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24/09/2020 | FRANCE | N°19PA01134

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 24 septembre 2020, 19PA01134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 février 2017 par laquelle la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés l'a nommée, à compter du 10 février 2017 et à titre provisoire, chargée de mission au sein du service des affaires européennes et internationales.

Par un jugement n° 1705878 du 24 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et

un mémoire en réplique enregistrés le 25 mars 2019 et le 20 mai 2020, Mme E..., représentée pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 9 février 2017 par laquelle la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés l'a nommée, à compter du 10 février 2017 et à titre provisoire, chargée de mission au sein du service des affaires européennes et internationales.

Par un jugement n° 1705878 du 24 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 25 mars 2019 et le 20 mai 2020, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1705878 du 24 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 9 février 2017 de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ;

3°) d'enjoindre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés de la réintégrer dans ses fonctions de chef du service de santé ;

4°) de mettre à la charge de la Commission nationale de l'informatique et des libertés la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme E... soutient que :

- le jugement est irrégulier du fait de l'insuffisance des visas et de motivation ;

- la décision constitue une sanction disciplinaire déguisée qui devait être motivée ;

- la décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que l'enquête n'a pas été impartiale, qu'elle n'a pas été assistée, que le rapport d'enquête est incomplet et orienté, que la commission administrative paritaire n'a pas été consultée et que le rapport ne figurait pas à son dossier individuel ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;

- la mesure ne repose pas sur l'intérêt du service et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle se réfère aux écritures et pièces qu'elle a présentées devant le tribunal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2019, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi

n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,

- et les observations de Mme E... et de Me Bazin, avocat de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Une note en délibéré a été enregistrée le 17 septembre 2020 pour

Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés en qualité de juriste au sein du service des affaires juridiques par un contrat à durée déterminée du 26 mai 2009, qui a été renouvelé avant qu'elle bénéficie d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er juin 2011. A la suite d'une réorganisation des services, Mme E... a été nommée chef du service de la santé au sein de la direction de la conformité à compter du 14 avril 2014. Par une décision du 9 février 2017, la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés l'a nommée, à titre provisoire, chargée de mission au sein du service des affaires européennes et internationales à compter du

10 février 2017. Mme E... fait appel du jugement du 24 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Mme E... a présenté en première instance des moyens qui tendaient à contester la matérialité des faits et le bien-fondé des motifs sur lesquels repose la décision attaquée. Les premiers juges n'ont pas répondu à ces moyens, qui n'étaient pas inopérants. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité, Mme E... est fondée à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé et, par suite, à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la légalité de la décision attaquée :

5. En premier lieu, une mutation d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

6. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée a eu pour effet de restreindre les attributions et les responsabilités de Mme E..., qui a notamment perdu les fonctions d'encadrement qu'elle exerçait en sa qualité de chef de service. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment du rapport d'enquête établi le

14 octobre 2016 qui est à l'origine de cette décision et des attestations et correspondances produites par la requérante, que les faits qui ont justifié la mutation d'office seraient autres que les difficultés managériales invoquées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés et que la présidente de la Commission aurait eu l'intention et la volonté de prononcer une sanction à l'encontre de Mme E.... Par suite, le moyen tiré de ce que la mesure attaquée constituerait une sanction déguisée doit être écarté.

7. En deuxième lieu, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision en litige, dont il n'est par ailleurs pas établi qu'elle aurait pris effet avant d'avoir été notifiée, quand bien même elle a été annoncée aux agents avant sa date de prise d'effet, constituerait une mesure disciplinaire déguisée, les moyens tirés de ce que la mutation ne fait pas partie des sanctions susceptibles d'être infligées à un agent contractuel de l'État par l'article 43-2 du décret du 17 janvier 1986, de ce que cet article imposait une motivation de la décision et de ce que la commission administrative paritaire devait être saisie, en application de l'article 1-2 de ce décret et de la décision du 29 juin 2011 portant création de la commission consultative paritaire de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, seuls fondement de droit invoqués, doivent être écartés comme inopérants.

8. En troisième lieu, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés aurait eu l'intention, à un quelconque stade de la procédure, notamment au cours de l'enquête interne visant à analyser les conditions de travail, l'organisation et les contraintes professionnelles du service de la santé, dont il n'est au demeurant aucunement établi qu'elle aurait été menée à charge, de prendre une mesure disciplinaire à l'encontre de Mme E..., celle-ci n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que le principe du respect des droits de la défense aurait imposé qu'elle soit assistée d'un conseil ou d'un représentant du personnel.

9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés a mandaté le 14 septembre 2016 une délégation pour procéder à l'enquête précédemment citée, composée de la secrétaire de séance du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du directeur administratif et financier, qui ont mené des entretiens sur la base d'un questionnaire établi par la délégation d'enquête. Contrairement à ce que soutient Mme E..., il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le directeur administratif et financier, du seul fait qu'il était alerté des difficultés du service, aurait été dépourvu d'impartialité pour mener cette enquête.

