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13/04/2023 | FRANCE | N°21PA04223

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 13 avril 2023, 21PA04223


Vu la procédure suivante :

I. Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021 sous le numéro 21PA04221, et des mémoires, enregistrés le 4 janvier 2022, le 4 mars 2022, le 2 avril 2022, le 4 juin 2022, le 29 septembre 2022 et le 25 novembre 2022, la société Happy Market Paea, représentée Me Mikou, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'enjoindre, avant dire droit, d'une part, à l'Autorité polynésienne de la concurrence de communiquer aux débats l'ensemble des documents et informations utilisés pour édicter la décision n°2021- SC-02 d

u 20 mai 2021, dont le dossier de notification complet déposé par le groupe Wane,...

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021 sous le numéro 21PA04221, et des mémoires, enregistrés le 4 janvier 2022, le 4 mars 2022, le 2 avril 2022, le 4 juin 2022, le 29 septembre 2022 et le 25 novembre 2022, la société Happy Market Paea, représentée Me Mikou, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'enjoindre, avant dire droit, d'une part, à l'Autorité polynésienne de la concurrence de communiquer aux débats l'ensemble des documents et informations utilisés pour édicter la décision n°2021- SC-02 du 20 mai 2021, dont le dossier de notification complet déposé par le groupe Wane, le rapport du service d'instruction de l'Autorité polynésienne de la concurrence et les observations des tiers et du commissaire du gouvernement en réponse audit rapport et d'autre part, à la société commerciale de Paea de communiquer aux débats le titre de vente des parcelles sur lesquelles l'implantation du magasin est projetée ;

2°) d'annuler la décision n° 2021-SC-02 du 20 mai 2021 par laquelle l'Autorité polynésienne de la concurrence a autorisé la mise en exploitation, par la société commerciale de Paea, d'un magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " d'une surface de vente de 780 m² sur le territoire de la commune de Paea (Tahiti) ;

3°) d'interdire l'opération notifiée par la société commerciale de Paea ou, à défaut, d'enjoindre à ladite société de prendre toute mesure permettant d'assurer une concurrence suffisante ;

4°) d'infliger à la société commerciale de Paea ainsi qu'au groupe Wane auquel elle appartient, et en tout état de cause à la société de participation pour la distribution, société holding, une sanction administrative conformément aux dispositions de l'article Lp. 320-4 du code de la concurrence de Polynésie française ;

5°) de mettre à la charge solidaire de l'Autorité polynésienne de la concurrence et de la société commerciale de Paea la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les demandes complémentaires, tendant notamment à ce qu'il enjoint à la communication de documents, ne constituent pas des conclusions nouvelles irrecevables ;

- le rapport d'expertise établi par le cabinet Polyvalence peut être pris en compte par la juridiction comme élément d'information dès lors qu'il a été soumis à la procédure

contradictoire ;

- la décision attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que les dispositions de l'article A. 320-1-2 du code de la concurrence de Polynésie française ont été méconnues ; le communiqué de presse relatif à l'opération projetée comporte des informations inexactes et le délai imparti aux tiers pour présenter des observations a été insuffisant ;

- la décision est entachée d'irrégularité dès lors que les dispositions de l'article A. 320-1 du code la concurrence de Polynésie française ont été méconnues ; le dossier de notification de l'opération projetée, sur le fondement duquel a été prise la décision litigieuse, est incomplet et comporte des informations inexactes ;

- l'Autorité polynésienne de la concurrence a commis une erreur de droit en procédant à une analyse erronée des marchés pertinents et en refusant de se prononcer sur la délimitation desdits marchés pertinents ;

- l'Autorité polynésienne de la concurrence a commis une erreur d'appréciation en procédant à une analyse incomplète et erronée des effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et du respect des exigences d'aménagement du territoire.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 octobre 2021, le 7 février 2022, le 8 avril 2022 et le 26 octobre 2022, l'Autorité polynésienne de la concurrence, représentée par le cabinet Cleary Gottlieb Steen et Hamilton LLP, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Happy Market Paea la somme de 150 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant à ordonner la communication de pièces avant dire droit, à ordonner toute mesure de nature à assurer une concurrence suffisante et à infliger une sanction administrative à la société commerciale de Paea sont irrecevables dès lors qu'elles ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et sont, en tout état de cause, infondées ;

- les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2021 autorisant la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " à Paea doivent être rejetées ; aucun des moyens soulevés par la requérante ne sont fondés.

