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21/07/2020 | FRANCE | N°18PA02365

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 21 juillet 2020, 18PA02365


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) J-L Polynésie a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler ou de prononcer la résiliation du marché public relatif aux travaux de revêtement de chaussées, d'aménagement et tous travaux connexes de purges localisées, de reprofilage, d'assainissement pluvial et de réseaux sur les routes territoriales de l'île de Tahiti, conclu par le ministre de l'équipement de la Polynésie française avec la société Boyer et notifié le 7 juin 2017.

Par un j

ugement n° 1700297 du 15 mai 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) J-L Polynésie a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler ou de prononcer la résiliation du marché public relatif aux travaux de revêtement de chaussées, d'aménagement et tous travaux connexes de purges localisées, de reprofilage, d'assainissement pluvial et de réseaux sur les routes territoriales de l'île de Tahiti, conclu par le ministre de l'équipement de la Polynésie française avec la société Boyer et notifié le 7 juin 2017.

Par un jugement n° 1700297 du 15 mai 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2018, la société J-L Polynésie, représentée par le cabinet CLL Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 mai 2018 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler, ou, à défaut, de résilier, le marché mentionné ci-dessus ;

3°) de condamner la Polynésie française aux dépens de l'instance ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 1 000 000 francs CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, entaché d'omissions à statuer, est irrégulier ;

- contrairement à ce qu'ont affirmé les premiers juges, son offre, qui a d'ailleurs été examinée et classée, n'était pas irrégulière ;

- pour juger que c'était le cas, les premiers juges, qui se sont fondés sur un avis partial divergent de ceux qu'elle avait produits, n'ont pas tenu compte du fait que le bitume de classe 60/70 qu'elle a proposé était équivalent à ceux de classes 35/50 et 50/70 prévu par le cahier des clauses techniques particulières ;

- en tout état de cause, l'éventuelle irrégularité de l'offre présentée par un candidat lésé ne l'empêche pas de contester la validité du contrat en se prévalant de l'irrégularité de l'offre du candidat retenu ;

- la Polynésie française a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites de la société attributaire du marché, dépourvue d'expérience dans le secteur des enrobés bitumineux et dont le sous-traitant, dont elle ne pouvait au demeurant mettre en avant les capacités, n'était pas plus expérimenté qu'elle ;

- en demandant aux candidats de produire des documents au caractère lacunaire, et sans exiger d'eux qu'ils disposent d'une centrale d'enrobage, la Polynésie française n'a pu correctement évaluer leurs capacités professionnelles, techniques et financières, méconnaissant ainsi ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

- en raison des vices ayant entaché la procédure de passation du marché en litige, il y a lieu de prononcer son annulation, faute de motif d'intérêt général susceptible d'y faire échec, ou, à défaut, sa résiliation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2019, la Polynésie française, représentée par la SELARL Jurispol, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 avril 2019 et le 11 mars 2020, la société par actions simplifiée (SAS) Boyer, représentée par la SCP UGGC Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 000 francs CFP soit mise à la charge de la société J-L Polynésie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance de la société J-L Polynésie, qui n'a pas justifié d'intérêts lésés de façon suffisamment directe et certaine et était de surcroît membre d'un groupement portant atteinte aux règles de la libre concurrence, était irrecevable ;

- elle ne pouvait en outre soulever, au-delà de l'expiration du délai de recours contentieux, un moyen se rapportant à la phase d'analyse des offres, reposant sur une cause juridique distincte de celle concernant la phase des candidatures, seule en cause au stade de la requête introductive d'instance ;

- sur le fond, aucun des moyens soulevés n'est susceptible d'être accueilli.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée ;

- la délibération de l'Assemblée de la Polynésie française n° 84-20 du 1er mars 1984 portant code des marchés publics de toute nature passés au nom de la Polynésie française et de ses établissements publics, modifiée par la délibération n° 2014-59 APF du 8 juillet 2014 portant diverses mesures de simplification et de sécurisation des marchés publics ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- les observations de Me C... pour la société J-L Polynésie ;

- et les observations de Me A... pour la société Boyer.

