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26/03/2021 | FRANCE | N°17PA02932,17PA03029

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 26 mars 2021, 17PA02932,17PA03029


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Nord Ester a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 488 670,38 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des décisions du 28 février 2013 du ministre délégué chargé du budget refusant de lui délivrer des agréments d'unités de production de biocarburants donnant lieu à réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour diverses tranches fermes ou conditi

onnelles au titre de certaines périodes ou bien lui accordant les agréments pour la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Nord Ester a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 488 670,38 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des décisions du 28 février 2013 du ministre délégué chargé du budget refusant de lui délivrer des agréments d'unités de production de biocarburants donnant lieu à réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour diverses tranches fermes ou conditionnelles au titre de certaines périodes ou bien lui accordant les agréments pour la production d'un nombre limité de tonnes de biocarburants, intervenues à l'issue des appels à candidatures n° DGPAAT-2012-085 et n° DGPAAT-2012-132.

Par un jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Nord Ester la somme de 1 603 199 euros en réparation de son préjudice ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Nord Ester.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 17PA02932 le 25 août 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner la société Nord Ester à rembourser à l'Etat la somme de 1 603 199 euros qui lui a été versée en exécution de ce jugement ;

3°) de mettre à la charge de la société Nord Ester le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préjudice dont se prévaut la société Nord Ester n'est pas établi ;

- en tout état de cause, le lien direct entre le préjudice dont se prévaut la société Nord Ester et la prétendue faute de l'administration dans la réallocation des quotas n'est pas établi ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la société Nord Ester disposait de chances sérieuses d'obtenir des quotas plus importants que ceux attribués par les décisions du 28 février 2013 et qu'elle pouvait être indemnisée de son manque à gagner ; en effet, elle ne disposait pas de chances sérieuses d'obtenir une réallocation de ses quotas de l'ordre de 53% des quotas antérieurement obtenus compte tenu des quantités qu'elle avait sollicitées pour chaque tranche et de l'application de la méthode de répartition retenue par l'administration et appliquée de la même manière à tous les candidats ; s'agissant de la tranche ferme n° 2, la majorité des sociétés a obtenu 21,47% des quantités sollicitées et la société Nord Ester a obtenu 21,13%.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2017, la société Nord Ester, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête du ministre de l'action et des comptes publics et demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 488 670, 38 euros au titre du préjudice subi du fait de l'illégalité des décisions du 28 février 2013 du ministre délégué chargé du budget et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés ;

- le tribunal ne pouvait pas retenir le taux de réallocation moyen des agréments de 53 % qui résulte uniquement des dires de l'administration ;

- elle a bénéficié de quotas annuels de 90 700 tonnes de biocarburants donnant lieu à défiscalisation pour la période de 2008 à 2013 alors que les quotas alloués au titre des années 2014 et 2015 sont respectivement de 25 356 tonnes et de 34 956 tonnes, soit une baisse de plus de 72 % pour 2014 et de 62 % pour 2015 ; certains coûts de production ont été multipliés par 3,5 ce qui a eu un impact immédiat et irréversible sur l'activité de l'entreprise et sur celle du groupe ;

- il ressort de la note établie par le cabinet KPMG, commissaire aux comptes, que le manque à gagner pour l'année 2014 s'élève à 3 029 509,67 euros et pour l'année 2015 à 2 459 130,71 euros.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 17PA03029 le 6 septembre 2017, la société Nord Ester, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 488 670, 38 euros au titre du préjudice subi du fait de l'illégalité des décisions du 28 février 2013 du ministre délégué chargé du budget ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés et soulève les mêmes moyens que ceux exposés sous le n° 17PA02932.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris, de condamner la société Nord Ester à rembourser à l'Etat la somme de 1 603 199 euros qui lui a été versée en exécution de ce jugement et, enfin, de mettre à la charge de la société Nord Ester le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la société Nord Ester ne sont pas fondés ;

- le préjudice dont se prévaut la société Nord Ester n'est pas établi ;

- en tout état de cause, le lien direct entre le préjudice dont se prévaut la société Nord Ester et la prétendue faute de l'administration dans la réallocation des quotas n'est pas établi ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la société Nord Ester disposait de chances sérieuses d'obtenir des quotas plus importants que ceux attribués par les décisions du 28 février 2013 et qu'elle pouvait être indemnisée de son manque à gagner.

