La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/03/2021 | FRANCE | N°19PA01315

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 31 mars 2021, 19PA01315


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... épouse A... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler, d'une part, les décisions du président de la Polynésie française du 5 juin 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire de déplacement d'office, du 5 juillet 2018 l'affectant sur le poste de responsable administratif et financier du centre des métiers de la mer en exécution de cette sanction, et l'arrêté du président de la Polynésie française du 30 juillet 2018 constatant que ce déplacement d'office

a pris effet le 5 juillet 2018 au soir, et d'autre part l'avis du conseil de di...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... épouse A... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler, d'une part, les décisions du président de la Polynésie française du 5 juin 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire de déplacement d'office, du 5 juillet 2018 l'affectant sur le poste de responsable administratif et financier du centre des métiers de la mer en exécution de cette sanction, et l'arrêté du président de la Polynésie française du 30 juillet 2018 constatant que ce déplacement d'office a pris effet le 5 juillet 2018 au soir, et d'autre part l'avis du conseil de discipline du 2 mai 2018.

Par un jugement no 1800252 du 19 février 2019, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2019, Mme B... épouse A..., représentée par Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement no 1800252 du 19 février 2019 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler les décisions du président de la Polynésie française du 5 juin 2018 lui infligeant la sanction disciplinaire de déplacement d'office et du 5 juillet 2018 l'affectant sur le poste de responsable administratif et financier du centre des métiers de la mer en exécution de cette sanction ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle ne pouvait être convoquée devant un conseil de discipline qui n'avait pas été régulièrement saisi par le rapport de saisine, en méconnaissance de l'article 86 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 ;

- le délai de 15 jours entre la convocation et la réunion du conseil de discipline n'a pas été respecté en méconnaissance de l'article 4 de la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 ;

- la procédure est irrégulière en l'absence d'information sur des garanties prévues à l'article 25 du statut général de la fonction publique et à l'article 3 de la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 ;

- l'avis du conseil de discipline ne lui a pas été notifié avant l'intervention de la sanction, en méconnaissance des règles du procès équitable et du respect du caractère contradictoire de la procédure ;

- la sanction a été prise sans tenir compte du harcèlement moral dont elle faisait l'objet, en méconnaissance de l'article 5-3 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 ;

- les décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la Polynésie ne l'a pas protégée des menaces et violences dont elle était victime en méconnaissance de l'article 10-3 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 ;

- les décisions sont entachées d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2019, la Polynésie française, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 5 octobre 2020 à 12h.

Un mémoire, présenté pour Mme B..., a été enregistré le 16 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 ;

- la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E...,

- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., attachée d'administration de la Polynésie française, au grade de conseiller des services administratifs principal, travaillait à la direction du budget et des finances quand elle a fait l'objet, par un arrêté du 5 juin 2018, de la sanction du déplacement d'office. Par un arrêté du 5 juillet suivant, elle a été affectée au poste de responsable administratif et financier du centre des métiers de la mer de Polynésie française. Elle fait appel du jugement du 19 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 5 juin et du 5 juillet 2018.

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 86 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique du territoire de la Polynésie française : " (...) / Le conseil de discipline est saisi par le Président du gouvernement sur la base d'un rapport établi par l'autorité d'emploi, précisant les faits reprochés, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis et la sanction proposée. / (...). " Aux termes de l'article 4 de la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 relative à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de la Polynésie française : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline 15 jours au moins avant la date de la réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. "

3. Il ressort des pièces du dossier que c'est sur la base d'un rapport établi le 6 avril 2018 que le conseil de discipline a été saisi par le président du gouvernement de la Polynésie française du cas de Mme B..., et que la lettre de la ministre chargée de la fonction publique du 13 avril 2018 convoquant Mme B... à la réunion du conseil de discipline du 2 mai 2018 lui a été notifiée le 17 avril 2018. D'une part, la circonstance que la saisine du conseil de discipline, ainsi conforme aux dispositions précitées de l'article 86 de la délibération n° 95-215 qui ne lui imposent aucune règle formelle, ait été appuyée par un rapport de la présidence de la Polynésie française, daté du 16 avril, postérieur à la date du courrier de convocation au conseil de discipline, est sans incidence sur la légalité de la procédure. D'autre part, le délai écoulé entre la notification à Mme B..., intervenue par remise en mains propres le 17 avril 2018, et la réunion du conseil de discipline le mercredi 2 mai 2018 est de 15 jours, et par suite conforme aux dispositions précitées de l'article 4 de la délibération n° 95-222 qui n'imposent pas que le délai prévu pour la convocation au conseil de discipline soit un délai franc.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 25 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 : " (...) / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes, ainsi qu'à l'assistance du défenseur de son choix. / L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. / (...). " L'article 3 de la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 précise que : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. / (...). "

5. Il ressort des pièces du dossier que, par la lettre de convocation du 13 avril 2018, Mme B... a été informée de son droit à la communication de son dossier ainsi que des documents annexes, et de la faculté de se faire assister du défenseur de son choix. D'une part, aucune disposition ni principe n'imposait qu'elle soit informée de la faculté de citer des témoins ou de se faire assister par plus d'un défenseur au conseil de discipline. D'autre part, le rapport établi par l'autorité d'emploi était, en tout état de cause, au nombre des documents annexes dont elle a été informée qu'elle était en droit de se les faire communiquer, droit dont elle a fait usage en l'espèce. Le moyen doit donc être écarté en ses deux branches, comme respectivement inopérant et manquant en fait.

