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30/11/2021 | FRANCE | N°20PA02331

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 30 novembre 2021, 20PA02331


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 7 juin 2019 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé sa révocation, et d'enjoindre au président de la Polynésie française de le réintégrer dans ses fonctions de chirurgien vasculaire et thoracique au sein du centre hospitalier de la Polynésie française.

Par un jugement n° 1900275 du 29 mai 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.r>
Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2020 e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 7 juin 2019 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé sa révocation, et d'enjoindre au président de la Polynésie française de le réintégrer dans ses fonctions de chirurgien vasculaire et thoracique au sein du centre hospitalier de la Polynésie française.

Par un jugement n° 1900275 du 29 mai 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2020 et le 23 mars 2021, M. C..., représenté par Me Mestre, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1900275 du 29 mai 2020 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler la décision du 7 juin 2019 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé sa révocation ;

3°) d'enjoindre au président de la Polynésie française de le réintégrer dans ses fonctions de chirurgien vasculaire et thoracique au sein du centre hospitalier de la Polynésie française, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré de la composition irrégulière du conseil de discipline ;

- la décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, le conseil de discipline étant irrégulièrement composé ;

- le rapport de l'expertise judiciaire ordonnée le 21 mars 2017 est irrégulière et ne peut fonder la décision ;

- il n'a pas commis de manquement à son devoir d'information ;

- il n'a pas commis de faute dans la prise en charge médicale du patient opéré le 20 octobre 2015 ;

- la décision est entachée de détournement de pouvoir en ayant pour but de faire échec à l'exécution de l'arrêt de la Cour du 11 avril 2019 ;

- la sanction est disproportionnée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 mars 2021 et le 12 avril 2021, la Polynésie française, représentée par la SCP de Chaisemartin-Doumic-Seiller, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 500 euros soit mis à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par des observations en défense, enregistrés le 25 février 2021 et le 14 avril 2021, le centre hospitalier de la Polynésie française, représenté par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 500 000 F CFP soit mis à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hamon,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me de Chaisemartin, avocat de la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., chirurgien vasculaire et thoracique, praticien hospitalier au sein du centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF), a fait l'objet d'une décision d'exclusion de deux ans en date du 24 avril 2017, laquelle a été annulée pour un vice de forme par un jugement confirmé par un arrêt de la Cour du 11 avril 2019, devenu définitif après rejet du pourvoi de M. C.... Celui-ci a par ailleurs réalisé le 20 octobre 2015 une opération chirurgicale dont les graves complications ont conduit le CHPF, après la réalisation d'une expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés du Tribunal administratif de Polynésie française le 21 mars 2017, à conclure une transaction avec le patient. Par décision du 7 juin 2019, le président de la Polynésie française a prononcé à son encontre la sanction de révocation en raison de manquements dans la prise en charge de ce patient. M. C... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 85 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en 4 groupes : 1er groupe : - l'avertissement ; / - le blâme. / 2e groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / 3e groupe : - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois à deux ans. / 4e groupe : - la révocation. / (...). ".

3. Pour prononcer à l'encontre de M. C... la sanction de révocation, le président de la Polynésie française, s'est fondé sur le rapport de l'expertise judiciaire ordonnée le 21 mars 2017 pour retenir que celui-ci avait commis un manquement au devoir d'information du patient et de son épouse, avait à tort omis de faire appel à des tiers compétents face à une opération qui dépassait ses compétences, et avait commis plusieurs négligences fautives dans la prise en charge médicale de ce patient.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a procédé le 20 octobre 2015, sur un patient du CHPF, à une opération programmée de pontage aorto-bifémoral visant à améliorer la circulation dans les membres inférieurs, dans les suites immédiates de laquelle ce patient a été atteint d'une ischémie aiguë ayant entraîné la nécrose des tissus de la jambe gauche nécessitant une seconde opération le même jour et conduisant à une amputation, d'abord trans-métatarsienne le 15 novembre 2015 puis transtibiale le 12 mai 2016.

