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21/12/2020 | FRANCE | N°20PA02168

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 21 décembre 2020, 20PA02168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités danoises.

Par un jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête enregistrée le 7 août 2020, sous le n° 20P

A002168, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2007727/8 du 3 jui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités danoises.

Par un jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête enregistrée le 7 août 2020, sous le n° 20PA002168, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant ce tribunal.

Il soutient que :

- une décision de transfert vers un pays membre de l'Union européenne n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner le ressortissant étranger à destination de son pays d'origine mais dans le pays, membre de l'Union européenne, responsable de sa demande d'asile aux fins d'examen de sa demande d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la faculté pour les autorités française d'examiner, au titre de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, une demande d'asile présentée par un ressortissant étranger d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile ; la circonstance que la demande d'asile d'un ressortissant étranger ait été définitivement rejetée dans l'un des pays membres de l'Union européenne, alors qu'il soutient craindre des traitements inhumains et dégradants dans son pays d'origine, ne crée par elle-même aucune obligation pour le préfet d'admettre l'intéressé à déposer une nouvelle demande d'asile en France dès lors que l'objectif poursuivi par le règlement n° 604/2013 est d'éviter le dépôt de demandes d'asile successives ou simultanées dans chaque pays membres de l'Union européenne ; au cas d'espèce, la circonstance que les autorités danoises aient accepté la reprise en charge de la demande d'asile présentée par M. D... n'implique nullement le rejet définitif, par ces mêmes autorités, de la demande de protection internationale présentée antérieurement par l'intéressé ; à supposer même que M. D... ait épuisé toutes les voies de recours contre le rejet de sa demande d'asile et la mesure d'éloignement subséquente, le Danemark ayant accepté la reprise en charge de M. D..., les mesures prises à son encontre doivent, dans ces conditions, être regardées comme caduques ; ce faisant, le risque d'exécution par les autorités danoises d'une mesure d'éloignement à destination de la Somalie, de même que l'impossibilité d'exercer un recours effectif en invoquant la dégradation de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établies ;

- le Danemark, qui est un pays membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 19851 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est présumé respecter les droits fondamentaux et assurer un traitement des demandes d'asile respectueux de ces droits tels qu'ils sont protégés par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; M. D... ne justifie ni même n'allègue qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques au Danemark dans la procédure d'asile ni que les autorités danoises n'auraient pas traité sa demande d'asile dans les conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ; M. D... n'établit pas que les autorités danoises feraient structurellement ou systématiquement obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une nouvelle demande d'asile ni qu'une telle demande ne serait pas examinée par ces mêmes autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile et ni que les autorités danoises ne respecteraient pas les dispositions de l'article 40 de la directive n° 2013/32/UE ; la circonstance que M. D... n'aurait aucun élément nouveau à faire valoir devant les autorités danoises ne saurait suffire à démontrer le caractère inéluctable de son renvoi vers son pays d'origine ;

- les autorités françaises n'étaient nullement tenues de recueillir préalablement, sur le fondement de l'article 34 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, auprès des autorités danoises des renseignements sur le caractère exécutoire de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. D... dès lors que les dispositions du d) du 1 de l'article 18 de ce même règlement prévoient la possibilité de prendre une décision de transfert vers un Etat membre ayant rejeté la demande d'asile d'un ressortissant étranger ;

- à supposer que la région du moyen Shabelle, qui n'est pas le seul point d'entrée en Somalie, soit caractérisée, à la date de l'arrêté attaqué, par un contexte de violence généralisée, M. D... n'apporte, au soutien de ses affirmations sur sa nationalité ou ses origines, aucun élément précis et vérifiable sur son lieu de naissance et sa résidence habituelle ; il n'apporte aucun élément pertinent et probant relatifs aux risques encourus à titre personnel en cas de retour dans son pays d'origine ;

- l'arrêté en litige n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors que de surcroît M. D..., au demeurant isolé en France, ne peut être regardé, compte tenu de la brièveté de son séjour en France, comme y ayant fixé le centre de ses intérêts privés et familiaux.

