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30/12/2022 | FRANCE | N°22PA01494

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 30 décembre 2022, 22PA01494


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- sous le n° 2003523, d'annuler une décision implicite de rejet, réputée être intervenue le 26 décembre 2015, par laquelle le préfet du Val-de-Marne aurait refusé d'abroger l'arrêté du 25 octobre 2000 ordonnant son expulsion du territoire français, ensemble la décision du 11 mars 2020 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit assigné à résidence, d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'abr

oger cet arrêté du 25 octobre 2000 ou, à défaut, de réexaminer sa demande d'assignation ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... C... a demandé au tribunal administratif de Melun :

- sous le n° 2003523, d'annuler une décision implicite de rejet, réputée être intervenue le 26 décembre 2015, par laquelle le préfet du Val-de-Marne aurait refusé d'abroger l'arrêté du 25 octobre 2000 ordonnant son expulsion du territoire français, ensemble la décision du 11 mars 2020 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit assigné à résidence, d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'abroger cet arrêté du 25 octobre 2000 ou, à défaut, de réexaminer sa demande d'assignation à résidence, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'inexécution du jugement n° 1707400 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Melun et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- sous le n° 2010547, d'annuler la décision implicite de rejet qui serait née du silence gardé par le préfet du Val-de-Marne sur sa demande tendant au réexamen des motifs de l'arrêté du 25 octobre 2000, d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'abroger cet arrêté et de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003523-2010547 du 2 février 2022, rectifié par une ordonnance du 7 février 2022, le tribunal administratif de Melun, d'une part, a annulé la décision implicite du " 27 juin 2020 " par laquelle " le préfet du Val-de-Marne ou l'autorité préfectorale compétente " a refusé d'abroger l'arrêté du 25 octobre 2000, a enjoint à " la préfète du Val-de-Marne ou à l'autorité préfectorale compétente " de procéder à l'abrogation de cet arrêté dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de ces demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés sous le n° 22PA01494 respectivement le 1er avril 2022 et le 8 avril 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour d'annuler les articles 1er à 3 de ce jugement et de rejeter la demande n° 2010547 présentée par M. C... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'une décision implicite était intervenue le 27 juin 2020 alors que M. C... n'a jamais demandé auprès des services de la préfecture du Val-de-Marne l'abrogation de l'arrêté du 25 octobre 2000 ordonnant son expulsion du territoire français ; le courrier du 25 février 2020 de l'intéressé, réceptionné le 27 février suivant, ne peut être regardé comme une demande d'abrogation ; il ne démontre pas, par ailleurs, avoir sollicité une telle abrogation le 4 septembre 2020 ; le préfet du Val-de-Marne n'avait donc pas à transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis une telle demande d'abrogation ; sa demande n° 2010547, dirigée contre une décision inexistante, était, par conséquent, irrecevable ;

- c'est également à tort que le tribunal administratif a estimé qu'un refus d'abrogation serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; en effet, eu égard à la gravité des faits commis par l'intéressé le 17 août 1997 et alors qu'il ne justifie pas d'une vie privée et familiale en France telle que le maintien de l'arrêté d'expulsion en date du 25 octobre 2000 constituerait une atteinte disproportionnée au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou méconnaîtrait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, rien ne justifie l'abrogation de cet arrêté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2022, M. C..., représenté par Me Monget-Sarrail, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de dommages-intérêts pour requête abusive ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- au regard des dispositions des articles R. 811-1 et R. 832-1 du code de justice administrative et alors que le préfet du Val-de-Marne était seul compétent pour abroger l'arrêté d'expulsion en date du 25 octobre 2000, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas qualité pour faire appel et sa requête est donc irrecevable ;

- sa demande n° 2010547, dirigée contre la décision implicite née du silence de l'administration sur sa demande reçue le 4 septembre 2020, était recevable ;

- les autres moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2022 à 12h00.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 22PA02008 le 10 août 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution des articles 2 et 3 du jugement attaqué.

Il soutient que :

- les conditions prévues à l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ;

- les conditions prévues à l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont également remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2022, M. C..., représenté par Me Monget-Sarail, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'ayant pas qualité pour faire appel, sa requête est irrecevable.

Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2022 à 12h00.

Par un courrier du 15 novembre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, le tribunal administratif s'étant mépris sur la décision contestée à l'appui de la demande n° 2010547 de M. C..., qui tendait uniquement à l'annulation de la décision implicite née du silence gardé par l'administration sur sa demande présentée le 4 septembre 2020 et tendant au réexamen des motifs de l'arrêté d'expulsion du 25 octobre 2000, en application des dispositions de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Un mémoire en réponse à ce courrier a été présenté le 17 novembre 2022 pour M. C....

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- les conclusions de Mme Saint-Macary, rapporteure publique,

- et le rapport de M. d'Haëm, rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées n° 22PA01494 et n° 22VE02008, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

2. M. C..., ressortissant togolais, né le 31 décembre 1965 et entré en France, selon ses déclarations, en 1991, a fait l'objet, le 25 octobre 2000, d'un arrêté du Premier ministre ordonnant son expulsion du territoire français. Le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du 2 février 2022, rectifié par une ordonnance du 7 février 2022, du tribunal administratif de Melun en tant qu'il annule, à la demande de M. C..., une décision implicite du " 27 juin 2020 " par laquelle " le préfet du Val-de-Marne ou l'autorité préfectorale compétente " aurait refusé d'abroger cet arrêté, a enjoint " à la préfète du Val-de-Marne ou à l'autorité préfectorale compétente " de procéder à l'abrogation de cet arrêté dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. C... :

3. D'une part, depuis l'intervention du décret du 13 janvier 1997 modifiant l'article 1er du décret du 26 mai 1982 portant application des articles 24 et 33 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, la compétence pour édicter un arrêté d'expulsion sur le fondement des dispositions de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, devenu l'article L. 521-1, puis l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, suivant la procédure de droit commun, n'est plus exercée par le ministre de l'intérieur mais, dans les départements, par le préfet et, à Paris, par le préfet de police. Par ailleurs, si les stipulations de la convention d'établissement entre la France et le Togo du 10 juillet 1963 prévoyaient qu'une mesure d'expulsion devait être prise par le " chef du Gouvernement ", cette compétence du Premier ministre a été supprimée par la convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République togolaise, signée à Lomé le 13 juin 1996, ratifiée et régulièrement publiée le 29 décembre 2001. Il suit de là que ces changements des règles de compétence relatives aux décisions d'expulsion résultant de ces dispositions impliquent, nonobstant les termes de l'article 3 du décret du 26 mai 1982, devenu l'article R. 524-1, puis l'article R. 632-9 du même code, d'après lesquels " l'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé par l'autorité qui l'a prononcé ", que l'abrogation d'un arrêté d'expulsion pris suivant la procédure de droit commun relève désormais de la compétence de l'autorité préfectorale, alors même que l'arrêté dont l'abrogation est sollicitée a été pris par le Premier ministre conformément aux stipulations alors en vigueur de la convention d'établissement entre la France et le Togo du 10 juillet 1963. Dans un tel cas, l'examen de la demande tendant à l'abrogation d'un arrêté d'expulsion pris par le Premier ministre suivant la procédure de droit commun relève du préfet qui a été chargé de veiller à l'exécution de cet arrêté.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., de nationalité togolaise, a fait l'objet, le 25 octobre 2000, d'un arrêté du Premier ministre ordonnant son expulsion du territoire français, suivant la procédure de droit commun. Il ressort également des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté que le préfet de la Seine-Saint-Denis, département dans le ressort duquel M. C... était alors domicilié, a été chargé de l'exécution de cet arrêté. Par suite, seul ce préfet était compétent pour, le cas échéant, abroger cet arrêté d'expulsion.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. / A défaut de notification à l'intéressé d'une décision explicite d'abrogation dans un délai de deux mois, ce réexamen est réputé avoir conduit à une décision implicite de ne pas abroger. Cette décision est susceptible de recours (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 2 septembre 2020, réceptionné le 4 septembre 2020, M. C... a demandé, à tort, au préfet du Val-de-Marne de procéder au réexamen des motifs de l'arrêté d'expulsion en date du 25 octobre 2000, en application des dispositions précitées de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, le préfet du Val-de-Marne, qui n'était pas compétent pour statuer sur la demande de l'intéressé, est réputé avoir transmis cette demande à l'autorité administrative compétente, c'est à dire au préfet de la Seine-Saint-Denis. En outre, par application des dispositions précitées de cet article L. 524-2, aux termes desquelles, à défaut pour l'autorité compétente de prendre une décision expresse d'abrogation de l'arrêté d'expulsion dont un ressortissant étranger a fait l'objet, une décision implicite de ne pas abroger cet acte est réputée intervenir tous les cinq ans, deux mois après la date anniversaire de cet arrêté, une décision implicite de ne pas abroger l'arrêté du 25 octobre 2000 ordonnant l'expulsion du territoire français de M. C... est née le 25 décembre 2020, à défaut, pour le préfet de la Seine-Saint-Denis, d'avoir notifié à l'intéressé une décision explicite d'abrogation de cet acte.

