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29/12/2022 | FRANCE | N°20PA01418

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 29 décembre 2022, 20PA01418


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision, révélée par le courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 21 décembre 2017, par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de lui communiquer les informations le concernant et susceptibles de figurer dans le traitement de données personnelles dénommé STARTRAC, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations, de saisir le procureur pour l

es infractions constatées et lancer la procédure d'indemnisation du requér...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision, révélée par le courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 21 décembre 2017, par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de lui communiquer les informations le concernant et susceptibles de figurer dans le traitement de données personnelles dénommé STARTRAC, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations, de saisir le procureur pour les infractions constatées et lancer la procédure d'indemnisation du requérant et enfin d'enjoindre au ministre de lui communiquer les documents composant son dossier administratif.

Par un jugement n° 1806612/6-1 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Paris, après avoir transmis au Conseil d'Etat les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de lui communiquer les informations le concernant enregistrées dans le fichier STARTRAC et intéressant la sûreté de l'Etat, a enjoint au ministre de procéder à l'effacement des données concernant M. B..., autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat, contenues dans le fichier STARTRAC, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B... ainsi que les conclusions présentées par le ministre de l'action et des comptes publics sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 et 22 juin 2020, le 23 décembre 2020, le 9 avril 2021 et le 1er mars 2022, le ministre de l'action et des comptes publics, représenté par Me Le Gunehec, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 1806612/6-1 du 2 avril 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, qu'en prononçant une injonction d'effacement des données concernant M. B... contenues dans le fichier Startrac et n'intéressant pas la sûreté de l'Etat, le tribunal a méconnu son office dès lors qu'il ne disposait pas des informations lui permettant de déterminer si de telles données existaient, et ne pouvait, par suite, déterminer si ces données auraient été pertinentes au regard des finalités poursuivies par le fichier, adéquates et proportionnées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 novembre 2020 et le 9 mars 2021, M. B..., représenté par Me Fitzjean O' Cobhthaigh, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 3 du jugement n° 1806612/6-1 du 2 avril 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de lui communiquer les informations n'intéressant pas la sûreté de l'Etat qui le concernent dans le fichier Startrac et de lui indiquer les rectifications qui ont pu y être apportées ;

3°) de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- la communication des éléments qui n'intéressent pas la sûreté de l'Etat et le concernant dans le fichier Startrac lui est nécessaire et le refus d'y procéder méconnaît son droit au respect de la vie privée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Breillon, rapporteure publique,

- et les observations de Me le Gunehec, avocat du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B... a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) afin de pouvoir accéder aux données le concernant éventuellement contenues dans le fichier STARTRAC du service à compétence nationale Tracfin. La CNIL a désigné, en application de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978, un de ses membres, pour mener toutes investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires. Par une lettre du 21 décembre 2017, la présidente de la CNIL a informé M. B... qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications demandées s'agissant de ce fichier et que la procédure était terminée, sans apporter à l'intéressé d'autres informations. M. B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision, révélée par ce courrier, par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de lui communiquer ces informations. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour d'annuler l'article 2 du jugement du 2 avril 2020 par lequel le Tribunal lui a fait injonction de procéder à l'effacement des données concernant M. C... B..., autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat, contenues dans le traitement de données personnelles dénommé STARTRAC. Par la voie de l'appel incident M. B... demande l'annulation de l'article 3 de ce même jugement ayant rejeté le surplus de ses conclusions.

2. Aux termes de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et au libertés : " I. - Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et : / 1° Qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique (...) / L'avis de la commission est publié avec l'arrêté autorisant le traitement. / II. - Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 6 sont autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission. Cet avis est publié avec le décret autorisant le traitement. / III. - Certains traitements mentionnés au I et au II peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'Etat, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise ; pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission ". Le fichier STARTRAC mis en œuvre par le service à compétence nationale TRACFIN est au nombre des traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, qui sont dispensés de publication en application de ces dispositions.

3. Les traitements intéressant la sûreté de l'Etat et la défense sont régis par le titre IV de la loi du 6 janvier 1978. Aux termes de l'article 118 de la loi : " Les demandes tendant à l'exercice du droit d'accès, de rectification et d'effacement sont adressées à la Commission nationale de l'informatique et des libertés qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. La commission informe la personne concernée qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires et de son droit de former un recours juridictionnel. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. " Le I de l'article 119 de la même loi dispose que : " Par dérogation à l'article 118, lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l'acte réglementaire autorisant le traitement peut prévoir que les droits d'accès, de rectification et d'effacement peuvent être exercés par la personne concernée auprès du responsable de traitement directement saisi dans les conditions prévues aux II à III du présent article. "

4. En vertu de l'article 143 du décret du 29 mai 2019 pris pour l'application de la loi du 6 janvier 1978, lorsque la Commission nationale de l'informatique et des libertés, saisie sur le fondement de l'article 118 de la loi, constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication de certaines données ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, elle les communique au demandeur. En revanche, si le responsable du traitement s'oppose à cette communication, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. De même, le cas échéant, la commission peut constater, en accord avec le responsable du traitement, que les données concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. Cependant, en cas d'opposition du responsable du traitement, la commission informe simplement le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires.

