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30/12/2022 | FRANCE | N°22PA00205

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 30 décembre 2022, 22PA00205


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2100091 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :


Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2022, M. D..., représenté par Me Werba, demande à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2100091 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2022, M. D..., représenté par Me Werba, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant cet examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet, après avoir énoncé que l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était inapplicable à sa situation, a rejeté au fond sa demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié sur le fondement de cet article ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors notamment qu'il est présent de manière continue depuis 2011 et est bien inséré professionnellement ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français.

La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par lettres du 14 novembre 2022, la Cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité d'une demande nouvelle en appel.

Par lettres du 14 novembre 2022, les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible de substituer d'office la base légale tirée du pouvoir de régularisation dont dispose l'autorité préfectorale à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant tunisien né le 15 janvier 1974, est entré sur le territoire français le 26 juillet 2011 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a sollicité, le 25 juin 2020, son admission exceptionnelle au séjour en tant que salarié. Par un arrêté du 10 novembre 2020, le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... demande l'annulation du jugement du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, devant le tribunal administratif de Melun, M. D... n'a invoqué que des moyens relatifs à la légalité interne de l'arrêté attaqué. S'il soutient devant la Cour que la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée, ces prétentions, fondées sur une cause juridique distincte, constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.

3. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable à la date de l'arrêté attaqué et désormais codifié à l'article L. 435-1 du même code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 ".

4. D'autre part, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers et aux conditions de délivrance de ces titres s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 111-2 du même code alors applicable et désormais codifié à L. 110-1, " sous réserve des conventions internationales ". L'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail stipule: " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". L'article 3 du même accord stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' ". L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui, dans sa version applicable au litige, porte sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions des articles L. 313-10 et L.313-11 du même code, auxquelles il renvoie, n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 prévoit la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour en cette qualité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'elles prévoient la délivrance d'un titre de séjour " salarié ", à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire français, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien. En revanche, les stipulations de cet accord ne font pas obstacle à l'application, aux ressortissants tunisiens, des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en tant qu'elles prévoient la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

5. Ainsi, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas des modalités d'admission exceptionnelle au séjour semblables à celles de l'article L. 313-14 en qualité de salarié, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Par suite, il lui appartient, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

6. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet, alors même qu'il a énoncé que " le demandeur ne peut se prévaloir de l'article L. 313-14 du CESEDA ", a statué sur la demande de titre de séjour de M. D... en écartant l'existence de " motifs exceptionnels justifiant la régularisation de sa situation au titre du travail " et en énonçant que l'intéressé " ne peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour ''salarié'' (...) sur le fondement de de l'article L. 313-14 du CESEDA ". Or il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le préfet de police ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée par M. D....

7. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur un autre texte ou fondement légal que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du fondement légal sur lequel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

8. Si le préfet de police a, ainsi qu'il a été dit au point 6, fondé de manière erronée sa décision sur l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il y a lieu de substituer à ce fondement celui relatif au pouvoir discrétionnaire dont dispose le préfet pour régulariser, en opportunité, la situation de tout étranger, dès lors que cette substitution de base légale n'a pas pour effet de priver M. D... des garanties de procédure qui lui sont offertes par la loi et que le préfet dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation que lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. M. D... soutient qu'il réside en France de façon habituelle depuis 2011 et qu'il est bien inséré professionnellement. Toutefois, d'une part, l'intéressé ne justifie pas de la continuité de sa présence en France depuis 2011 en se bornant à produire deux cartes d'admission à l'aide médicale d'Etat et deux ordonnances médicales pour les années 2012 et 2013, sans verser par ailleurs de pièces de nature à démontrer sa présence entre le mois de mars 2014 et le mois de février 2015. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a travaillé en qualité de peintre entre les mois de février et avril 2015, a bénéficié de trois contrats à durée déterminée de courte durée pour un surcroit temporaire d'activité en qualité d'agent d'entretien qualifié auprès du centre hospitalier sud francilien en fin d'année 2018 et en juillet 2019 et, enfin, qu'il travaille au titre de missions d'intérim, notamment en qualité de manutentionnaire, pour la société Atexis depuis le mois de juin 2015. Toutefois, si ces éléments attestent de la volonté d'insertion de M. D..., les missions invoquées, au demeurant ponctuelles et exercées le plus souvent à temps partiel, ne revêtent pas de spécificité particulière et ne permettent dès lors pas de caractériser une insertion professionnelle spécifique et suffisamment stable. Dès lors, le requérant ne peut se prévaloir d'aucun motif particulier de nature à permettre au préfet de police d'exercer son pouvoir de régularisation exceptionnelle en lui délivrant une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".

11. M. D... fait valoir qu'il a fixé le centre de ses intérêts familiaux, personnels et professionnels en France. Toutefois, d'une part et ainsi qu'il a été dit au point 9, l'intéressé ne justifie de sa résidence continue en France que depuis, au plus tôt, l'année 2015. D'autre part, en se bornant à produire les titres de séjour de ses frères et sœurs résidant en France, il ne justifie pas de l'intensité des liens qu'il entretiendrait avec chacun d'eux ni de la nécessité de sa présence auprès de son frère Issam D..., chez qui il réside. La production de trois attestations peu circonstanciées et rédigées pour deux d'entre elles par de simples connaissances ne permettent pas davantage de démontrer que le requérant aurait noué des liens intenses et stables en France. Par ailleurs, le requérant est célibataire sans charge de famille et ne justifie pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de 37 ans. Enfin et ainsi qu'il a été dit, il n'établit aucune insertion professionnelle spécifique. Par suite, M. D... n'établit pas que la décision de refus de titre de séjour aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En conséquence, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, aucun des moyens précités dirigés contre la décision de refus de titre de séjour n'est fondé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait privée de base légale du fait de l'illégalité de cette décision doit être écarté.

13. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de M. D... doit être écarté.

Sur la décision fixant le pays de destination :

14. M. D... n'invoque aucun moyen propre au soutien de ses conclusions aux fins d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, se bornant à soutenir que cette dernière doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français. Toutefois et compte tenu de ce qui a été dit aux points 12 et 13, ce moyen doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera délivrée au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- M. D'Haëm, président-assesseur,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

Le rapporteur,

P. C...

La présidente,

M. B...

La greffière,

O. BADOUX-GRARELa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA00205 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00205
Date de la décision : 30/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme SAINT-MACARY
Avocat(s) : WERBA

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-30;22pa00205 ?
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