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12/11/2020 | FRANCE | N°19PA02420

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 12 novembre 2020, 19PA02420


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 17 mai 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a accordé à la société Brasserie de Tahiti l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1800400 du 25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2019, M. D..., représenté par Me Eftimie-Spitz, demande à la Cour :



1°) de surseoir à statuer dans l'attente des résultats de l'enquête de gendarmerie en cours et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 17 mai 2018 par laquelle l'inspectrice du travail a accordé à la société Brasserie de Tahiti l'autorisation de le licencier.

Par un jugement n° 1800400 du 25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2019, M. D..., représenté par Me Eftimie-Spitz, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente des résultats de l'enquête de gendarmerie en cours et de la décision du tribunal correctionnel ;

2°) d'annuler le jugement n° 1800400 du 25 avril 2019 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) d'annuler la décision du 17 mai 2018 de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement pour faute grave ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il convient de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal correctionnel afin que la décision administrative soit conforme à l'analyse du juge pénal ;

- son licenciement qui est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance de l'article 15 de la convention collective de l'industrie de la Polynésie française est dénué de cause réelle et sérieuse ; la convocation à l'entretien préalable au licenciement qui lui a été remise le 12 mai 2018 fait état de vols de bières commis le 17 janvier 2018 alors que durant l'entretien l'employeur lui a également imputé le vol d'un carton de bières commis le 18 janvier 2018 ;

- sa demande tendant à visionner l'intégralité des enregistrements des caméras de vidéosurveillance est restée sans suite ;

- il n'a pas commis les vols qui lui sont reprochés et les éléments matériels ne démontrent pas son implication dans ces vols mais attestent seulement qu'il a reconduit M. A... à son domicile sans connaître le contenu des cartons qui avaient été entreposés dans son véhicule ; en tout état de cause, en application des dispositions de l'article Lp.1225-1 du code du travail de la Polynésie française, le doute doit profiter au salarié.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2019, la SA Brasserie de Tahiti, représentée par Me Usang, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que, d'une part, M. D... n'a formé aucun recours à l'encontre de la décision du 10 septembre 2018 du directeur du travail confirmant la décision de l'inspectrice du travail du 7 mai 2018 qui par conséquent est devenue définitive et s'impose aux parties et, d'autre part, M. D... n'a pas présenté devant la Cour de conclusions aux fins d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 7 mai 2018 ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2020, la Polynésie française, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable car le requérant s'est borné à reprendre intégralement et exclusivement sa demande de première instance, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- la demande de sursis à statuer doit être rejetée, car M. D... ne démontre pas que l'enquête pénale serait toujours en cours et qu'une décision définitive d'une juridiction pénale ayant statué sur le fond de l'action publique pour les faits ayant motivé la demande d'autorisation de licenciement et acquis force de chose jugée aurait été rendue ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code du travail de la Polynésie française ;

- la convention collective de l'industrie de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- et les observations de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a été recruté par la société Brasserie de Tahiti le 3 octobre 2011 en qualité de cariste préparateur au sein de l'usine de production de la Punaruu et était titulaire, depuis le 18 août 2016, du mandat de délégué du personnel suppléant. Le 20 mars 2018, la société Brasserie de Tahiti a sollicité de l'inspectrice du travail l'autorisation de licencier

M. D... pour faute grave. Par une décision du 17 mai 2018, l'inspectrice du travail a accordé cette autorisation. Saisi d'un recours hiérarchique de M. D..., le directeur du travail a, par une décision du 10 septembre 2018, confirmé la décision de l'inspectrice du travail. Par un jugement du 25 avril 2019, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation de la seule décision du 17 mai 2018 de l'inspectrice du travail. Par la présente requête, M. D... relève appel de ce jugement. Il doit être regardé comme demandant également l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 17 mai 2018 et de la décision du directeur du travail du 10 septembre 2018.

2. En vertu des dispositions du code du travail de la Polynésie française, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, et ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 15 de la convention collective de l'industrie de la Polynésie française applicable à la SA Brasserie de Tahiti : " Le licenciement pour faute devra obéir aux règles suivantes : 1ère phase - lettre annonçant à l'employé que l'employeur envisage de le licencier, précisant le ou les motifs du licenciement et le convoquant à une réunion d'information pour le lendemain. Cette lettre sera notifiée directement au salarié. - audition du salarié, éventuellement en présence d'un délégué du personnel ou d'un employé de l'entreprise de son choix, le motif du licenciement est communiqué au salarié qui a la possibilité de s'expliquer. 2e phase - lettre recommandée simple contenant : la notification du licenciement, l'indication du ou des motifs de licenciement. (...) " ;

4. Il ressort des pièces du dossier que la convocation à l'entretien préalable au licenciement remise en mains propres à M. D... le 12 mars 2018 a mentionné pour seuls faits pouvant justifier la mesure de licenciement les vols de cartons de bières intervenus au cours de la soirée du 17 janvier 2018. Il ressort néanmoins des termes de la demande d'autorisation de licencier M. D... en date du 20 mars 2018 adressée à l'inspectrice du travail que durant cet entretien, l'employeur a également évoqué des vols intervenus le 18 janvier 2018 qui auraient été commis par le salarié et que la demande d'autorisation est fondée sur l'ensemble des faits intervenus les 17 et 18 janvier 2018 en méconnaissance des stipulations de l'article 15 de la convention collective de l'industrie de la Polynésie française. Toutefois, l'inspectrice du travail s'est fondée, dans sa décision du 17 mai 2018, sur les seuls faits de vols commis le 17 janvier 2018 pour accorder l'autorisation de licencier M. D.... Dans ces conditions, le vice qui a affecté la procédure de licenciement de M. D... ne saurait être regardé comme ayant privé le salarié d'une garantie et n'a pas été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision contestée.

5. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que les images de vidéosurveillance présentées par la SA Brasserie de Tahiti à l'inspectrice du travail sont séquencées et qu'il n'a pas été fait droit à la demande, dont la date n'est pas précisée, de visionnage des bandes de vidéosurveillance dans leur intégralité adressée par M. D... à la direction du travail. Toutefois, le requérant ne justifie pas en quoi le visionnage de l'intégralité des bandes de vidéosurveillance de la soirée du 17 janvier 2018 permettrait d'établir son absence d'implication dans les faits reprochés alors que ces derniers sont établis par d'autres pièces du dossier comme il est énoncé au point 7. Dans ces conditions, et alors que le requérant ne soutient pas que les images de vidéosurveillance séquencées sur lesquelles s'est fondée l'inspectrice du travail auraient dû être écartées, la circonstance que l'intégralité des bandes de vidéosurveillance ne lui ait pas été communiquée ne saurait être regardée comme l'ayant privé d'une garantie et n'a pas été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision contestée.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article Lp. 1225-1 du code du travail de la Polynésie française : " En cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. "

7. Il ressort du rapport d'incident du 18 janvier 2018 rédigé par les agents de la société de gardiennage et de sécurité privée présents sur le site de production de la SA Brasserie de Tahiti et du rapport d'huissier établi le 19 janvier 2018 à partir notamment de photographies prises par les agents de sécurité et des bandes de vidéosurveillance provenant de trois caméras de surveillance situées à l'extérieur de l'usine de production que M. A..., salarié de l'entreprise, s'est rendu à trois reprises à l'extérieur de l'usine avec un élévateur dont les feux étaient éteints avec à chaque sortie un carton se trouvant à l'arrière de l'élévateur qui avait disparu lors de son retour, que le pick-up de M. D... était stationné " face au bâtiment de la cantine des employés sur une place de stationnement aménagé devant la clôture " et que les agents de sécurité ont aperçu deux cartons de bières dans la benne de ce véhicule. A la lecture du rapport d'incident, la SA Brasserie de Tahiti a mis au jour des vols de trois cartons de bières. Si le requérant soutient que ce rapport d'incident comporte des incohérences quant à l'endroit exact où le pick-up était stationné et à l'ouverture des portes arrières de ce véhicule, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été filmé par les caméras de vidéosurveillance en train de discuter avec M. A... qu'il allait raccompagner chez lui et de déposer un carton de bières à l'intérieur de son véhicule par la porte arrière gauche et que ce véhicule était stationné, comme il a été dit, face au bâtiment de la cantine des employés. Le requérant ne saurait soutenir qu'il ne s'était pas rendu compte de la présence des cartons de bières dans son véhicule. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. A... a reconnu, lors de son audition par les services de gendarmerie et par l'inspectrice de travail, avoir dérobé trois cartons de bières à la demande et pour le compte de M. D... et les avoir placés dans son pick-up. Si M. D... soutient que les déclarations de M. A... étaient motivées par la volonté d'obtenir de l'employeur le bénéfice d'un départ à la retraite anticipé, le caractère calomnieux ou de complaisance des déclarations de M. A... n'est pas établi alors qu'au demeurant ce dernier a été licencié pour faute grave par la SA Brasserie de Tahiti le 20 mars 2018 et que son départ anticipé à la retraite est justifié pour la pénibilité de son emploi pendant ses 32 années travaillées en usine de production de boissons. En outre, les deux cartons de bières placés dans la benne du pick-up de M. D... ne peuvent correspondre aux " rations " allouées par l'entreprise comme l'a pourtant déclaré l'intéressé lors de l'entretien préalable au licenciement dès lors que ces " rations " ne lui ont pas été distribuées le 17 janvier 2018 mais le 19 janvier 2018. Enfin, les nombreuses attestations versées au dossier par le requérant ne portent pas sur les événements du 17 janvier 2018. Par suite, la matérialité des faits de vols de deux cartons de bières retenus par l'inspectrice du travail pour autoriser le licenciement de M. D... est établie.

8. En quatrième lieu, eu égard aux motifs énoncés au point précédent, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'un doute subsiste sur la matérialité de faits qui lui sont reprochés. Le moyen tiré de ce que les décisions contestées auraient méconnu les dispositions, citées ci-dessus, de l'article Lp. 1225-1 du code du travail de la Polynésie française, dès lors être écarté.

9. En cinquième et dernier lieu, si en se prévalant de ce que l'employeur a pu licencier des délégués du personnel considérés comme gênants, le requérant entend soutenir qu'il existe un lien entre son mandat de délégué du personnel suppléant et la demande d'autorisation de licenciement, il n'établit toutefois pas un tel lien.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non- recevoir opposées par la SA Brasserie de Tahiti et la Polynésie française tirées de l'irrecevabilité de la requête, et sans qu'il ait lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale en cours, ses conclusions à fins d'annulation doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... le paiement, d'une part, à la Polynésie française de la somme de 500 euros et, d'autre part, à la SA Brasserie de Tahiti de la somme de 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : M. D... versera d'une part, à la Polynésie française une somme de 500 euros et, d'autre part, à la SA Brasserie de Tahiti une somme de 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à la SA Brasserie de Tahiti et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- Mme Collet, premier conseiller,

- Mme Larsonnier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.

Le rapporteur,

V. LarsonnierLe président,

H. VINOT

Le greffier,

C. POVSE

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA02420

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02420
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : EFTIMIE-SPITZ

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-11-12;19pa02420 ?
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