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04/06/2021 | FRANCE | N°19PA02922

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 04 juin 2021, 19PA02922


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la Poste à lui verser la somme de 72 026,68 euros, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1711046/5-2 du 27 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a condamné la Poste à verser à M. B... la somme de 2 000 euros, a mis à la charge de la Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et

a rejeté le surplus de sa demande .

Procédure devant la Cour :

Par une re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la Poste à lui verser la somme de 72 026,68 euros, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1711046/5-2 du 27 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a condamné la Poste à verser à M. B... la somme de 2 000 euros, a mis à la charge de la Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande .

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 juin 2019 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de porter la condamnation indemnitaire de la Poste de la somme de 2 000 euros à la somme de 72 026,68 euros ;

3°) de mettre à la charge de la Poste une somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de rejet de sa réclamation préalable ;

- la décision de rejet de sa réclamation préalable est entachée d'insuffisance de motivation ;

- la responsabilité de la société La Poste est engagée du fait de l'illégalité fautive des décisions du 24 janvier et 6 février 2007 et de la sanction du 20 décembre 2007, ainsi que du fait de la méconnaissance de ses droits de la défense et de sa liberté d'aller et venir lors de l'interrogatoire qu'il a subi le 24 janvier 2007 ;

- il a subi un préjudice financier en raison de la perte de salaire subie entre 2006 et 2007 et de l'impossibilité de prendre ses congés payés de 2007, pour une somme de 7 026,68 euros ;

- il a subi des troubles dans ses conditions d'existence du fait de ses difficultés financières et de la recherche d'un nouvel emploi, qui peuvent être estimés à 8 000 euros ;

- il a subi une atteinte à sa réputation, à son honneur et à son image qui peut être estimée à 7 000 euros, ainsi qu'un préjudice moral, qui doit être évalué à la somme de 30 000 euros ;

- il a subi un préjudice de carrière, dès lors que sa mutation à Voiron, initialement acceptée par sa hiérarchie, a été annulée, qui peut être estimé à 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2021, La Poste, représentée par

Me F..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. B.... Elle demande, en outre, qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés ;

- elle est fondée à demander que le jugement attaqué soit réformé en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. B..., d'une part, parce que la prescription quadriennale était acquise pour les décisions du 24 janvier et du 6 février 2007, d'autre part, parce que le préjudice moral n'est pas établi.

Par une ordonnance du 29 avril 2021, la clôture de l'instruction a été reportée du

30 avril 2021 à 12 heures au 14 mai 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68- 1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- et les observations de Me E... substituant Me F... pour La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., fonctionnaire titulaire de La Poste exerçant les fonctions d'agent de collectes et remises à l'antenne de Paris 8, a fait l'objet, par deux décisions du 24 janvier et du

6 février 2007, respectivement d'un " retrait " de fonctions et d'une suspension de fonctions, puis, par une décision du 20 décembre 2007, d'une exclusion temporaire de fonctions de deux ans, dont un an avec sursis, à la suite de la découverte de courriers et colis postaux vidés de leur contenu, dont la spoliation lui a été imputée. Par un jugement n° 0704321 du 24 juillet 2008, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 24 janvier et 6 février 2007. Par un jugement n° 0804504 du 28 janvier 2010, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision en date du 20 décembre 2007. Par un arrêt n° 10PA01584 du 2 avril 2013, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de La Poste en confirmant l'annulation de la sanction prononcée à l'encontre de M. B.... Le 7 mars 2017, ce dernier a demandé, sans succès, à La Poste réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis, du fait de ses décisions illégales.

M. B... a alors demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner La Poste à lui verser la somme de 72 026,68 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement du 27 juin 2019, le Tribunal administratif de Paris a condamné La Poste à verser à M. B... la somme de

2 000 euros, a mis à la charge de La Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande. Il relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande alors que La Poste, par la voie de l'appel incident, demande la réformation du même jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. B....

Sur la requête de M. B... :

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. B... soutient que le jugement attaqué est irrégulier, le tribunal n'ayant pas répondu au moyen qu'il avait soulevé tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de rejet de sa réclamation préalable. Or, s'agissant d'une décision qui avait pour seul objet de lier le contentieux indemnitaire, les moyens tirés de ses vices propres, comme l'insuffisance de motivation, sont inopérants et le tribunal n'était pas tenu d'y répondre à condition de les viser. Toutefois, ce moyen n'a pas été visé. M. B... est donc fondé à soutenir que ce jugement est, pour ce motif, irrégulier et doit être annulé dans la limite de ses conclusions d'appel, soit l'annulation de son article 3.

3. Il y a donc lieu pour la Cour de procéder par la voie de l'évocation partielle s'agissant des conclusions de M. B... et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel s'agissant de l'appel incident de La Poste.

Sur l'évocation partielle :

Sur la décision de rejet de la demande préalable indemnitaire :

4. La décision de rejet de la demande préalable indemnitaire a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. B... qui, en formulant les conclusions analysées ci-dessus, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision est inopérant.

