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30/12/2021 | FRANCE | N°19PA01663

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 30 décembre 2021, 19PA01663


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Compagnie Maritime des Iles (CMI) a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser la somme de 448 605 744 francs CFP, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la decision conjointe du ministre chargé des comptes publics et du secrétaire d'Etat chargé des transports du

27 août 2014, accordant la francisation par agrément spécial au navire DL Scorpio appartenant à la société singapourienne Asl Offshore et

Marine Pte Ltd.

Par un jugement no 1800487 du 19 février 2019, le Tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Compagnie Maritime des Iles (CMI) a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner l'Etat à lui verser la somme de 448 605 744 francs CFP, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la decision conjointe du ministre chargé des comptes publics et du secrétaire d'Etat chargé des transports du

27 août 2014, accordant la francisation par agrément spécial au navire DL Scorpio appartenant à la société singapourienne Asl Offshore et Marine Pte Ltd.

Par un jugement no 1800487 du 19 février 2019, le Tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 mai 2019, le 13 octobre 2020, le

16 novembre 2020, le 7 décembre 2020 et le 2 septembre 2021, la SARL Compagnie Maritime des Iles (CMI), représentée par Me Charlier, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 448 605 744 francs CFP, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de réception de la demande préalable, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la decision précitée du 27 août 2014 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision accordant la francisation du navire DL Scorpio est entachée de plusieurs illégalités fautives ;

- la validation du code des douanes de Nouvelle-Calédonie par l'article 30 de la loi du

7 juin 1977 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, notamment de son article 159 relatif à la francisation des navires, a eu pour effet de remettre en vigueur le décret du 22 juin 1960 portant règlement d'administration publique et relatif aux navires immatriculés dans les territoires d'outre-mer de la République ; ainsi, à supposer même que le décret du

22 juin 1960 ait été implicitement abrogé par la loi du 29 avril 1975 modifiant l'article 3 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, le législateur a pu rétablir ce qu'il avait auparavant supprimé, notamment pour la Nouvelle-Calédonie où il est justifié que le régime de francisation soit plus strict que celui applicable en métropole ;

- les dispositions des articles 7 et 8 du décret du 22 juin 1960 sont incompatibles avec l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer et priment sur ce dernier du fait de la supériorité des lois postérieures et des lois spéciales ; dès lors, à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 7 juin 1977, seul l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie, qui relève du domaine de la loi, est applicable en matière de francisation des navires ;

- le gouvernement pouvait, à l'époque à laquelle a été pris le décret du 22 juin 1960, intervenir dans le domaine de la loi par le biais d'un règlement d'administration publique ;

- la procédure d'agrément spécial n'étant pas prévue au § IV du décret du 22 juin 1960, la décision de francisation du 27 août 2014 est dépourvue de base légale ;

- aucun élément ne permet de confirmer l'hypothèse d'une erreur de mise à jour dans les dispositions du code des douanes de Nouvelle-Calédonie relatives à la francisation des navires, qui aurait perduré depuis la validation législative de 1977 ;

- l'article 7 de l'ordonnance du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports, qui exclut du champ d'application de l'abrogation de la loi du 3 janvier 1967 ses articles 3 et 3-1, est dénué de toute portée dès lors que ces articles avaient été précédemment abrogés par l'article 9 de la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 ;

- l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967, à le supposer applicable, implique en tout état de cause l'exigence d'un abandon du pavillon de l'Etat d'origine et non un simple gel, ainsi que le mentionne la décision du 27 août 2014 ; or le droit singapourien ne permet pas l'abandon du pavillon national lorsque le navire est affrété coque nue mais seulement un gel qui ne satisfait pas aux exigences du 2° de l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967 ;

- la décision prise par l'Etat le 27 août 2017 est entachée d'incompétence ;

- le navire DL Scorpio ne remplissait pas les conditions prévues à l'article 8 du décret du 22 juin 1960 et ne pouvait dès lors bénéficier de la francisation prévue à l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie ;

- il existe un lien de causalité direct entre la faute commise par l'Etat et la perte de chance de réaliser le bénéfice correspondant au transport d'hydrocarbures illégalement effectué par le navire DL Scorpio ;

- cette perte de chance de réaliser la prestation devant être évaluée à 50 %, son manque à gagner doit être fixé à ce pourcentage du prix des prestations illégalement prises en charge par le DL Scorpio pour la période allant de septembre 2014 à décembre 2017, sur la base des tarifs convenus avec la société de services pétroliers.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 septembre 2020 et le 9 novembre 2020, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la CMI ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 septembre 2020, le 30 novembre 2020 et le 29 juillet 2021, le ministre de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la CMI ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au

30 septembre 2021.

