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09/11/2021 | FRANCE | N°21PA00099

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 09 novembre 2021, 21PA00099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 octobre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Synechron France à le licencier.

Par un jugement n° 1927689/3-2 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2021, M. B..., représenté par Me Acar, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif

de Paris du 10 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 16 octobre 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 octobre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Synechron France à le licencier.

Par un jugement n° 1927689/3-2 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2021, M. B..., représenté par Me Acar, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 16 octobre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'État et de la société Synechron France la somme de 2 000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse n'est pas suffisamment motivée ;

- les pièces qu'il a produites au cours de l'enquête contradictoire n'ont pas été examinées ; l'enquête menée par l'inspecteur du travail n'a donc pas été contradictoire ;

- le procès-verbal de la réunion de la délégation unique du personnel du 9 août 2019 est entaché de nullité, du fait de son défaut de signature par le secrétaire de la délégation ; il n'a pas été rédigé par ce dernier, mais par l'employeur ; le vote de la délégation a eu lieu en son absence, alors qu'il en est membre ; ces irrégularités entachent la décision de l'inspecteur du travail d'illégalité ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont ni établis, ni fautifs ;

- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec ses fonctions syndicales.

Par un mémoire enregistré le 2 mars 2021, la société Synechron France conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 25 juin 2021.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Garrido, représentant la société Synechron France.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté par la société Ithaque le 20 juillet 2006, en qualité de consultant. Son contrat de travail a ensuite été repris par la société Synechron France. Il a été élu membre de la délégation unique du personnel (DUP) le 21 mai 2013 puis le 22 mai 2017. Il exerçait en outre les mandats de délégué syndical et de conseiller du salarié. Le 19 août 2019, la société Synechron France a sollicité l'autorisation de le licencier pour faute. Par une décision du 16 octobre 2019, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. M. B... demande à la cour d'annuler le jugement du 10 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". La décision du 16 octobre 2019 vise les dispositions du code du travail dont il est fait application et se prononce avec une précision suffisante sur les points sur lesquels l'inspecteur du travail, qui n'était pas tenu de mentionner chaque élément produit par M. B..., a porté son contrôle, notamment la procédure suivie, les griefs formulés par l'employeur et le lien éventuel avec les mandats de l'intéressé. Elle comporte ainsi l'ensemble des éléments de fait et de droit qui la fondent, et elle est donc suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'ensemble des pièces transmises par M. B... au cours de l'enquête contradictoire, visées par la décision contestée, n'auraient pas été examinées et prises en compte par l'inspecteur du travail. Le moyen tiré d'une méconnaissance du principe du contradictoire doit dès lors être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement envisagé par l'employeur (...) d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant (...) est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) ". Et aux termes de l'article L. 2325-20 du même code : " Les délibérations du comité d'entreprise sont consignées dans un procès-verbal établi par le secrétaire du comité (...). ".

5. D'une part, M. B... relève que le procès-verbal de la réunion extraordinaire de la DUP du 9 août 2019 mentionne de manière contradictoire une " réunion du CE ", puis à un autre endroit une " réunion de la DUP ", qu'il n'est pas signé par le secrétaire de la DUP, et qu'il n'a pas été rédigé par ce dernier mais par son employeur. Toutefois, ces erreurs de plume ne sont pas de nature à entacher le procès-verbal d'irrégularité dès lors que la DUP exerçait les fonctions de comité d'entreprise, comme le permettaient les dispositions de l'article 13 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que le procès-verbal soit signé par le secrétaire du comité. Enfin, il ressort des pièces du dossier que si la prise de notes, au cours de la réunion de la DUP, a été confiée à une société extérieure dont la prestation a été financée par l'employeur, le procès-verbal a été in fine établi par Mme Pineau, secrétaire de séance, à laquelle ces notes ont été adressées par courriel du 9 août 2019.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la réunion extraordinaire de la DUP du 9 août 2019, que, contrairement à ce qu'il soutient, c'est de son propre chef que M. B... n'est pas revenu en séance après une suspension des débats, afin de prendre part au vote sur son licenciement. Il ne saurait dans ces conditions sérieusement soutenir qu'alors qu'il était membre de la DUP, il a été empêché de voter.

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'inspecteur du travail a estimé que la procédure suivie par l'entreprise n'était pas irrégulière.

8. En quatrième lieu, pour accorder l'autorisation sollicitée, l'inspecteur du travail a estimé que quatre des cinq faits reprochés à M. B... étaient établis, fautifs et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.