Par un arrêt avant-dire-droit n°s 17PA01674, 17PA02932, 17PA03029 du 7 mars 2019, la Cour a, avant de statuer sur les requêtes du ministre de l'économie et des finances, du ministre de l'action et des comptes publics et de la société Nord Ester, ordonné un supplément d'instruction aux fins pour le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics de produire dans le respect du secret des affaires, tous les éléments de nature à établir, pour chacune des tranches en cause (les tranches fermes 1, 2 et 3 et les tranches conditionnelles 1, 2 et 3 et pour les périodes correspondantes), la méthode appliquée par l'administration pour répartir les quantités de biocarburants bénéficiant d'agréments fiscaux entre les demandes recevables des sociétés ayant candidaté dans le cadre des appel à candidatures référencés DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 et à déterminer les quantités attribuées aux différentes sociétés et notamment à la société Nord Ester, en particulier les quantités prédéterminées par l'administration de biocarburants faisant l'objet des deux appels à candidatures, les demandes de chacune des sociétés déclarées recevables, les quantités d'agréments de biocarburants qu'elles avaient reçues au titre des années précédentes et celles qui leur ont été attribuées pour chacune des tranches dans le cadre des deux appels à candidatures en cause et la clé de répartition du reste entre les sociétés.

A la suite de cet arrêt avant-dire-droit, les parties ont présenté des mémoires communs aux instances n°s 17PA02932 et 17PA03029.

Par un mémoire, enregistré le 7 juin 2019 dans l'instance n° 17PA03029 et le 14 juin 2019 dans l'instance n° 17PA02932, et un mémoire enregistré le 18 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics persiste dans ses conclusions et dans ses moyens.

Il soutient en outre que du fait d'une augmentation forte de la demande d'agrément par rapport à la quantité proposée et de la méthode utilisée, le taux de renouvellement moyen des agréments était de 53 % au titre de 2014 et de 2015.

Par des mémoires, enregistrés les 28 octobre 2019 et 7 décembre 2020, la société Nord Ester maintient ses conclusions et porte le montant sollicité sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à 15 000 euros.

Elle soutient, en outre, que :

- les pièces communiquées par l'administration à la suite du supplément d'instruction ordonné par la Cour sont difficilement exploitables et sont, en partie, erronées ;

- elle demande à l'administration de communiquer le nom du président de la commission d'examen des demandes d'agréments ;

- l'administration a choisi la méthode d'attribution des agréments après le dépôt des dossiers de candidatures ; or, dans le cas d'un appel d'offres, les règles doivent être fixées au préalable et chacun des candidats doit avoir connaissance de ces règles ;

- la méthode de calcul de l'option 1 a) avec plafond n'a pas été appliquée ; il ressort des pièces versées au dossier par l'administration que certaines sociétés ont obtenu de nouvelles quantités supérieures au plafond correspondant au maximum des agréments pour la période comprise entre 2007 et 2012 et des sociétés ont même obtenu des agréments pour des quantités supérieures à leur capacité maximale de production annuelle ;

- les sociétés qui n'avaient pas obtenu d'agréments sur la période comprise entre 2007 et 2012 n'auraient pas dû obtenir d'agréments à l'issue des deux appels à candidatures ;

- le taux de réallocation n'est pas identique pour chacune des sociétés quel que soit l'année considérée ;

- la société X, société belge, a reçu un traitement particulièrement favorable et a obtenu des quotas supérieurs au maximum autorisé pour les trois années ; elle a ainsi bénéficié d'un fort avantage concurrentiel sur le marché dunkerquois ;