Par une lettre du 10 novembre 2021, la Cour a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, invité le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre de la transition écologique à produire des pièces en vue de compléter l'instruction.

Par un mémoire enregistré le 15 novembre 2021, le ministre chargé des comptes publics a, en réponse à cette mesure d'instruction, produit des pièces qui ont été communiquées à la CMI et au ministre de la transition écologique.

Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2021, la CMI a produit des observations complémentaires qui ont été communiquées au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de la transition écologique.

Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2021, le ministre chargé des comptes publics a produit des observations complémentaires qui ont été communiquées à la CMI et au ministre de la transition écologique.

Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2021, la ministre de la transition écologique a produit des observations complémentaires qui ont été communiquées à la CMI et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 modifiée par la loi n° 75-300 du 29 avril 1975 ;

- la loi n° 77-574 du 7 juin 1977 ;

- la loi n° 96-151 du 26 février 1996 ;

- la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 ;

- l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 ;

- le décret n° 60-600 du 22 juin 1960 ;

- le code des douanes applicable en Nouvelle-Calédonie ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision conjointe du 27 août 2014, le ministre chargé des comptes publics et le secrétaire d'Etat chargé des transports ont délivré un agrément spécial pour la francisation du navire DL Scorpio, appartenant à la société singapourienne Asl Offshore et Marine Pte Ltd, affrété coque nue par la société calédonienne Transweb, avec une utilisation principale prévue entre la Grande Terre et les îles Loyauté et, à titre secondaire, entre le Vanuatu et la

Nouvelle-Calédonie. Cette décision de francisation a conduit la Société de services pétroliers (SSP), principal distributeur d'hydrocarbures en Nouvelle-Calédonie, à confier les prestations de transport de ses produits vers les îles Loyauté et l'île des Pins à la société calédonienne Transweb, nouvel affréteur du navire, alors qu'elles étaient auparavant exclusivement confiées à la Société de transport des îles (STILES) et à la Compagnie maritime des îles (CMI), deux sociétés également calédoniennes, titulaires jusqu'à cette date d'un contrat de transport avec la SSP pour ce même type de prestations, partagées entre elles sur une base égalitaire. Estimant la décision précitée du 27 août 2014 illégale, la CMI a demandé à l'Etat, par lettre du 3 août 2018, de l'indemniser de la perte du bénéfice commercial consécutive à cette décision, évaluée par elle à la somme de 448 605 744 francs CFP pour la période allant de septembre 2014 à

décembre 2017. Par lettre du 5 octobre 2018, la ministre chargée des transports a rejeté cette demande. La CMI relève appel du jugement du 19 février 2019 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme ci-dessus mentionnée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. A l'appui de sa demande indemnitaire, la CMI expose que la décision de francisation du navire DL Scorpio du 27 août 2014 est entachée de plusieurs illégalités fautives.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence :

3. D'une part, aux termes de l'article 21 de la loi organique du 19 mars 2019 relative à la Nouvelle-Calédonie : " I. L'Etat est compétent dans les matières suivantes : (...) 6° Desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres points du territoire de la République ; (...) statut des navires ". Aux termes de l'article 22 de la même loi : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : (...) 8° Desserte maritime d'intérêt territorial ; immatriculation des navires ". Il résulte de ces dispositions que l'Etat étant seul compétent pour fixer le statut des navires en Nouvelle-Calédonie, est également, à ce titre, seul compétent pour délivrer à un navire le pavillon national.