5. Si le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n'aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d'assurer l'effectivité du droit au recours, lorsque l'acte litigieux n'est pas publié en application de l'article 31 de la loi du 26 janvier 1978 dans sa rédaction applicable au litige. Si une telle dispense de publication, que justifie la préservation des finalités des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique fait obstacle à la communication tant de l'acte réglementaire qui en a autorisé la création que des décisions prises pour leur mise en œuvre aux parties autres que celle qui les détient, dès lors qu'une telle communication priverait d'effet la dispense de publication, elle ne peut, en revanche, empêcher leur communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d'apprécier le bien-fondé d'un moyen. Il suit de là que quand, dans le cadre de l'instruction d'un recours dirigé contre le refus de communiquer des informations relatives à une personne mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique dont l'acte de création a fait l'objet d'une dispense de publication, le ministre refuse la communication de ces informations au motif que celle-ci porterait atteinte aux finalités de ce fichier, il lui appartient néanmoins de verser au dossier de l'instruction écrite, à la demande du juge, ces informations ou, si elles sont couvertes par un secret opposable au juge, tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer, de façon à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce dernier, sans que ces éléments puissent être communiqués aux autres parties, auxquelles ils révèleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non publication du décret l'autorisant. Les dispositions de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative sont alors applicables.

6. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire et dans la limite des secrets qui lui sont opposables, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, le juge rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité, soit que les données à caractère personnel soient inexactes, incomplètes ou périmées, soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses. Il s'ensuit, dans pareil cas, que doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.

Sur l'appel principal :

7. Il ressort des pièces du dossier qu'en réponse à la mesure d'instruction par laquelle le Tribunal lui avait demandé, en lui précisant que les informations ainsi communiquées ne seront pas soumises à la procédure contradictoire, de verser au dossier l'arrêté autorisant la création du fichier STARTRAC ainsi que les informations concernant M. B... n'intéressant pas la sûreté de l'Etat, ou tous éléments appropriés sur la nature de ces informations et les motifs fondant le refus de les communiquer, le ministre s'est borné à produire l'acte autorisant la création du fichier STARTRAC, sans aucun autre élément relatif à l'existence ou non, dans ce fichier, de données concernant M. B.... Dans ces conditions, le ministre est fondé à soutenir que les premiers juges n'ont pas pu exercer leur office dans les conditions décrites au point 6 ni constater une illégalité entachant les données éventuellement présentes dans le fichier en cause et que, par suite, c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, ils lui ont enjoint de procéder à l'effacement des données concernant M. B..., autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat, contenues dans le fichier STARTRAC. Il est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé l'injonction contestée en appel.

8. Le ministre a communiqué à la Cour, par un mémoire enregistré le 2 mars 2022 qui n'a pas été versé au débat contradictoire, l'acte autorisant la création du fichier STARTRAC en vigueur à la date du présent arrêt, ainsi que les éléments relatifs à la situation de M. B.... Il résulte de l'examen de ces éléments, qui n'a révélé aucune illégalité, que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation du refus du ministre de lui communiquer les informations le concernant dans le fichier STARTRAC ne peuvent être accueillies. En conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'appel incident :

9. Pour rejeter, par l'article 3 du jugement attaqué, le surplus des conclusions de M. B..., le Tribunal a relevé que ces conclusions demandant, d'une part, la saisine du juge pénal par la juridiction, et d'autre part, qu'il soit enjoint au ministre de lui communiquer son dossier administratif, étaient irrecevables. M. B... ne formulant aucun moyen de fait ou de droit en ce qui concerne la recevabilité de telles conclusions, son appel incident ne peut qu'être rejeté.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme que le ministre demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1806612/6-1 du 2 avril 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles l'article 2 du jugement n° 1806612/6-1 du 2 avril 2020 a fait droit, ainsi que ses conclusions présentées en appel, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. C... B....

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- Mme Jurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

P. A...Le président,

C. JARDINLa greffière,

C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20PA01418


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01418
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme BREILLON
Avocat(s) : SCP NORMAND et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-29;20pa01418 ?
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