- les appels à candidatures sur les tranches conditionnelles 2 et 3 comportant des erreurs de dates, elle a été induite en erreur par l'administration et son dossier n'a pas pu être instruit correctement ; elle a notamment indiqué pour la tranche conditionnelle n° 3 qu'elle avait déjà une autorisation alors qu'elle n'avait aucun agrément préexistant pour 2015 ; contrairement à ce que soutient l'administration, sa candidature pour les trois tranches conditionnelles 1, 2 et 3 a été déclarée recevable ;

- le système d'allocation des agréments a été mis en oeuvre pour privilégier certaines sociétés dont les sociétés du groupe Diester ;

- certaines sociétés comme les sociétés R et V ont obtenu des agréments supérieurs à leur capacité de production ;

- les décisions de recevabilité et d'irrecevabilité des dossiers sont incohérentes et partiales ;

- des décisions portant sur les tranches conditionnelles 1 à 3 ont été prises en février et octobre 2013 ; il n'était pas possible pour les sociétés de respecter les quotas au titre de l'année 2013 sauf à ce que les sociétés soient informées avant la prise de décision ; le principe de l'égalité de traitement des candidats a été méconnu ;

- les réductions drastiques d'attribution des quotas ont eu des conséquences catastrophiques sur son activité.

Par un mémoire commun aux instances n°s 17PA01674, 17PA02932 et 17PA03029, enregistré le 7 décembre 2020, la société Nord Ester persiste dans ses conclusions et dans ses moyens.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003 ;

- le code des douanes ;

- le décret n° 2004-506 du 7 juin 2004 ;

- le code de justice administrative ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

- et les observations de Me C..., substituant Me A..., pour la société Nord Ester.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre des dispositions de l'article 265 bis A du code des douanes, issu de la transposition de la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003 permettant aux Etats membres de l'Union européenne de mettre en place des exonérations ou des taux de taxation réduits pour certains biocarburants, et à la suite de la publication de deux avis d'appel à candidatures référencés DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 ayant pour objet la délivrance d'agréments fiscaux d'unités de production de biocarburants pour des quantités à mettre à la consommation sur le territoire français et donnant lieu à réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques applicable en France, la société Nord Ester a candidaté pour divers lots. Par six décisions du 28 février 2013, le ministre délégué chargé du budget a refusé de lui délivrer les agréments pour diverses tranches fermes ou conditionnelles au titre de certaines périodes ou lui a accordé les agréments pour la production d'un nombre limité de tonnes de biocarburants. Par un jugement n° 1601532/2-2 du 20 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a, à la demande de la société Nord Ester, annulé ces décisions et, par un arrêt du 25 mars 2021, la Cour a rejeté le recours du ministre de l'économie et des finances tendant à l'annulation de ce jugement. Par un jugement

n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Nord Ester la somme de 1 603 199 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive des décisions du 28 février 2013. Par une requête enregistrée sous le n°17PA02932, le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement. Par une requête enregistrée sous le n° 17PA03029, la société Nord Ester demande la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande indemnitaire.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n°s 17PA02932 et 17PA03029 présentées respectivement par le ministre de l'action et des comptes publics et la société Nord Ester sont dirigées contre un même jugement du 7 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Nord Ester :

3. Aux termes de l'article 16 de la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité : " 1. Les États membres peuvent, sans préjudice du paragraphe 5, appliquer une exonération ou un taux de taxation réduit, sous contrôle fiscal, aux produits imposables visés à l'article 2, quand ils sont constitués par ou contiennent un ou plusieurs des produits suivants: - les produits relevant des codes NC 1507 à 1518 inclus, - les produits relevant des codes NC 3824 90 55 et 3824 90 80 à 3824 90 99 inclus, pour ce qui est de leurs composants issus de la biomasse, - les produits relevant des codes NC 2207 20 00 et 2905 11 00 qui ne sont pas d'origine synthétique, - les produits issus de la biomasse, y compris les produits relevant des codes NC 4401 et 4402. Les États membres peuvent également appliquer un taux de taxation réduit, sous contrôle fiscal, aux produits imposables visés à l'article 2 quand ils contiennent de l'eau (codes NC 2201 et 2851 00 10). (...) 5. L'exonération ou la réduction prévues pour les produits visés au paragraphe 1 peuvent être octroyées dans le cadre d'un programme pluriannuel, au moyen d'une autorisation délivrée par une autorité administrative à un opérateur économique pour plus d'une année civile. La période d'application de l'exonération ou de la réduction ainsi autorisées ne peut pas dépasser six années consécutives. Cette période est renouvelable. Dans le cadre d'un programme pluriannuel ayant fait l'objet d'une autorisation délivrée par une autorité administrative avant le 31 décembre 2012, les États membres peuvent appliquer l'exonération ou la réduction prévues au paragraphe 1 au delà du 31 décembre 2012, jusqu'au terme du programme pluriannuel. Cette période n'est pas renouvelable. (...) ".