4. D'autre part, aux termes de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1967 susvisée portant statut des navires et autres bâtiments de mer, applicable en Nouvelle-Calédonie en vertu de l'article 74 de cette loi, en vigueur jusqu'au 1er décembre 2010, puis, à compter de cette dernière date, du fait de l'exception d'abrogation prévue à l'article 7 de l'ordonnance du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports : " La francisation confère au navire le droit de porter le pavillon de la République française avec les avantages qui s'y attachent. / Cette opération est constatée par l'acte de francisation ". Aux termes de l'ordonnance du

28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports : " Article 7 : Sont abrogés, sous réserve des dispositions des articles 9 et 16 : (...) 51° la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer, à l'exception des articles 2 à 4, y compris les articles 3 et 3-1 dans leur rédaction issue de la loi n° 75-300 du 29 avril 1975, et 43 à 57 ; (...) Article 11 : La présente ordonnance est applicable en Nouvelle-Calédonie (...) ".

5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que l'acte de francisation délivré au navire DL Scorpio par agrément spécial du 27 août 2014, qui consiste à lui conférer le droit de porter le pavillon français, relève de la seule compétence de l'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 27 août 2014 serait entachée d'incompétence doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de base légale et de la méconnaissance de l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie :

6. D'une part, aux termes de la loi du 3 janvier 1967 susvisée, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 29 avril 1975 modifiant l'article 3 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, applicable en Nouvelle-Calédonie : " Art. 3. Pour être francisé, le navire doit répondre aux conditions suivantes (...). / Art. 3-1. Indépendamment des cas prévus à l'article 3 ci-dessus, la francisation d'un navire peut être accordée par agrément spécial du ministre chargé de la marine marchande et du ministre de l'économie et des finances dans les deux cas ci-après : (...) 2° Lorsque le navire a été affrété, coque nue, par un armateur français qui en assure le contrôle, l'armement, l'exploitation et la gestion nautique, et si la loi de l'Etat du pavillon permet, en pareille hypothèse, l'abandon du pavillon étranger ". Et aux termes de l'article 72 de la loi du 3 janvier 1967 susvisée, applicable en Nouvelle-Calédonie et en vigueur jusqu'au 1er décembre 2010, date de son abrogation par l'ordonnance du 28 octobre 2010 susvisée : " Sont abrogés les articles 190 à 220 du Code de commerce, la loi du 10 juillet 1885 qui modifie celle du 10 décembre 1874 sur l'hypothèque maritime ainsi que toutes autres dispositions contraires à la présente loi ".

7. D'autre part, aux termes de l'article 30 de la loi du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier : " Les dispositions des délibérations de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie et dépendances en date des 8, 12, 14 février et 21 juin 1963, instituant le code des douanes de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, et de la délibération en date du 18 janvier 1963 de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française, autres que celles qui relèvent de la compétence de ces assemblées en vertu des textes en vigueur, sont validées à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ". Aux termes de l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie : " La francisation des navires est soumise aux règles posées par le décret n° 60-600 du 22 juin 1960 portant règlement d'administration publique sur les navires immatriculés dans les Territoires d'Outre-Mer de la République française (...) ". Aux termes de l'article 7 du décret du 22 juin 1960 portant règlement d'administration publique sur les navires immatriculés dans les Territoires

d'Outre-Mer de la République française : " Pour obtenir la francisation les navires doivent : Appartenir pour moitié au moins à des citoyens de la Communauté ; / Avoir été construits dans le territoire d'outre-mer de la République dans lequel ils doivent être francisés ou y avoir acquitté les droits et taxes d'importation exigibles ". Et aux termes de l'article 8 du même décret : " Les navires appartenant à des sociétés ne peuvent être francisés que sous les conditions suivantes : a) La société propriétaire doit avoir son siège social dans un Etat de la Communauté ; b) Le cas échéant, le conseil d'administration ou de surveillance doit comprendre une majorité de citoyens de la Communauté ; le président du conseil d'administration ou de surveillance, le directeur général, s'il y en a un, et le ou les gérants doivent être citoyens de la Communauté ; c) S'il s'agit d'une société en nom collectif, les apports des citoyens de la Communauté doivent représenter au moins 50 p. 100 du capital social ".

8. L'abrogation d'un texte ou d'une disposition ayant procédé à l'abrogation ou à la modification d'un texte ou d'une disposition antérieur n'est pas, par elle-même, de nature à faire revivre le premier texte dans sa version initiale. Une telle remise en vigueur ne peut intervenir que si l'autorité compétente le prévoit expressément. Il ne peut en aller autrement que, par exception, dans le cas où une disposition a pour seul objet d'abroger une disposition qui n'avait elle-même pas eu d'autre objet que d'abroger ou de modifier un texte et que la volonté de l'autorité compétente de remettre en vigueur le texte ou la disposition concernée dans sa version initiale ne fait pas de doute.

