait à la date de la décision de transfert se prévaloir d'aucune attache en France, à y déposer sa demande d'asile.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Comme dit précédemment, Mme B..., entrée en France depuis moins de deux mois à la date de la décision de transfert contestée, n'y disposait d'aucune attache familiale ou privée. La circonstance que sa fille et ses deux petits-fils y ont obtenu, postérieurement à l'arrêté contesté, la protection subsidiaire ne crée aucun droit à son bénéfice. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa présence en France auprès d'eux serait nécessaire. Dans ces conditions, le préfet de police n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi et le moyen tiré de la méconnaissance les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dispose : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ". Si l'un des deux petits-fils de Mme B..., né en 2004, était mineur à la date de l'arrêté de transfert attaqué, cet enfant n'était pas isolé en France où il a été admis à séjourner avec sa mère et son frère pendant l'examen de leur demande d'asile puis après que leur demande de protection subsidiaire a été satisfaite. Dans ces conditions, le préfet de police a pu sans méconnaitre l'intérêt supérieur de cet enfant et les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant décider de remettre Mme B..., sa grand-mère, aux autorités polonaises en vue de l'examen de sa demande d'asile.

9. En quatrième lieu, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. Mme B... soutient qu'elle sera renvoyée en Russie en cas de transfert vers la Pologne, compte tenu de la politique migratoire menée par le gouvernement de ce pays, qu'elle encourt des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine et que les conditions d'accueil en Pologne des demandeurs d'asile, en particulier d'origine tchétchène, seraient défaillantes. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Pologne et non dans son pays d'origine. Or, la Pologne est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et Mme B... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Pologne dans la procédure d'asile ou que sa demande d'asile ne serait pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle et familiale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat n'étant pas partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme B... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente de chambre,

- M. Diémert, président assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2020.

La présidente de la 1ère chambre,

S. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA00571 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA00571
Date de la décision : 09/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : PIERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-09;20pa00571 ?
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