4. L'article 265 bis A du code des douanes alors applicable, issu de la transposition de la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003 permettant aux Etats membres de l'Union européenne de mettre en place des exonérations ou des taux de taxation réduits pour certains biocarburants, dispose que : " Les produits désignés ci-après, élaborés sous contrôle fiscal en vue d'être utilisés comme carburant ou combustible, bénéficient, dans la limite des quantités fixées par agrément et sous réserve de respecter les critères de durabilité prévus par les articles L. 661-3 à L. 661-6 du code de l'énergie, d'une réduction de la taxe intérieure de consommation dont les tarifs sont fixés au tableau B du 1 de l'article 265, ces taux de défiscalisation pouvant être revus à la hausse en fonction du contexte économique. Cette réduction est fixée comme suit : (...). Pour bénéficier de la réduction de la taxe intérieure de consommation, les unités de production des esters méthyliques d'huile végétale ou d'huile animale, des esters éthyliques d'huile végétale, de biogazole de synthèse, d'alcool éthylique et de ses dérivés doivent être agréées par le ministre chargé du budget après avis du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de l'industrie, sur procédure d'appel à candidatures publiée au Journal officiel des Communautés européennes.(...) 3. La durée de validité des agréments délivrés ne peut excéder six ans. 4. L'opérateur dont les unités sont agréées est tenu de mettre à la consommation en France ou de céder aux fins de mise à la consommation en France la quantité annuelle de biocarburants fixée par l'agrément qui lui a été accordé. Le transfert d'une partie d'un agrément délivré à une unité de production est autorisé au profit d'une autre unité agréée d'un même opérateur. Ce transfert donne lieu à accord préalable de l'administration des douanes. En cas de mise à la consommation ou de cession aux fins de mise à la consommation en France d'une quantité inférieure à la quantité annuelle fixée par l'agrément, cette dernière peut être réduite dans les conditions fixées par décret. (...) ".

5. Par l'arrêt du 25 mars 2021 mentionné au point 1, la Cour a jugé que les décisions du 28 février 2013 par lesquelles le ministre délégué chargé du budget a refusé de délivrer à la société Nord Ester des agréments portant sur des quantités de biocarburants donnant lieu à réduction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques applicable en France pour diverses tranches fermes ou conditionnelles au titre de certaines périodes ou lui a accordé les agréments pour la production d'un nombre limité de tonnes de biocarburants ont été prises en méconnaissance de l'obligation de transparence à laquelle l'administration était tenue dans le cadre du régime d'exonération ou de réduction des taux de taxation de certains biocarburants fixé par la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003. L'illégalité entachant les décisions du ministre délégué chargé du budget est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et à ouvrir droit à réparation si elle est à l'origine, pour la société Nord Ester, d'un préjudice direct et certain.