Considérant ce qui suit :

1. En septembre 2016, la Polynésie française a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert par un avis d'appel public à la concurrence, en vue de la passation d'un marché de travaux à bons de commande, d'une durée d'un an reconductible trois fois, portant sur des travaux de revêtement de chaussées, d'aménagement et tous travaux connexes de purges localisées, de reprofilage, d'assainissement pluvial et de réseaux, sur les routes territoriales de l'île de Tahiti. Après que le groupement solidaire composé des sociétés Bernard Travaux Polynésie, Polygoudronnage et J-L Polynésie, la société Interoute et la société Boyer eurent déposé leurs offres dans les délais requis, le marché a finalement été attribué à la société Boyer, son offre ayant été considérée comme la plus avantageuse. Estimant que le groupement auquel elle appartenait avait été irrégulièrement évincé du marché, notifié le 7 juin 2017, la société J-L Polynésie a saisi le Tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à son annulation, ou, à défaut, à sa résiliation. Elle relève appel du jugement du 15 mai 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges, pour rejeter la requête de la société J-L Polynésie, se sont fondés sur ce que son offre était irrégulière, ne répondant qu'à titre surabondant aux moyens tirés de l'irrégularité de l'offre de la société Boyer, attributaire du marché. Dès lors, la société J-L Polynésie ne saurait utilement soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'omissions à statuer au motif que les premiers juges n'auraient pas répondu aux moyens tirés de ce que la société Boyer ne pouvait se prévaloir des capacités de son sous-traitant au stade de la présentation de son offre et de ce que la Polynésie française, pour apprécier les capacités techniques, professionnelles et financières des candidats, n'auraient exigé d'eux que des documents au caractère lacunaire. En tout état de cause, en relevant, d'une part, que le sous-traitant de la société Boyer, dont l'intervention ne portait que sur une mission de consolidation de son savoir-faire technique, n'avait pas vocation à réaliser lui-même les travaux d'enrobés, et, d'autre part, que la société Boyer, disposant de sérieuses références dans la construction et l'entretien des routes en béton, avait fourni de nombreuses références en travaux exécutés au cours des trois dernières années en Polynésie française, les premiers juges ont répondu aux moyens en cause. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement dont il est relevé appel doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Le concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut cependant, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Il appartient dans un tel cas au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences.

4. Aux termes de l'article 25 du code des marchés publics applicable à l'époque du litige en vertu de l'article 02.01 du règlement particulier d'appel d'offres : " I - Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre (...) ". Selon l'article 25 bis de ce même code : " (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin de la personne publique, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel d'offres ou dans les documents constitutifs du marché (...) ". Enfin, l'article 03.01 du règlement particulier d'appel d'offres a prévu qu'aucune modification ne pourrait être apportée au cahier des clauses techniques particulières.

5. Alors que le cahier des clauses techniques particulières a exigé des candidats au marché, au point 2.2 de son III consacré aux matériaux pour chaussées et trottoirs, que les liants utilisés pour la fabrication des enrobés soient des bitumes purs de classe 35/50 ou 50/70 conformes à la norme NF EN 12591, il est constant que le groupement dont était membre la société J-L Polynésie a proposé un bitume de classe 60/70, non conforme à la norme en cause. De plus, si la société J-L Polynésie soutient que la classe de bitume qu'elle a proposée était équivalente à celle exigée par les documents de la consultation, il est constant qu'elle ne s'est prévalue d'aucune équivalence lors de la remise de son offre. En tout état de cause, il résulte de l'instruction, notamment de l'avis technique rendu par l'expert près les cours administratives d'appel de Paris et de Versailles produit à l'instance, dont l'impartialité ne saurait être mise en cause au seul motif qu'il a été salarié de la société J-L Polynésie plus de vingt ans avant l'attribution du marché, que la classe de bitume 60/70 proposée par l'appelante, qui se prévaut d'avis moins argumentés, est dotée de moindres qualités mécaniques et est moins adaptable aux spécificités du climat tropical que celles conformes à la norme NF EN 12591. Dans ces conditions, la société J-L Polynésie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que l'offre du groupement auquel elle appartenait était irrégulière au regard du cahier des clauses techniques particulières et qu'en conséquence, elle n'avait pas été lésée par l'attribution du marché à la société Boyer. La circonstance que son offre ait pourtant été examinée et classée est à cet égard sans incidence.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que la société J-L Polynésie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation, ou, à défaut, à la résiliation du marché contesté.

Sur les dépens de l'instance :

7. La société J-L Polynésie n'établit pas avoir engagé de dépens dans la présente instance. Sa demande tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de la Polynésie française ne peut donc, en tout état de cause, qu'être rejetée.

Sur les frais de justice :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que demande la société J-L Polynésie au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelante la somme de 1 500 euros à verser à la société Boyer sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société J-L Polynésie est rejetée.

Article 2 : La société J-L Polynésie versera la somme de 1 500 euros à la société Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société J-L Polynésie, à la société Boyer et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. B...Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 18PA02365


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02365
Date de la décision : 21/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: Mme Christelle ORIOL
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : SCP UGGC ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-21;18pa02365 ?
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