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24/09/2021 | FRANCE | N°21PA00855

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 24 septembre 2021, 21PA00855


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions des 21 juin 2019 et 11 février 2020 par lesquelles le préfet de police a rejeté ses demandes du 14 juin 2019 et du 29 octobre 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 4 décembre 2015 prononçant son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2006345/4 du 17 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 2

1 juin 2019, a annulé la décision du 11 février 2020, a enjoint au préfet de police d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... A... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions des 21 juin 2019 et 11 février 2020 par lesquelles le préfet de police a rejeté ses demandes du 14 juin 2019 et du 29 octobre 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 4 décembre 2015 prononçant son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2006345/4 du 17 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 21 juin 2019, a annulé la décision du 11 février 2020, a enjoint au préfet de police de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 4 décembre 2015 dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés le 18 février 2021 et le 12 mai 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... A... E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- le comportement de M. D... A... E... constitue toujours une menace grave à l'ordre public, la décision de refus d'abrogation n'étant entachée à cet égard d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;

- l'intéressé n'établit pas la prise en charge de son addiction à l'alcool, notamment sur le plan psychologique ;

- l'intéressé n'établit ni le caractère stable et ancien de sa communauté de vie avec Mme B... C... ni l'intensité et la stabilité des liens qui le lieraient à celle-ci et leur enfant ;

- l'intéressé n'établit pas subvenir à l'entretien et à l'éducation de son enfant ;

- l'intéressé ne fait en tout état de cause état d'aucune circonstance faisant obstacle à la reconstitution de sa vie familiale au Portugal ;

- l'intéressé ne justifie ni d'une insertion significative en France ni de l'impossibilité d'une réinsertion au Portugal où il a vécu au moins jusque l'âge de 25 ans ;

- s'agissant des autres moyens invoqués en première instance par M. D... A... E..., ceux-ci ne sont pas fondés .

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 mars 2021 et le 18 mai 2021, M. D... A... E..., représenté par Me Pinto, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz, rapporteur,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A... E..., ressortissant portugais né le 21 décembre 1966 au Portugal, est entré en France en 1991. Par un arrêté du 4 décembre 2015, le préfet de police a décidé son expulsion selon la procédure prévue aux articles L. 521-5 et R. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par courriers des 14 juin 2019 et 29 octobre 2019, M. D... A... E... a sollicité l'abrogation de cet arrêté, demandes qui ont été rejetées par deux décisions du préfet de police en date des 21 juin 2019 et 11 février 2020. Le préfet de police relève appel du jugement du 17 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur la décision du 21 juin 2019, a annulé la décision du 11 février 2020 et a enjoint au préfet de police de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 4 décembre 2015 dans le délai de deux mois.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. En invoquant, dans ses écritures en défense, le fait qu'" il est malaisé au requérant de comprendre l'appel du préfet de police contre le jugement du tribunal administratif de Paris dans la mesure où, par arrêté du 8 janvier 2021 notifié à l'intéressé le 11 mars 2021, l'autorité administrative a exécuté les termes du jugement critiqué et a abrogé l'arrêté d'expulsion du 4 décembre 2015 ", M. D... A... E... doit être regardé comme soulevant une exception de non-lieu à statuer dans la présente affaire. Toutefois, lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette circonstance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Par suite, à la supposer invoquée, l'exception de non-lieu à statuer doit être rejetée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal :

3. Aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé (...) ". Aux termes de l'article L. 524-2 du même code : " Sans préjudice des dispositions de l'article

L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituaient toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public sont de nature, eu égard aux changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et aux garanties de réinsertion qu'il présente, à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée.