6. Cependant, en premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de plusieurs appels à candidatures successifs, des agréments donnant lieu à une réduction de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) pour certaines unités de production de biocarburants en application des dispositions de l'article 265 bis A du code des douanes ont été accordés notamment depuis 2007. Les agréments ainsi délivrés avaient une durée maximale de six ans et expiraient au plus tard à la fin de l'année 2015. Dès lors qu'en application de l'article 16 de la directive n° 2003/96 du Conseil du 27 octobre 2003, plus aucun appel à candidature ne pouvait être lancé après le 31 décembre 2012, la date d'expiration commune aux agréments délivrés depuis 2007 et ceux délivrés à l'issue des appels à candidatures DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 a été fixée au plus tard au 31 décembre 2015. Il s'ensuit que pour certaines unités de production de biocarburants, des agréments délivrés successivement pouvaient concerner une même période. Par ailleurs, la quantité annuelle de biocarburants pour laquelle l'unité de production reçoit un agrément doit être mise à la consommation en France et ne peut pas être supérieure à sa capacité de production validée par la commission des agréments des unités de production de biocarburants. Au vu de l'ensemble de ces contraintes attachées aux derniers appels à candidatures DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 en vertu de l'article 16 de la directive du 27 octobre 2003, et d'une augmentation forte des quantités proposées par les entreprises en vue de leur agrément, l'administration a écarté la méthode de répartition, qui avait été envisagée, consistant à répartir les quantités à parts égales entre chaque candidat recevable par calcul itératif de validation par rapport à la capacité de production restante qui ne prenait pas en considération la situation des unités de production de biocarburants au regard des quantités déjà agréées, et a retenu l'option dite " 1 a) ", consistant à répartir les quantités prédéterminées de biocarburants entre les demandes d'agréments recevables de façon proportionnelle à la quantité demandée, plafonnée par la capacité de production disponible, avec plafond au maximum des agréments délivrés pour la période 2007-2012 et répartition du reste entre les unités disposant d'agréments sur cette période. La répartition du reste respecte les mêmes règles de plafonnement. Dans ces conditions, et dès lors que la société Nord Ester n'oppose pas de critique utile quant au choix de cette méthode pour contester les quantités agréées de biocarburants qui lui ont été refusées ou allouées à l'issue des deux appels à candidatures en cause, l'administration n'ayant pas fait application d'un taux de réallocation pour déterminer les quantités de biocarburants à attribuer, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, à l'appui de ses conclusions indemnitaires, de la circonstance que le taux de réallocation des quantités agréées qui lui ont été attribuées est inférieur à celui de plusieurs autres candidats.

7. En deuxième lieu, il résulte du recoupement des tableaux de synthèse de l'ensemble des demandes d'agrément des unités de production de biocarburants et des différentes méthodes de répartition des quantités agréées, et, de l'ensemble des décisions accordant ou refusant aux sociétés candidates des agréments pour la production de biocarburants donnant lieu à réduction de la TICPE pour les tranches fermes 1 à 3 et pour les tranches conditionnelles 1 à 3, versés aux débats à la suite de l'arrêt avant-dire-droit de la Cour du 7 mars 2019, que l'administration a appliqué la même méthode de répartition, soit l'option 1 a) avec plafond au maximum des agréments délivrés pour la période 2007-2012 et répartition du reste entre les unités disposant d'agréments sur cette période comme il a été dit à l'ensemble des demandes. En particulier, il ressort de ces documents que cette méthode de répartition a bien été appliquée aux sociétés X et AC qui, contrairement à ce que soutient la société Nord Ester, n'ont pas obtenu pour chaque tranche sollicitée des quantités agréées supérieures au plafond correspondant à la quantité de biocarburants agréée la plus élevée dont elles ont bénéficié sur la période comprise entre 2007 et 2012 et qui s'élevait à 46 450 tonnes pour la société X et à 55 283 tonnes pour la société AC. En outre, il résulte de l'instruction que les sociétés R et V, dont la capacité de production validée par la commission des agréments des unités de production de biocarburants était de 200 000 tonnes, n'ont pas obtenu une quantité agréée de biocarburants supérieure à leur capacité de production. En effet, à l'issue des appels à candidatures, la société R a obtenu 7 523 tonnes pour la tranche ferme 1 au titre de l'année 2013, 21 639 tonnes pour la tranche ferme 2 au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, 9 082 tonnes pour la tranche ferme 3 au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, 12 527 tonnes pour la tranche conditionnelle 1 au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, 4 700 tonnes pour la tranche conditionnelle 2 au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et 10 450 tonnes pour la tranche conditionnelle 3 au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015, auxquelles s'ajoutent les agréments existants au titre de 2013 à 2016 soit 83 837 tonnes annuelles, ce qui correspond à une quantité annuelle inférieure à 200 000 tonnes pour la période comprise entre 2013 et 2015. Et la société V a obtenu 5 313 tonnes pour la tranche ferme 1, 14 380 tonnes pour la tranche ferme 2, 4 787 tonnes pour la tranche ferme 3, 8 822 tonnes pour la tranche conditionnelle 1, 4 700 tonnes pour la tranche conditionnelle 2 et 7 607 tonnes pour la tranche conditionnelle 3 auxquelles s'ajoutent les agréments existants au titre de 2013 et de 2014 soit 145 109 tonnes annuelles et au titre de 2015 et de 2016 soit 135 109 tonnes annuelles, ce qui correspond également à une quantité annuelle inférieure à 200 000 tonnes. Dans ces conditions, la société Nord Ester, qui ne démontre pas que les décisions en litige auraient été prises en méconnaissance du principe d'égalité des candidats à la délivrance des agréments, n'est pas fondée à demander la réparation d'un préjudice qu'elle aurait subi en conséquence de la violation de ce principe.