5. En premier lieu, la circonstance que M. C... n'ait réalisé au cours de sa carrière que 8 interventions de pontages aorto-bifémoraux ne suffit pas à conférer au caractère fautif à son absence de consultation d'autres confrères plus expérimentés.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... n'a pas délivré au patient, avant cette opération qui était programmée, une information claire et appropriée sur les risques qu'elle comportait, la fiche de consentement figurant dans le dossier du patient étant vierge et non signée par ses soins et M. C... n'apportant aucun autre élément de nature à établir qu'il aurait délivré cette information sous une quelconque forme. En revanche, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, compte tenu du caractère urgent et impérieux de la seconde opération subie ensuite par ce même patient, en état de coma, l'absence d'information adéquate délivrée à son épouse ne présente pas de caractère fautif.

7. En troisième lieu il ressort de ces mêmes pièces, et notamment du rapport d'expertise judiciaire que M. C... a été mis à même de discuter contradictoirement, mais aussi d'un rapport d'expertise amiable établi à la demande du CHPF, dont les conclusions concordantes ne sont pas directement contredites par celles de la troisième expertise amiable établie à la demande de M. C... lui-même, qu'alors que rien n'y faisait obstacle celui-ci n'a pas suffisamment contrôlé la vascularisation du pied du patient à la fin de l'opération initiale, d'une durée de plus de six heures, en méconnaissance des données acquises de la science médicale existant au moment des faits. A cet égard, la circonstance, à la supposer établie, que le service de réanimation n'aurait pas alerté M. C... immédiatement de la dégradation de l'état de son patient en salle de réveil est par elle-même sans incidence sur l'existence de cette faute commise par M. C... qui s'est absenté pour déjeuner immédiatement à la fin de cette opération sans suffisamment procéder à ce contrôle.

8. Enfin, il résulte également de ces pièces qu'à son retour auprès de ce patient, en dépit de l'importante dégradation de l'état de santé de celui-ci M. C... a fait le choix d'opérer un autre patient qui était préparé pour une opération programmée, dont le caractère urgent allégué par M. C... n'est pas établi. Cette absence de prise en charge immédiate d'un patient dont il n'est pas contesté qu'il se trouvait en état d'urgence vitale constitue également une faute, quand bien même il serait établi qu'au moment de cette décision, les lésions ischémiques étaient déjà constituées et le pied du patient n'était plus susceptible d'être préservé d'une amputation.

9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a commis aucune faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

10. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, qu'aucune autre faute de nature médicale n'a jamais été antérieurement reprochée à M. C... dans l'exercice de ses fonctions, d'autre part, qu'il ne peut être exclu qu'une carence dans la prise en charge post-opératoire du patient par les services de réanimation, pendant le laps de temps où M. C... s'était légitimement absenté une fois l'opération terminée, ait concouru à la dégradation rapide de l'état du patient opéré. Dans ces circonstances, compte tenu en particulier des difficultés inhérentes à l'activité professionnelle de ce fonctionnaire, M. C... est fondé à soutenir que la sanction de révocation prise à son encontre est disproportionnée, et à en demander pour ce motif l'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement et les autres moyens de la requête.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".

12. Sous réserve que M. C... ne fasse pas l'objet, à la date du présent arrêt, d'une nouvelle décision d'éviction du service à caractère exécutoire, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que M. C... soit réintégré dans ses fonctions au sein du CHPF, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre des frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que la Polynésie française demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Elles font également obstacle à ce que soit mis à la charge du CHPF, qui n'a pas la qualité de partie mais a été invité par la Cour à présenter des observations, la somme que M. C... demande sur le même fondement. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française le versement à M. C... A... la somme de 1 500 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 7 juin 2019 par laquelle le président de la Polynésie française a prononcé la révocation de M. C... est annulée.

Article 2 : Sous réserve que M. C... ne fasse pas l'objet, à la date du présent arrêt, d'une nouvelle décision d'éviction du service à caractère exécutoire, il est enjoint à la Polynésie française de le réintégrer dans ses fonctions au sein du CHPF dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : La Polynésie française versera à M. C... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la Polynésie française et du CHPF présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la Polynésie française

Copie pour information en sera adressée au centre hospitalier de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- Mme Jurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2021.

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

C. JARDINLa greffière,

C. BUOT La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02331


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02331
Date de la décision : 30/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-03-02 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Motifs. - Faits n'étant pas de nature à justifier une sanction.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : MESTRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-11-30;20pa02331 ?
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