La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2022 | FRANCE | N°21PA02068

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 07 juin 2022, 21PA02068


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 juin 2020 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2009637/6-2 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié "

dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 juin 2020 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2009637/6-2 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 avril 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation pour annuler son arrêté du 4 juin 2020 ;

- M. B... ne justifie pas de motif exceptionnel ou de circonstances humanitaires au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... B..., ressortissant tunisien né le 9 mai 1985, entré en France le 10 octobre 2015 selon ses déclarations, a sollicité, le 11 octobre 2018, son admission au séjour en qualité de salarié sur le fondement des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien et des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur. Par un arrêté du 4 juin 2020, le préfet de police a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. Le préfet de police relève appel du jugement du 16 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié " dans le délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988 en matière de séjour et de travail : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation ". L'article 3 de la même convention stipule que : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que : " le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 devenu L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) ".

3. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 devenu L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 précité à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas des modalités d'admission exceptionnelle au séjour semblables à celles prévues à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

4. Il ressort des pièces du dossier que si M. B... soutient être entré en France en 2015, il ne disposait pas de visa de long séjour et s'est maintenu sur le territoire français en situation irrégulière. S'il détient un diplôme de technicien supérieur en informatique et a travaillé en qualité de gestionnaire des processus informatiques de juin 2016 à février 2017 pour la société BA Rénovation, puis en cette même qualité au sein de la société Rent-a-Room depuis mai 2017, sous couvert d'un contrat à durée indéterminée depuis le 1er février 2018, ces circonstances ne sont pas de nature à le faire regarder comme justifiant d'une expérience ou d'une qualification professionnelles particulières, alors au demeurant qu'il a usé d'une fausse carte d'identité italienne pour obtenir ce dernier emploi. En outre, il est constant qu'il est célibataire et sans enfant à charge, et n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Tunisie où résident notamment ses parents et ses deux sœurs et où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente ans. Dans ces conditions, le préfet de police ne s'est pas livré à une appréciation manifestement erronée de la situation de M. B... en refusant de faire usage de son pouvoir de régularisation exceptionnelle pour l'admettre au séjour. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de la qualification de l'intéressé ainsi que sur sa durée de séjour et de travail en France pour annuler son arrêté du 4 juin 2020.

5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme D... C..., adjointe à la cheffe du 9ème bureau, qui disposait, en vertu d'un arrêté n° 2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du 4 mars 2020, d'une délégation pour signer les décisions relatives au séjour et à l'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque en fait et doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la décision de refus de séjour attaquée vise les textes applicables et les éléments factuels de la situation de M. B... ayant justifié le refus opposé à sa demande de titre de séjour. Ce faisant, elle énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et satisfait ainsi aux exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. En outre, la motivation de l'obligation de quitter le territoire français se confond avec celle du refus du titre de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas de mention spécifique, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, ce refus est lui-même motivé et que les dispositions législatives permettant de l'assortir d'une mesure d'éloignement ont été rappelées. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation des décisions attaquées ne peut être accueilli.

8. En troisième lieu, si le préfet de police a estimé que M. B... ne répondait pas aux conditions posées par les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien pour se voir délivrer un titre de séjour en qualité de salarié et que l'arrêté mentionne que les ressortissants tunisiens ne peuvent invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 devenu L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans son volet " salarié ", s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, le préfet a toutefois instruit la demande de l'intéressé au regard de son pouvoir de régularisation exceptionnelle. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen complet de la demande de M. B..., notamment au regard de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, manque en fait et doit être écarté.

9. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que M. B... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-14 devenu L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de son activité professionnelle. Le requérant ne peut davantage utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012 qui ne constituent que des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu, dans le cadre de ladite circulaire, adresser aux préfets, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation de chaque cas particulier.

10. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de M. B... au regard de son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié doit être écarté.

11. Aux termes de l'article L. 511 devenu L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. ' L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".

12. Si l'arrêté en litige mentionne que M. B... a occupé un emploi sur la base d'une fausse carte d'identité italienne, ce qui constitue une manœuvre de nature à induire l'administration en erreur, et que la production de faux documents constitue un motif de trouble à l'ordre public susceptible d'être réprimé par l'article 441-7 du code pénal, le préfet de police n'a toutefois pas fondé les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire sur la seule circonstance d'un trouble à l'ordre public, qui n'est qu'un élément d'appréciation parmi d'autres, mais également sur la situation familiale et professionnelle de l'intéressé. Ainsi, à supposer même que la production de faux documents ne soit pas constitutive d'une menace à l'ordre public, le préfet aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur la seule situation professionnelle et familiale de l'intéressé. Par suite, le préfet de police pouvait légalement se fonder sur le 3° de l'article L. 511-1 devenu L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obliger M. B... à quitter le territoire français. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'erreur de qualification juridique des faits doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 4 juin 2020, lui a enjoint de délivrer à M. B... une carte de séjour dans le délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ce jugement doit dès lors être annulé et la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Paris doit être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2009637/6-2 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juin 2022.

Le rapporteur,

P. A...

La présidente,

C. BRIANÇON

Le greffier,

A. MOHAMAN YERO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA02068 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02068
Date de la décision : 07/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARLU HAGEGE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-07;21pa02068 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award