7. Enfin, en vertu des principes généraux de la procédure, tels qu'ils sont rappelés à l'article R. 811-1 du code de justice administrative, le droit de former appel des décisions de justice rendues en premier ressort est ouvert aux parties présentes à l'instance sur laquelle le jugement qu'elles critiquent a statué.

8. En l'espèce, l'Etat avait la qualité de partie à l'instance devant le tribunal administratif de Melun, qui a statué, par le jugement attaqué, sur la demande n° 2010547 de M. C..., alors même que seule la préfète du Val-de-Marne a été invitée à présenter des observations au nom de l'Etat. En outre, le préfet de la Seine-Saint-Denis, auteur de la décision en litige, n'a pas été invité à présenter ses observations dans cette instance, alors qu'il aurait dû l'être. Au surplus, il a été destinataire d'une copie du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif, après avoir considéré, au point 17 de son jugement, que la décision en litige devait être regardée comme ayant été prise par le préfet de la Seine-Saint-Denis, a annulé cette décision et a enjoint " à la préfète du Val-de-Marne ou à l'autorité préfectorale compétente " de procéder à l'abrogation de cet arrêté dans un délai de deux mois, et s'est vu notifier, avec la mention des voies et délais de recours, l'ordonnance du 7 février 2022 rectifiant ce jugement.

9. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient l'intimé, le préfet de la Seine-Saint-Denis a qualité pour faire appel des articles 1er à 3 du jugement attaqué.

Sur la régularité du jugement attaqué :

10. Il ressort des pièces du dossier que la demande n° 2010547 de M. C... devant le tribunal administratif de Melun tendait uniquement à l'annulation de la décision implicite née du silence gardé par l'administration sur sa demande présentée le 4 septembre 2020 et tendant au réexamen des motifs de l'arrêté du 25 octobre 2000 ordonnant son expulsion du territoire français. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a regardé la demande de M. C... comme tendant à l'annulation d'une décision implicite qui serait née, le 27 juin 2020, du silence gardé par l'administration sur une demande d'abrogation qui aurait été présentée le 27 février 2020. Le tribunal administratif s'étant ainsi mépris sur la nature de la décision contestée, le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il statue sur cette demande n° 2010547 et doit être annulé dans cette mesure.

11. Il y a lieu, pour la cour, de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande n° 2010547 présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Melun.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

12. Si le préfet de la Seine-Saint-Denis soutient que la demande n° 2010547 présentée par M. C..., le 21 décembre 2020, devant le tribunal administratif de Melun est dirigée contre une décision inexistante et est, par conséquent, irrecevable, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que cette demande doit être regardée comme étant dirigée contre la décision implicite, réputée être intervenue le 25 décembre 2020 en application des dispositions de l'article L. 524- 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion en date du 25 octobre 2000. Cette demande est, par suite, recevable.