6. Enfin, si la requérante soutient que l'avis du conseil de discipline ne lui a pas été notifié avant l'intervention de la sanction, ni les délibérations n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 et n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 modifiée, ni aucune règle ou principe ne l'impose.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. Aux termes de l'article 5-3 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / (...). " Aux termes de l'article 10 de la même délibération : " Les fonctionnaires bénéficient à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la Polynésie française (...). / La Polynésie française est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. " Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. Pour faire présumer l'existence du harcèlement moral qu'elle dit avoir subi de sa hiérarchie, Mme B... fait valoir qu'elle a été évincée de réunions extérieures, notamment des commissions d'ouverture des plis des marchés publics, que ses horaires ont commencé en 2017 à être soumis à un pointage quotidien alors qu'elle bénéficiait d'une très grande liberté d'organisation, qu'elle a fait l'objet de multiples convocations à des entretiens à brève échéance, qu'elle a subi des pressions lors de l'entretien du 4 juillet 2017, notamment pour qu'elle demande sa mutation, qu'elle a perdu fin 2017 son bureau individuel et s'est vu transférer en open space en dépit de son hyperacousie, que le montant de ses indemnités a diminué, de même que sa notation, et qu'elle a perdu sa place de parking. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la cessation de l'accès de Mme B... au parking, dans lequel celle-ci ne s'était, en tout état de cause, pas vu affecter une place, n'est pas imputable à la direction du budget et des finances. D'autre part, les certificats médicaux qu'elle produit selon lesquels, du fait de son hyperacousie, dont elle ne justifie au demeurant pas avoir informé sa hiérarchie antérieurement, elle doit être protégée des ambiances bruyantes, ne suffisent pas à faire présumer que le changement d'organisation des bureaux intervenu pour l'ensemble de son service porterait atteinte à sa santé. Par ailleurs, dès lors que la direction a constaté, ce qui n'est pas utilement contesté, que Mme B... ne respectait non seulement pas ses horaires, mais aussi sa hiérarchie, que son comportement suscitait des tensions dans le service, et qu'elle ne réalisait aucun effort pour développer des compétences autres que celles qu'elle avait acquises dans ses précédentes fonctions, les faits de convoquer l'intéressée en mars et juillet 2017 pour dialoguer sur son comportement, d'abaisser sa notation et son indemnité, et de réduire sa participation à des réunions extérieures n'ont pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. En conséquence, il n'incombait pas à l'administration de mettre en oeuvre des mesures particulières de protection à l'égard de Mme B....

9. Aux termes de l'article 85 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en 4 groupes : 1er groupe : - l'avertissement ; / - le blâme. / 2e groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / 3e groupe : - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois à deux ans. / 4e groupe : - la révocation. / (...). "

10. Pour prononcer à l'encontre de Mme B... la sanction de déplacement d'office, le président de la Polynésie française a relevé son manque manifeste de respect envers sa hiérarchie, ses collègues et les règles d'organisation du service, son refus de répondre aux sollicitations de son chef de service, le non-respect de la durée hebdomadaire de travail de 39 heures, sa prise de service après le seuil de tolérance fixé à 8 h 30 pour les cadres A malgré les rappels à la règle, et son comportement conflictuel. Pour soutenir que la sanction attaquée serait entachée d'une erreur d'appréciation, la requérante se borne à soutenir avoir subi un harcèlement moral, qui n'est pas établi, et à invoquer des appréciations favorables de sa hiérarchie dans sa précédente affectation, ainsi que de la part de divers collègues, qui ne remettent pas en cause les constats effectués par sa hiérarchie relatifs à son comportement dans sa nouvelle affectation. Dans ces conditions, eu égard à la gravité des fautes et à leur persistance, ainsi qu'à leur incidence sur la bonne marche du service, la sanction de deuxième groupe en litige n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.

11. Dès lors que la Polynésie française pouvait légalement décider de procéder à la mutation d'office de Mme B... au regard des fautes qu'elle a commises, cette sanction ne peut être regardée comme entachée de détournement de pouvoir.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Par ailleurs il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que la Polynésie française présente sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... épouse A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Polynésie française sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse A... et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président,

- M. E..., premier conseiller,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2021.

Le rapporteur,

A. E...Le président,

P. HAMON

Le greffier,

C. MONGIS

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA01315 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01315
Date de la décision : 31/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Procédure.


Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: M. Alexandre SEGRETAIN
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : EFTIMIE-SPITZ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-31;19pa01315 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award