9. Il résulte des dispositions ci-dessus mentionnées de l'article 3-1 de la loi du

3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer, introduites par la loi

n° 75-300 du 29 avril 1975, qu'elles sont incompatibles avec celles, également susmentionnées, des articles 7 et 8, relatifs à la francisation, du décret du 22 juin 1960 portant règlement d'administration publique et relatif aux navires immatriculés dans les territoires d'outre-mer de la République. Par suite et en application de l'article 72 de la loi du 3 janvier 1967, ces dernières dispositions du décret du 22 juin 1960 ont été abrogées à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 75-300 du 29 avril 1975. Si la CMI soutient que l'article 30 de la loi du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui a procédé à la validation du code des douanes de Nouvelle-Calédonie, a eu pour effet de remettre en vigueur les dispositions du décret du 22 juin 1960, notamment celles relatives à la francisation des navires, la seule circonstance de droit selon laquelle l'article 159 de ce code dispose que : "La francisation des navires est soumise aux règles posées par le décret n° 60-600 du 22 juin 1960 portant règlement d'administration publique sur les navires immatriculés dans les Territoires d'Outre-Mer de la République française " ne saurait être regardée comme révélant une volonté expresse de l'autorité compétente de remettre en vigueur les dispositions du décret du 22 juin 1960, dès lors notamment que la validation du code des douanes de Nouvelle-Calédonie a été réalisée à droit constant, sur la base de délibérations de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie antérieures aux lois du 3 janvier 1967 et du 29 avril 1975 précitées. En outre, il ne résulte de l'instruction ni que la loi du 7 juin 1977 précitée ait eu pour seul objet d'abroger l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967, tel qu'issu de la loi du 29 avril 1975, ni que ce dernier article ait eu lui-même pour seul objet d'abroger les dispositions du décret du

22 juin 1960 relatives à la francisation. Au surplus, il ne résulte également pas de l'instruction que la volonté de l'autorité compétente de remettre en vigueur les dispositions du décret précité ne fasse pas de doute. Par suite et conformément à ce qui a été dit au point 8, la validation du code des douanes de Nouvelle-Calédonie opérée par l'article 30 de la loi du 7 juin 1977 ne saurait être regardée comme ayant procédé à la remise en vigueur des dispositions du décret du 22 juin 1960 relatives à la francisation, ainsi que le soutient la CMI. Dès lors, cette dernière n'est pas davantage fondée à soutenir que le transfert de compétence en matière de régime douanier opéré par la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, au demeurant sans incidence sur les règles relatives à la francisation des navires, ainsi que l'adoption de l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie, par l'effet de la loi de validation du

7 juin 1977, auraient eu nécessairement pour effet d'abroger implicitement les dispositions de la loi du 3 janvier 1967, dans sa rédaction issue de la loi du 29 avril 1975. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que, en premier lieu, ni la loi n° 96-151 du 26 février 1996 relative aux transports ni la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports, non applicables en Nouvelle-Calédonie, n'ont abrogé, dans cette collectivité, les articles 2 à 4 de la loi du 3 janvier 1967 dans leur rédaction issue de la loi du 29 avril 1975, et que, en second lieu et ainsi qu'il a été dit au point 4, l'ordonnance du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports n'a pas davantage abrogé ces articles, s'agissant spécifiquement de la Nouvelle-Calédonie.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que la CMI n'est pas fondée à soutenir que la décision du 27 août 2014 de francisation du navire DL Scorpio est dépourvue de base légale en ce qu'elle ne serait pas fondée sur les dispositions relatives à la francisation des navires de l'article 159 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie et du décret du 22 juin 1960 et qu'elle aurait, en conséquence, méconnu ces dispositions.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967 :