Sur la légalité de la décision attaquée :

13. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet, le 25 octobre 2000, d'un arrêté du Premier ministre ordonnant son expulsion du territoire français au motif que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public pour avoir commis, le 17 août 1997, des faits de viol, qui lui ont valu d'être condamné, par un arrêt du 28 septembre 1999 de la cour d'assises de Bobigny, à une peine de cinq d'emprisonnement. Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que l'intéressé se serait rendu coupable d'autre infraction, alors que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne fait état d'aucun autre fait criminel ou délictueux qu'aurait commis M. C... depuis 1997 ou depuis sa sortie de prison, ni aucun autre élément défavorable, hormis son maintien irrégulier sur le territoire. De plus et contrairement à ce que soutient le préfet, l'intéressé justifie, par des documents suffisamment nombreux et probants, qu'il vit, depuis 2015, avec une compatriote, Mme F... E..., entrée en France en 2003 et titulaire d'une carte de résident valable du 23 septembre 2014 au 22 septembre 2024, qu'il a rencontrée au Togo, avec laquelle il s'est marié le 9 avril 2016 et dont il a eu une fille, G... C..., née le 21 juillet 2006, alors qu'ils vivaient en concubinage, et qui a acquis la nationalité française par déclaration le 20 novembre 2019. En outre, M. C... vit également avec l'autre enfant de son épouse, B... E..., né le 14 septembre 2009 d'une autre relation alors que les intéressés étaient séparés et qui est également de nationalité française. Par ailleurs, alors qu'un arrêté d'expulsion a pour effet d'interdire à l'intéressé de séjourner légalement en France avec sa famille, il ne peut être sérieusement soutenu par le préfet que M. C... ne justifierait pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de ces deux enfants, alors qu'au demeurant, il fournit plusieurs documents permettant de l'établir. Enfin, M. C... justifie d'une promesse d'embauche du 16 janvier 2017 en qualité de chauffeur auprès de la société Lion, qui a été renouvelée en 2019 et 2020. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, eu égard au caractère ancien des faits commis en 1997 par M. C..., malgré leur gravité, et à la circonstance qu'il ne s'est pas signalé défavorablement depuis la survenance de ces faits ayant motivé en octobre 2000 son expulsion et compte tenu des liens privés et familiaux dont il peut se prévaloir en France, le refus opposé par le préfet de la Seine-Saint-Denis, le 25 décembre 2020, d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de l'intéressé le 25 octobre 2000 porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels il a été pris, en méconnaissance des stipulations précitées.

15. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, M. C... est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision du 25 décembre 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 25 octobre 2000.

Sur les conclusions de M. C... aux fins d'injonction et d'astreinte :

16. Si l'annulation d'un refus d'abrogation d'un arrêté d'expulsion n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à la personne intéressée, le présent arrêt implique en revanche que le préfet de la Seine-Saint-Denis abroge l'arrêté d'expulsion en date du 20 octobre 2000. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis, sous réserve d'un changement de circonstance de droit ou de fait, de procéder à cette abrogation de l'arrêté d'expulsion du 20 octobre 2000 dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions du préfet de la Seine-Saint-Denis à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :

17. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 22PA01494 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 22PA02008 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

Sur les conclusions de M. C... à fin d'indemnité pour recours abusif :

18. En raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir, des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le requérant soit condamné à payer à une personne mise en cause, des dommages et intérêts pour procédure abusive, ne peuvent être utilement présentées dans une instance en annulation pour excès de pouvoir. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par M. C... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2003523-2010547 du 2 février 2022 du tribunal administratif de Melun et la décision du 25 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé d'abroger l'arrêté du 25 octobre 2000 prononçant l'expulsion de M. C... du territoire français sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis, sous réserve d'un changement de circonstance de droit ou de fait, d'abroger l'arrêté d'expulsion en date du 25 octobre 2000 dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande n° 2010547 de M. C... devant le tribunal administratif de Melun et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.

Article 5 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22PA02008 du préfet de la Seine-Saint-Denis.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Seine-Saint-Denis, au ministère de l'intérieur et des outre-mer et à M. H... C....

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- M. d'Haëm, président assesseur,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

Le rapporteur,

R. d'HAËMLa présidente,

M. A...La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01494... 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01494
Date de la décision : 30/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme SAINT-MACARY
Avocat(s) : MONGET-SARRAIL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-30;22pa01494 ?
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