Sur la prescription de la créance :

5. La loi visée ci-dessus du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et de France Télécom a modifié leur statut. La Poste est devenue un exploitant public, dont l'une des caractéristiques est de ne plus être soumis aux règles de la comptabilité publique. Or, aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi visée ci-dessus du 31 décembre 1968 un établissement public ne peut se prévaloir de la prescription quadriennale que s'il dispose d'un comptable public. Dès lors, La Poste qui ne dispose plus d'un comptable public, ne pouvant opposer la prescription quadriennale, son exception de prescription quadriennale ne peut qu'être écartée.

Sur la responsabilité :

6. Par les jugements mentionnés au point 1, devenus définitifs, les décisions du 24 janvier et du 6 février 2007, portant suspension de fonctions, ainsi que la décision du 20 décembre 2007 infligeant à M. B... une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux ans, dont un avec sursis, ont été annulées au motif que le grief retenu à l'encontre de l'intéressé n'était pas établi. Ainsi, ces décisions fondées sur des faits matériellement inexacts sont entachées d'illégalité fautive et sont de nature à engager la responsabilité de La Poste à raison des préjudices directs et certains qu'elles lui ont causés.

7. Par ailleurs, M. B... soutient que ses droits de la défense et sa liberté d'aller et venir ont été méconnus lors de l'interrogatoire dont il a fait l'objet le 24 janvier 2007. Cependant, ces allégations ne sont pas établies par les pièces versées au dossier. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de La Poste serait engagée aussi pour ce motif.

Sur les préjudices :

8. En premier lieu, M. B... invoque un préjudice financier résultant de pertes de salaire pendant les périodes durant lesquelles il a été suspendu, et de l'impossibilité de prendre ses congés payés de 2007 incluant un reliquat de 2006. S'agissant de la perte de salaire, il résulte de l'instruction que la différence de salaire brut perçu par M. B... entre 2006 et 2007 s'est élevée à 4 429,79 euros. Cependant, une partie de cette somme a fait l'objet d'une régularisation sur sa paie du mois d'avril 2010 pour un total de 1 690,90 euros et le reliquat correspond au paiement d'heures supplémentaires qu'il a effectuées en 2006 et non en 2007 et pour lesquelles, par conséquent, il ne peut prétendre à une quelconque indemnité. M. B... ne justifie donc pas d'une perte de salaire susceptible de lui ouvrir un droit à indemnisation. S'agissant de la rémunération des congés payés, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'impose le versement d'une indemnité compensatrice pour les congés non pris au titre d'une année donnée. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à demander d'indemnisation au titre du préjudice financier.

9. En deuxième lieu, M. B... soutient qu'il a subi des troubles dans ses conditions d' existence dès lors qu'il a été soumis à des difficultés financières, a été contraint de chercher un nouvel emploi et a craint de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de sa compagne sans emploi et de ses trois enfants. Cependant, en se bornant à formuler de telles allégations sans les établir, pas plus en première instance que dans la présente requête d'appel, M. B..., qui a continué à percevoir son traitement jusqu'en décembre 2007 et dont la situation a été régularisée en avril 2010, n'est pas fondé à réclamer l'indemnisation de ce chef de préjudice.

10. En troisième lieu, M. B... demande réparation du préjudice moral résultant notamment de l'atteinte à sa réputation, à son honneur et à son image, causé par les décisions disciplinaires prises à son encontre et de l'enquête administrative diligentée par sa hiérarchie. Il produit notamment un certificat médical attestant de son " syndrome anxio-dépressif réactionnel " et fait valoir qu'il a gardé une fragilité psychologique en raison de la sanction dont il a fait l'objet. Quand bien même le syndrome anxio-dépressif de M. B... ne serait pas seulement imputable à ses difficultés professionnelles, comme le soutient La Poste, l'imputation d'un grief disciplinaire d'une réelle gravité mais non établi ne peut que grandement y contribuer. Le préjudice moral est donc bien établi. Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en condamnant La Poste à lui verser la somme de 2000 euros.

11. En quatrième lieu, M. B... se prévaut d'un préjudice de carrière en faisant valoir que sa mutation à Voiron, qui avait été initialement acceptée par sa hiérarchie le

6 novembre 2006 et qui devait être effective le 12 février 2007, a finalement été annulée par

La Poste en raison de la sanction prononcée à son encontre. Il résulte bien de l'instruction que l'annulation de cette mutation est la conséquence des mesures de suspension puis de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée. Par suite, il sera fait une juste évaluation de ce chef préjudice en condamnant la Poste à lui verser la somme de 2 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander que la condamnation indemnitaire de la Poste soit portée de la somme de 2 000 euros à la somme de 4 000 euros. Le surplus de ses conclusions doit être rejeté.

Sur l'appel incident de la Poste :

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'exception de prescription quadriennale ne peut qu'être écartée et de ce qui a été dit au point 10 que le préjudice moral de M. B... est établi et évalué à juste titre à la somme de 2 000 euros. La Poste n'est donc pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. B....

Sur les conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des deux parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 3 du jugement n°1711046/5-2 du 27 juin 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La condamnation indemnitaire de la Poste au profit de M. B... est portée de la somme de 2 000 euros à la somme de 4 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et les conclusions de La Poste sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la Poste.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2021.

Le rapporteur,

D. PAGES

Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

K. PETIT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la reliance en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA02922 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02922
Date de la décision : 04/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : KERROS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-06-04;19pa02922 ?
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