9. Il ressort d'abord des pièces du dossier qu'alors que l'autorisation de travailler à distance lui avait été refusée par la société Synechron France, M. B... est intervenu directement, dès le quatrième jour de sa mission, auprès de la société cliente auprès de laquelle il assurait une prestation de consultant, pour obtenir d'elle ce que son employeur lui avait refusé. Cette initiative, qui tendait à contourner une décision de l'employeur en matière d'organisation du travail et qui était de nature à perturber la relation entre la société Synechron France et son client, est établie par un courriel de la société cliente.

10. La société Synechron France reproche ensuite au salarié d'avoir exercé de manière intempestive un droit de retrait le 21 juin 2019, en invoquant un temps de trajet trop long entre son domicile et le lieu de sa mission, incompatible selon lui avec son état de santé résultant d'un syndrome fibromyalgique. Or, si aux termes de l'article L. 4131-3 du code du travail : " Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ", l'article L. 3121-4 du même code dispose que " Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. ". L'inspecteur du travail, au regard de ces dispositions, a ainsi pu à bon droit estimer que M. B... qui n'était pas, au cours de son trajet, en situation de travail, ne pouvait invoquer le droit de retrait. Au demeurant, si le requérant est reconnu travailleur handicapé depuis octobre 2018, et si la médecine du travail a préconisé, en février et juin 2019, un aménagement de son poste, il ne saurait se déduire de cette recommandation, compte tenu des termes employés, ni que M. B... ne pouvait pas effectuer la mission qu'il s'était engagé à assurer, ni qu'il se trouvait dans l'incapacité d'effectuer des trajets au-delà d'une certaine durée de temps de transport. Aucune réserve n'a davantage été émise lors de la visite médicale du 8 juillet 2019 sollicitée par la société Synechron France avec l'exercice par M. B... de son droit de retrait.

11. Il est par ailleurs reproché à M. B... d'avoir, de son propre chef, décidé d'abandonner la mission à laquelle son employeur l'avait affecté. Si l'intéressé conteste ces faits, le courriel qu'il a adressé le 24 juin 2019 à ses collègues ainsi qu'à un salarié de la société cliente est dépourvu d'ambiguïté quant à sa décision, personnelle et unilatérale, de ne pas poursuivre ses fonctions, en raison d'un temps de transport qu'il estimait trop fatiguant. Contrairement à ce qu'il soutient, la circonstance que son employeur lui a demandé, dans l'attente d'une visite médicale prévue le 8 juillet 2019, de se rendre au siège de la société Synechron France et non plus sur le lieu de la mission, ne valait pas autorisation à se retirer de cette mission. Le troisième grief formulé à l'encontre de M. B... est par suite établi.

12. L'inspecteur du travail a enfin considéré qu'était établie l'absence injustifiée de M. B... du 15 juillet au 6 août 2019. Si le requérant soutient que cette absence était motivée par le suivi d'une cure thermale, et qu'il avait informé sa direction, au printemps précédent, de ce qu'il envisageait de s'absenter pour une durée de trois à quatre semaines pour soins médicaux à l'issue de ses vacances d'été, il est constant qu'il n'avait alors fourni aucune date précise ni sollicité de congés à cet effet. Il ressort en outre des pièces du dossier qu'il n'a indiqué à son employeur que le 12 juillet 2019 qu'il suivrait cette cure thermale du 15 juillet au 3 août. M. B... ne saurait par ailleurs se prévaloir d'un accord de prise en charge de ces soins par l'assurance maladie, qui ne mentionnait aucune date, pour attester de la régularité de son absence, ni de la double circonstance qu'il a bénéficié les deux années précédentes d'arrêts de travail afin de se rendre en cure thermale au cours de l'été et qu'il a finalement sollicité, rétrospectivement le 22 juillet 2019, le bénéfice de congés pour couvrir la période d'absence.

13. Les faits exposés aux points 9 à 12 du présent arrêt, dont la matérialité est établie, présentent dans leur ensemble un caractère fautif, sans que M. B... puisse utilement invoquer, eu égard notamment aux circonstances dans lesquelles ils se sont déroulés, sa qualité de travailleur handicapé. Eu égard à la méconnaissance qu'ils traduisent de ses obligations contractuelles par l'intéressé, ils sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

14. En dernier lieu, le requérant soutient que la demande d'autorisation de licenciement effectuée par son employeur est en lien avec l'exercice de mandats syndicaux à partir du mois de mai 2013, date à compter de laquelle il aurait été écarté de toute mission. Il invoque en outre la tenue d'élections professionnelles avant le 31 décembre 2019. Aucune pièce du dossier ne révèle cependant un lien entre l'exercice des mandats syndicaux et la demande d'autorisation de licenciement.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 octobre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État et de la société Synechron France, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme à la société Synechron France sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Synechron France présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Synechron France et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021.

La rapporteure,

G. C...Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIERLa greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00099


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00099
Date de la décision : 09/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : BetA AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-11-09;21pa00099 ?
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