8. En troisième lieu, la société Nord Ester soutient que les sociétés qui ne bénéficiaient pas d'agréments sur la période comprise entre 2007 et 2012 étaient placées dans une situation plus favorable que celles qui disposaient d'agréments antérieurs et qui dès lors, en application de la méthode de répartition retenue, étaient assujetties au plafond correspondant à la quantité maximale agréée pour la période comprise entre 2007 et 2012. En effet, il résulte de la méthode de répartition retenue par l'administration que les demandes des unités de production qui ne disposaient pas d'agréments voyaient les quantités agréées plafonnées par leurs seules capacités de production. Toutefois, eu égard aux contraintes qui ont conditionné le choix de l'administration de la méthode de répartition des quantités agréées exposées au point 6 du présent arrêt et alors que celle-ci ne pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, retenir comme condition de recevabilité des demandes d'agréments que les candidates aient bénéficié d'agréments " historiques " et écarter ainsi les nouvelles unités de production de biocarburants, la différence de traitement entre ces sociétés est justifié par l'intérêt général. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que sur les trente -trois unités de production ayant sollicité un agrément à l'issue des deux appels à candidatures concernés, seules cinq unités de production ne détenaient aucun agrément historique et quatre d'entre elles ont présenté une demande uniquement pour les tranches fermes. L'atteinte portée par la méthode de répartition des quantités agréées retenue par l'administration à la situation des vingt-huit unités de production ayant un agrément historique n'est pas disproportionnée eu égard à l'intérêt général.

9. En quatrième lieu, la société Nord Ester soutient que la quantité agréée de biocarburants qui a été attribuée à la société X, qui serait une société belge, lui aurait permis de bénéficier d'un avantage concurrentiel par rapport aux sociétés françaises, en particulier par rapport à celles implantées dans le nord de la France. A supposer que la société X soit une société belge, il ressort des règlements de consultation des appels à candidatures référencés DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 que les agréments étaient délivrés, comme il a déjà été dit, pour des quantités de biocarburants qui devaient être mises à la consommation sur le territoire français et qui donnaient lieu à réduction de la TICPE applicable en France et qui, en application du droit de l'Union européenne, n'étaient pas réservés aux sociétés françaises. Par suite, une société belge pouvait présenter une demande d'agréments dans le respect des conditions fixées par les règlements de consultation des appels à candidatures et bénéficier de quantités agréées de biocarburants.

