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11/03/2021 | FRANCE | N°19PA03657

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 11 mars 2021, 19PA03657


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a refusé de l'autoriser à changer de nom, ensemble la décision du 29 mars 2018 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1808479 du 19 septembre 2019 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2019, M. C... E..., représe

nté par Me A..., doit être regardé comme demandant à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a refusé de l'autoriser à changer de nom, ensemble la décision du 29 mars 2018 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1808479 du 19 septembre 2019 le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2019, M. C... E..., représenté par Me A..., doit être regardé comme demandant à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 19 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête ;

2°) d'annuler la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a refusé de l'autoriser à changer de nom, ainsi que la décision du 29 mars 2018 rejetant son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à son changement de nom pour celui de " F...-E... ", et, à titre subsidiaire, celui de " E...-F... " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande devant le tribunal administratif de Paris était recevable ;

- il justifie de motifs affectifs constitutifs de circonstances exceptionnelles propres à caractériser un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil ; la décision est entachée d'erreur d'appréciation ;

- il fait un usage constant et ininterrompu de son nom de " E...-F... " depuis 2005.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La mère du requérant, Mme F..., a demandé que la paternité de M. B... E..., soit reconnue à l'égard de ses trois fils, C..., Matthieu et Gaëtan, nés respectivement en 1985, 1987 et 1989, qui portaient alors son patronyme " F... ", par une procédure judiciaire introduite en 1994. Un jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 11 mai 1999 a fait droit à sa demande de reconnaissance de filiation, confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 mai 2001, qui a également décidé que les enfants porteraient le nom de " E... ". Le pourvoi de M. B... E... à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation en 2003. M. C... E... a, dès 2009, fait une demande de changement de son nom en " F...-E... " auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, laquelle a été rejetée par une décision du 18 décembre 2009. Le recours introduit devant le tribunal administratif de Paris contre cette décision a été rejeté pour tardiveté, rejet confirmé en appel. Par une requête publiée au journal officiel du 31 décembre 2015, M. C... E... a de nouveau sollicité le changement de son nom de " E... " en " F...-E... ". Par une décision du 27 décembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande, puis par une décision du 29 mars 2018, a rejeté son recours gracieux à l'encontre de cette décision.

M. C... E... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 19 septembre 2019, dont il fait appel, ce tribunal a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / (...) Le changement de nom est autorisé par décret. ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

3. Il ressort des pièces du dossier, que si M. C... E..., comme ses frères, a eu des relations avec son père dans son enfance, celles-ci étaient épisodiques, ce dernier étant marié par ailleurs et ayant des enfants de cette union légitime et qu'elles n'ont duré que jusqu'en 1994, alors qu'il était âgé de 9 ans, année au cours de laquelle sa mère a introduit une procédure judiciaire en reconnaissance de paternité. Dans le cadre de cette procédure, le requérant a été entendu par le juge en 2001 pour donner son avis sur son éventuel changement de nom, alors qu'en tant qu'enfant naturel il portait jusque-là celui de sa mère conformément aux dispositions alors applicables de l'article 334-1 du code civil. Etant alors âgé de 15 ans, ne pouvant légalement, comme sa mère l'aurait souhaité, porter les noms de ses deux parents, il a choisi, comme ses frères, le nom de son père, espérant comme il ressort de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 mai 2001, " normaliser " les relations avec son père, étant à la recherche d'une légitimation, à la fois familiale et sociale. Il ressort toutefois des témoignages et des pièces des procédures judiciaires produits au dossier, que son père, qui n'a jamais voulu le reconnaître comme son fils, pas plus que ses frères, n'avait plus entretenu aucune relation avec ses enfants à partir de 1994, ni pourvu à leur entretien comme il l'avait fait auparavant. Si, à compter d'un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du

15 mai 2001, le père du requérant a versé une pension alimentaire à la mère des enfants jusqu'à la fin de leur scolarité, c'est pour se conformer aux obligations fixées par cet arrêt. Il ressort ainsi d'une attestation du père du requérant versée au dossier, datée de janvier 2018, que celui-ci ne se considère que comme le géniteur de ce dernier et de ses frères, et témoigne qu'il n'a " jamais respecté son devoir parental, n'a jamais vécu avec eux ni entretenu de relation affective, éducative ou été présent pour eux " et qu'il " n'a jamais tenté de reprendre contact avec l'un d'eux, car malgré la condamnation de paternité, (il) ne les considère pas comme (sa) famille, ni comme (ses) fils ". Les enfants, qui ont continué à utiliser soit le nom de leur mère, soit le nom d'usage de " E...-F... ", ont donc été élevés par leur mère seule, sans aucun lien affectif avec leur père. De telles circonstances doivent être regardées comme exceptionnelles et caractérisent un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom de " E... " en " F...-E... " comme le requérant le demande, notamment pour pouvoir transmettre le nom de sa mère à ses enfants.

4. Il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom, ainsi que la décision du 29 mars 2018 rejetant son recours gracieux. Le jugement du 19 septembre 2019 et les décisions du garde des sceaux, ministre de la justice des 27 décembre 2017 et 29 mars 2018, doivent donc être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. L'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

6. Les conclusions présentées par le requérant tendant à ce qu'il soit jugé qu'il portera désormais le nom de " F...-E... " doivent être regardées comme des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à son changement de nom pour celui de " F...-E... " en vertu des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative.

7. L'annulation des décisions litigieuses pour le motif retenu au point 3 implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, présente au Premier ministre un projet de décret autorisant M. C... E... à changer son nom en " F...-E... ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui succombe dans la présente instance, une somme de 1 000 euros à verser à M. C... E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1808479 du tribunal administratif de Paris du 19 septembre 2019 est annulé.

Article 2 : La décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de M. C... E..., ainsi que la décision du 29 mars 2018 rejetant son recours gracieux, sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret tendant à autoriser M. C... E..., à substituer à son nom celui de " F...-E... ".

Article 4 : L'Etat versera à M. C... E... une somme de 1000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mars 2021.

Le président,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA03657


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19PA03657
Date de la décision : 11/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Changement de nom patronymique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Mathilde RENAUDIN
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : CARA TANGUY

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-11;19pa03657 ?
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