Par une ordonnance du 26 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 novembre 2020.

M. D..., représenté par Me C... B..., a produit un mémoire en défense qui a été enregistré le 7 décembre 2020.

II - Par une requête enregistrée le 30 septembre 2020, sous le n° 20PA002838, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris, et reprend les moyens invoqués sans sa requête principale.

M. D..., à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 26 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., qui indique être né le 30 août 1988 et être de nationalité somalienne, s'est présenté aux services de la préfecture de police le 11 mars 2020 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 18 mai 2020, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités danoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par la requête susvisée n° 20PA02168, le préfet de police relève appel du jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et, par la requête n° 20PA02838, en demande le sursis à exécution.

2. Les requêtes n°s 20PA02168 et 20PA02838 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la requête n° 20PA02168 :

3. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ".

4. Pour annuler l'arrêté en litige contesté devant lui comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation à défaut pour le préfet de police d'avoir fait application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 permettant à l'État français de se reconnaître compétent pour examiner, à titre dérogatoire, la demande d'asile de M. D..., le tribunal a relevé que les autorités danoises avaient retiré à l'intéressé le bénéfice de la protection subsidiaire qui lui avait été accordée le 19 décembre 2013 et que la commission d'appel des réfugiés (Refugee Appeals Board) avait confirmé cette décision, le 2 janvier 2020, et l'avait informé de ce qu'il serait obligatoirement renvoyé vers la Somalie s'il ne quittait pas le Danemark dans le délai d'un mois. Le tribunal a, par ailleurs, estimé que M. D..., qui soutient être originaire de la région du Moyen Shabelle, l'une des plus violentes de Somalie, où la milice Al Shabaab continue d'y étendre son influence, exposant ainsi les populations civiles à des risques d'exaction, serait contraint, en cas de renvoi vers son pays d'origine, de passer par la ville de Mogadiscio, où se situe l'aéroport international, et où la situation sécuritaire est particulièrement dégradée.

5. Toutefois, il est constant que l'arrêté en litige, qui a seulement pour objet le transfert de M. D... vers le Danemark, ne prononce pas son éloignement vers la Somalie. Par ailleurs, le Danemark, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, le Danemark ayant accepté sa reprise en charge, la mesure d'éloignement qu'il avait antérieurement édictée à l'encontre de M. D... doit être regardée comme caduque. M. D... ne produit aucun élément de nature à établir que les autorités danoises, alors même que le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été retiré, l'éloigneront à destination de la Somalie, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement, ni qu'il ne pourrait faire valoir le cas échéant des éléments nouveaux relatifs à sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Somalie à l'appui d'une nouvelle demande d'asile que les autorités danoises apprécieraient dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Au demeurant, M. D... n'apporte aucun élément précis quant à sa provenance géographique et n'établit pas, par les pièces qu'il a produites, qu'il courrait, du seul fait de son passage par la ville de Mogadiscio, alors que le préfet de police soutient sans être contredit que la Somalie compte trois aéroports internationaux, un risque réel de subir des menaces graves, directes et individuelles en cas de retour en Somalie. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif susrappelé pour annuler son arrêté du 18 mai 2020.

6. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. D... en première instance.

7. A supposer que M. D... ait entendu faire valoir qu'un renvoi vers la Somalie l'exposerait à des risques personnels graves, il résulte de ce qui a été dit au point 5. du présent arrêt que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 mai 2020 par lequel il a prononcé le transfert de M. D... vers le Danemark. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant ce tribunal.

Sur la requête n° 20PA02838 :

9. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 20PA02168 du préfet de police tendant à l'annulation du jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 20PA02838 par laquelle le préfet de police a sollicité de la Cour le sursis à exécution de ce jugement.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02838.

Article 2 : Le jugement n° 2007727/8 du 3 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2020.

Le rapporteur,

S. E...Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 20PA02168, 20PA02838


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02168
Date de la décision : 21/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : KREMER ; KREMER ;

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-12-21;20pa02168 ?
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