10. En cinquième lieu, la société Nord Ester soutient que du fait des erreurs matérielles entachant le règlement de consultation de l'appel à candidatures DGPAAT-2012-132 portant sur les périodes de validité des agréments octroyés pour les tranches conditionnelles 2 et 3, ses demandes n'ont pas été correctement instruites dès lors notamment qu'elle a indiqué bénéficier d'un agrément au titre des périodes mentionnées dans l'appel à candidatures alors que finalement, les décisions rejetant ses demandes d'agréments pour les tranches conditionnelles 2 et 3 portaient sur les périodes du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 et qu'elle ne disposait d'aucun agrément au titre de 2015. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'administration a rectifié ces erreurs lors de l'instruction des demandes d'agrément et a pris en considération l'octroi ou non d'agréments historiques pour les périodes du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015. En particulier, il ressort des tableaux de synthèse produits par l'administration qu'elle a retenu l'absence d'agrément de la société Nord Ester au titre de 2015 lors de la répartition des quantités de biocarburants au titre des tranches conditionnelles 2 et 3.

11. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que la société Nord Ester a bénéficié d'agréments pour 90 700 tonnes annuelles de biocarburants donnant droit à la réduction de la TICPE pendant la période comprise entre 2008 et 2013, alors qu'à l'issue des appels à candidatures référencés DGPAAT-2012-085 et DGPAAT-2012-132 elle n'a obtenu que 25 356 tonnes au titre de la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 et 9 600 tonnes au titre de 2015. Toutefois, la société Nord Ester, qui ne justifie d'aucun droit au maintien de la quantité de biocarburants agréée qui lui a été octroyée pendant la période comprise entre 2008 et 2013, ne peut utilement invoquer la circonstance que les réductions importantes de quantités de biocarburants agréées à l'issue des appels à candidatures ont eu des répercussions compromettant la poursuite de son activité industrielle pour demander la condamnation de l'Etat sur le fondement de la responsabilité pour faute.

12. En septième lieu, la société Nord Ester soutient que les candidatures des sociétés D, ETBE1, Ethanol 5, Ethanol 14, M et X étaient irrecevables, leurs dossiers administratifs étant incomplets ou déposés après l'expiration du délai mentionné dans les règlements de consultation des appels à candidatures. Toutefois, à supposer que ces candidatures auraient dû être écartées par l'administration comme irrecevables, la société Nord Ester ne justifie pas d'un préjudice quantifiable qui résulterait pour elle de la prise en compte par l'administration de ces candidatures lors de la répartition des quantités agréées de biocarburants.

13. En dernier lieu, la circonstance que l'administration a méconnu le principe de transparence, en précisant les critères et la méthode de répartition des agréments seulement après avoir réceptionné les demandes des candidats sollicitant des agréments, ne suffit pas à elle seule à établir que la société Nord Ester aurait été privée d'une chance d'obtenir des agréments pour des quantités supérieures à celles qui lui ont été allouées au titre des périodes en cause. Ainsi, la société Nord Ester ne justifie pas avoir subi un préjudice du fait de l'illégalité des décisions du 28 février 2013 du ministre délégué chargé du budget.

14. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Nord Ester la somme de 1 603 199 euros et, d'autre part, que les conclusions de la société Nord Ester tendant à la condamnation de l'Etat doivent être rejetées.

Sur les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics tendant à la condamnation de la société Nord Ester à rembourser la somme versée en exécution du jugement :

15. L'annulation du jugement n° 1605723/2-2 du 7 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Nord Ester la somme de 1 603 199 euros implique nécessairement que la société Nord Ester rembourse la somme qui lui a été versée par l'Etat en exécution de ce jugement, sans qu'il soit besoin d'ordonner à cette société de procéder à ce reversement.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Nord Ester demande au titre des frais liés à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Nord Ester le versement de la somme que le ministre de l'action et des comptes publics demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1605723/2-2 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Nord Ester.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2021.

La présidente de la 8ème chambre,

H. VINOT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

9

N°s 17PA02932, 17PA03029


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02932,17PA03029
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Mesures d'incitation - Exonérations fiscales.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services économiques - Service des douanes.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : DHORNE-CARLIER-KHAYAT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-26;17pa02932.17pa03029 ?
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