4. L'arrêté d'expulsion de M. D... A... E... du 4 décembre 2015 est motivé, d'une part, par quatre condamnations successives du tribunal correctionnel de Nanterre, en date des 7 novembre 1996, 2 septembre 2000, 26 février 2001 et 17 mai 2001, pour conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique ou récidive d'une telle conduite et, d'autre part, par un arrêt de la cour d'assises des Hauts-de-Seine, en date du 19 mai 2010, le condamnant à 16 ans de réclusion criminelle pour meurtre. Sur la base de ces éléments et de l'absence d'atteinte manifestement disproportionnée à sa vie privée et familiale, le préfet de police a alors considéré que l'expulsion de M. D... A... E... se justifiait au regard de la menace réelle, actuelle et suffisamment grave que sa présence sur le territoire français représentait pour un intérêt fondamental de la société.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du jugement du 27 janvier 2015 du tribunal de l'application des peines de Melun, portant admission de M. D... A... E... à la libération conditionnelle avec semi-liberté probatoire pour une période de douze mois à compter du 2 février 2015, que la dangerosité et le risque de récidive de l'intéressé en milieu libre est directement fonction de sa capacité à cesser sa consommation d'alcool. Il résulte également de ce jugement ainsi que du rapport social du 25 février 2019 du centre d'hébergement et de réinsertion sociale Le Safran (Paris 20ème), où M. D... A... E... a été hébergé du

3 février 2015 au 31 décembre 2018, que ce dernier est abstinent à l'alcool depuis le début de son incarcération, soit 2005. A cet égard, il a été l'objet d'un suivi psychologique et psychiatrique régulier tant en détention qu'après son placement en semi-liberté, puis en liberté, a participé à des thérapies de groupe en alcoologie et a été suivi par un addictologue. Il résulte également du rapport social précité ainsi que de celui du même organisme du 21 septembre 2017 que l'intéressé a fait l'objet d'un accompagnement socio-éducatif portant notamment sur les démarches administratives, sociales, judiciaires et psychologiques, qu'il a travaillé sans interruption depuis août 2015 jusqu'à octobre 2019 en qualité de chef d'équipe dans une société de nettoyage, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein, avant d'être expulsé, et qu'il s'est acquitté régulièrement, à hauteur de ses capacités financières, de la somme due à la famille A... la victime à titre de réparation.

6. Il ressort en outre des pièces dossier que M. D... A... E... a toujours maintenu des liens avec son épouse et sa fille, toutes deux de nationalité française. Ainsi, il ressort du jugement du Tribunal d'application des peines de Melun du 27 janvier 2015 que son épouse et sa fille lui rendaient visite au parloir pendant sa détention, et qu'entre décembre 2015 et décembre 2018, le studio qu'il occupait à Aulnay-sous-Bois lui permettait les visites les week-ends et le maintien des liens familiaux, les permissions régulières dont il a bénéficié à raison de son bon comportement depuis décembre 2011 lui permettant de passer du temps en famille. Il ressort en outre de la note sociale du 21 septembre 2017 qu'il rencontrait sa femme et sa fille de manière hebdomadaire et participait aux charges quotidiennes du foyer. Le rapport social du

25 février 2019 mentionne également qu'il a continué à s'investir dans la vie familiale, à être acteur " éducativement et financièrement " et qu'il est retourné vivre au domicile conjugal en décembre 2018, une fois l'interdiction de se présenter dans le département des Hauts-de-Seine levée. Ainsi, M. D... A... E... justifie de l'intensité de ses liens avec son épouse et son enfant de nationalité française lesquelles, contrairement à ce que soutient le préfet de police, n'ont pas vocation à s'établir au Portugal.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que, eu égard à la situation personnelle et familiale de M. D... A... E... et aux garanties de réinsertion qu'il présente, et nonobstant la gravité des faits commis, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet de police avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation quant à la menace que l'intéressé représentait pour l'ordre public et qu'il y avait lieu, en conséquence, d'annuler sa décision de refus d'abrogation du

11 février 2020.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 11 février 2020 et lui a enjoint d'abroger l'arrêté d'expulsion en date du 4 décembre 2015 dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. D... A... E... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. D... A... E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... D... A... E....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA00855 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00855
Date de la décision : 24/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02-06 Étrangers. - Expulsion. - Abrogation.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : PINTO

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-09-24;21pa00855 ?
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