11. La CMI soutient, à titre subsidiaire, qu'à supposer que l'article 3-1 de la loi du

3 janvier 1967, dans sa rédaction issue de la loi du 29 avril 1975, soit applicable à la décision de francisation du navire DL Scorpio du 27 août 2014, les conditions posées par cet article pour bénéficier d'un agrément spécial de francisation n'étaient en tout état de cause pas réunies.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que les dispositions applicables en matière de francisation des navires en Nouvelle-Calédonie, à la date du 27 août 2014, étaient celles de la loi du 3 janvier 1967, dans sa rédaction issue de la loi du 29 avril 1975. Il résulte en outre de la décision du 27 août 2014 précitée que la francisation du navire DL Scorpio a été accordée, par agrément spécial du ministre chargé des comptes publics et du secrétaire d'Etat chargé des transports, sur le fondement du 2° de l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967, de manière provisoire et sur " gel " du pavillon de Singapour qu'il portait. Si la CMI fait valoir, en premier lieu, que l'armateur français qui a affrété le DL Scorpio n'en assure pas le contrôle, l'armement, l'exploitation et la gestion nautique, " compte tenu du rôle joué par la société propriétaire du navire dans ces prestations ", elle n'apporte aucune précision utile permettant à la Cour d'apprécier le bien-fondé d'un tel argument. En second lieu, si la requérante soutient que le " gel " du pavillon singapourien que mentionne la décision du 27 août 2014 ne satisfait pas aux exigences des dispositions du 2° de l'article 3-1 précité, il ne résulte pas de ces dispositions que l'abandon du pavillon étranger mentionné par elles, ainsi que la francisation qui en résulte, doivent nécessairement, compte tenu de la nature et de la durée du contrat d'affrètement auquel ils sont associés, revêtir un caractère définitif. Enfin, il résulte des pièces du dossier que la loi sur la marine marchande de Singapour dénommée " Merchant Shipping Act ", qui constitue le chapitre 179 des statuts de la République de Singapour, dans sa version issue de la révision du

30 avril 1996, prévoit, contrairement à ce que soutient la CMI, la possibilité d'une suspension provisoire du pavillon de Singapour. L'article 45 de cette loi dispose en effet, à son article 45 intitulé " Regulations on evidence of seaworthiness " soit, selon la traduction non contestée du centre de traduction des ministères économiques et financiers, " Réglementation sur la preuve de navigabilité ", que, selon la même traduction, " 1. L'autorité peut, avec l'approbation du ministre, élaborer la réglementation qu'elle juge nécessaire ou utile à la mise en œuvre des dispositions énoncées dans la présente partie. / 2. Sans préjudice de la portée générale du paragraphe 1), l'autorité peut en particulier, avec l'approbation du ministre, élaborer une réglementation : (...) e. prévoyant la suspension de l'immatriculation d'un navire singapourien affrété coque nue et immatriculé dans un autre Etat ". Par suite, en délivrant un agrément spécial de francisation au navire DL Scorpio sur la base d'un abandon provisoire de son pavillon singapourien, le ministre chargé des comptes publics et le secrétaire d'Etat chargé des transports n'ont pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 3-1 de la loi du 3 janvier 1967, dans sa rédaction issue de la loi du 29 avril 1975. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 12 que la décision conjointe du ministre chargé des comptes publics et du secrétaire d'Etat chargé des transports du 27 août 2014, accordant la francisation par agrément spécial au navire DL Scorpio, n'est entachée d'aucune illégalité fautive.

14. En outre, en vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci ne peut être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute et le dommage invoqué. Or, le préjudice invoqué par la CMI, soit la perte de chance de réaliser le bénéfice correspondant au transport des hydrocarbures pris en charge par le navire DL Scorpio, ne peut en tout état de cause pas être regardé comme étant la conséquence directe de la décision de francisation susanalysée du 27 août 2014. Par suite, et à supposer même que cette décision fût fautive, en l'absence de lien direct et certain de causalité entre cette décision et le préjudice subi, les conclusions de la CMI tendant à la condamnation de l'Etat à réparer même partiellement les conséquences dommageables subies du fait de la perte du bénéfice commercial lié au transport d'hydrocarbures doivent être rejetées.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la CMI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande. Ses conclusions indemnitaires doivent, en conséquence, être rejetées, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Compagnie maritime des Iles est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Compagnie maritime des Iles, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2021.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

C. BRIANCON La greffière,

V. BREME

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la ministre de la transition écologique, en ce qui les concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 19PA01663


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01663
Date de la décision : 30/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Absence d'illégalité et de responsabilité.

Transports - Transports maritimes.


Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARL RAPHAELE CHARLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-12-30;19pa01663 ?
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