10. En cinquième lieu, si Mme E... soutient que le rapport d'enquête était absent de son dossier individuel lorsqu'elle l'a consulté, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations, alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce rapport lui a été transmis. Si elle soutient également qu'elle n'a pas eu accès aux procès-verbaux de l'audition des agents entendus, elle n'apporte pas plus d'élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles l'accès à ces documents, dont il n'est d'ailleurs pas plus établi qu'ils auraient été absents de son dossier, lui aurait été refusée, ainsi qu'elle le soutient. Par ailleurs, il ne ressort pas de ses termes mêmes que ce rapport, dont il n'est aucunement établi qu'il aurait été établi à la suite d'une enquête à charge, serait incomplet ou aurait été établi sans tenir compte d'autres témoignages et des pièces produites par la requérante.

11. En sixième lieu, Mme E... ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article 45-4 du décret du 17 janvier 1986, qui dispose que : " En cas de transformation du besoin ou de l'emploi qui a justifié le recrutement de l'agent contractuel recruté pour un besoin permanent, l'administration peut proposer la modification d'un élément substantiel du contrat de travail tel que la quotité de temps de travail de l'agent, ou un changement de son lieu de travail. Elle peut proposer dans les mêmes conditions une modification des fonctions de l'agent, sous réserve que celle-ci soit compatible avec la qualification professionnelle de l'agent. Lorsqu'une telle modification est envisagée, la proposition est adressée à l'agent par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre informe l'agent qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître, le cas échéant, son acceptation. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, l'agent est réputé avoir refusé la modification proposée ", dès lors que la décision contestée n'est pas fondée sur ces dispositions. Par ailleurs, cette décision étant rendue au visa du décret du 17 janvier 1986, qui permet à l'administration, dans l'intérêt du service, de prendre des mesures en vue de mettre fin à une situation conflictuelle, elle n'est pas dépourvue de base légale.

12. En septième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête du 14 octobre 2016, que les représentants du personnel ont exposé, lors de la séance du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 14 septembre 2016, des facteurs psychosociaux de risque au travail au sein du service de la santé de la direction de la conformité de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, conduisant à réaliser l'enquête visant à analyser les conditions de travail, l'organisation et les contraintes professionnelles au sein de ce service. Il ressort de cette enquête, qui repose sur le témoignage de plusieurs agents, dont il n'est pas établi que les propos auraient été dénaturés ou tronqués, que le service connaissait notamment une charge de travail alourdie par de longs circuits de validation, y compris pour des dossiers simples, par des validations de dossiers de séance tardives et par un contrôle systématique de l'ensemble des éléments des dossiers, un niveau d'exigence trop élevé, une défaillance dans l'écoute, les propositions et les suggestions des agents étant écartées parfois sans explication, une absence d'autonomie des agents dans leur travail, des modifications quotidiennes apportées aux priorités et des ordres et objectifs contradictoires. Les rédacteurs du rapport en concluent que Mme E... n'a pas su endosser son rôle de " manager " et que sa démarche " aboutit à un contrôle systématique et démotivant de la production, à des validations incessantes, à des réécritures de documents, ce qui s'est répercutée sur la qualité du service et l'ambiance de travail où les agents ne savent plus aujourd'hui comment travailler ". Si Mme E... fait valoir que les difficultés du service résultaient de la charge de travail qui lui incombait, charge qui ressort des pièces du dossier et dont elle avait alerté sa hiérarchie, ainsi que du renouvellement des agents et de la formation de juristes inexpérimentés, qu'elle s'est considérablement investie pour assumer l'ensemble de ses fonctions, la qualité d'expertise technique de la requérante n'étant au demeurant pas remise en cause, et qu'elle n'a pas fait l'objet de plaintes pour harcèlement moral, les insuffisances managériales relevées par l'enquête ne sont pas démenties par les attestations et correspondances produites et établies par des tiers ou d'autres agents du service que ceux auditionnés, ne formulant quant à eux aucun grief à l'encontre de la requérante.

Il ne ressort pas plus des pièces du dossier que les faits relevés, quand bien même ils n'auraient pas été antérieurement mis en cause au cours des procédures d'évaluations professionnelles, étaient induits par des notes internes de validation ou par le comportement de la directrice de la conformité, ou auraient pour seule cause la charge de travail du service. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés se serait fondée sur des faits matériellement inexacts, ni qu'elle aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que, dans les circonstances de l'espèce, le bon fonctionnement du service exigeait le départ de Mme E... de son poste de chef du service de santé, ni que la décision attaquée aurait été entachée de détournement de pouvoir.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 9 février 2017 de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Par suite, sa demande et le surplus de ses conclusions d'appel, y compris celles à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetés.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1705878 du 24 janvier 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. D..., président de la formation de jugement,

- Mme Marion, premier conseiller,

- M. Sibilli, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2020.

Le président-rapporteur,

F. D...L'assesseur le plus ancien,

I. MARION

Le greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA01134 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01134
Date de la décision : 24/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-02-02 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Caractère disciplinaire d'une mesure. Mesure ne présentant pas ce caractère.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : ANDRIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-09-24;19pa01134 ?
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