Par des mémoires, enregistrés le 19 novembre 2021, le 4 février 2022, le 8 avril 2022, le 12 juillet 2022, le 9 novembre 2022 et le 5 décembre 2022, la société commerciale de Paea, représentée par Me Vogel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Happy Market Paea la somme de 3 000 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant à ordonner la communication de pièces avant dire droit, à ordonner toute mesure de nature à assurer une concurrence suffisante, à infliger une sanction administrative à la société commerciale de Paea et à mettre à la charge de la société commerciale de Paea les frais exposés et non compris dans les dépens sont irrecevables dès lors qu'elles ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et sont, en tout état de cause, infondées ;

- les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2021 autorisant la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " à Paea doivent être rejetées ; aucun des moyens soulevés par la requérante ne sont fondés ; le rapport d'expertise privé produit par la requérante doit être écarté des débats dès lors qu'il a été établi par le cabinet Polyvalence dirigé par un ancien membre de l'Autorité polynésienne de la concurrence, en conflit avec l'institution ;

- les conclusions tendant à interdire l'opération projetée doivent être rejetées dès lors que l'office du juge administratif est limité à l'annulation de la décision du 21 avril 2021.

Par une ordonnance du 7 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au

22 décembre 2022.

II. Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021 sous le numéro 21PA04223, et des mémoires enregistrés le 4 janvier 2022, le 4 mars 2022, le 9 juin 2022 et le 22 novembre 2022, la société de distribution de Paea, représentée par Me Bouyssie, demande à la cour :

1°) d'annuler la décision n° 2021-SC-02 du 20 mai 2021 par laquelle l'Autorité polynésienne de la concurrence a autorisé la mise en exploitation, par la société commerciale de Paea, d'un magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " d'une surface de vente de 780 m² sur le territoire de la commune de Paea (Tahiti) ;

2°) de mettre à la charge de la société commerciale de Paea la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que les dispositions de l'article A. 320-1-2 du code la concurrence de Polynésie française ont été méconnues ; le communiqué de presse relatif à l'opération projetée comporte des informations inexactes et le délai imparti aux tiers pour présenter des observations a été insuffisant ;

- la décision est entachée d'irrégularité dès lors que les dispositions de l'article A. 320-1 du code la concurrence de Polynésie française ont été méconnues ; le dossier de notification de l'opération projetée, sur le fondement duquel a été prise la décision litigieuse, est incomplet et comporte des informations inexactes ;

- la décision est entachée d'irrégularité dès lors que le principe du contradictoire a été méconnu ; le gérant de la société de distribution de Paea a été auditionné par l'Autorité polynésienne de la concurrence sans avoir été informé qu'un représentant de la société commerciale de Paea, partie notifiante, assistait à cette audition ;

- l'Autorité polynésienne de la concurrence a commis une erreur d'appréciation en procédant à une analyse erronée de la position dominante du groupe Wane auquel appartient la société commerciale de Paea ; elle a également procédé à une analyse incomplète et erronée des effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et du respect des exigences d'aménagement du territoire.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 octobre 2021, le 7 février 2022 et le 8 avril 2022, l'Autorité polynésienne de la concurrence, représentée par le cabinet Cleary Gottlieb Steen et Hamilton LLP, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société de distribution Paea la somme de 150 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés le 19 novembre 2021, le 4 février 2022, le 7 avril 2022, le 12 juillet 2022 et le 24 novembre 2022, la société commerciale de Paea, représentée par Me Vogel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société de distribution Paea la somme de 3 000 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les mémoires de la requérante, enregistrés le 4 février 2022, le 7 avril 2022, le 12 juillet 2022 et le 24 novembre 2022, doivent être déclarés irrecevables dès lors qu'ils se bornent à reprendre les moyens soulevés par la société Happy Market Paea dans la requête n° 21PA04221 ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 25 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au

10 décembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de la concurrence de Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Delors et de Me De Bure, représentant l'Autorité polynésienne de la concurrence ;

- et les observations de Me Civit et Me Boudilliez, représentant la société commerciale de Paea.

Des notes en délibéré, présentées pour l'Autorité polynésienne de la concurrence, ont été enregistrées le 4 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 avril 2021, la société commerciale de Paea, appartenant au groupe Wane, a notifié à l'Autorité polynésienne de la concurrence un projet de mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " d'une surface de vente de 780 m² sur le territoire de la commune de Paea (Tahiti). Par une décision du 20 mai 2021, l'Autorité polynésienne de la concurrence a autorisé cette mise en exploitation. Par la requête n° 21PA04221, la société Happy Market Paea, qui exploite un magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Happy Market " à Paea, demande l'annulation de la décision du 20 mai 2021. Par la requête n° 21PA04223, la société de distribution Paea, qui exploite un magasin de commerce de détail sous l'enseigne " LS Proxi " à Paea, demande également l'annulation de la décision du 20 mai 2021.

2. Les requêtes susvisées sont dirigées contre la même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense et les conclusions tendant à ce que certaines pièces soient écartées des débats :

En ce qui concerne la requête n° 21PA04221 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 311-2 du code de justice administrative :

" La cour administrative d'appel de Paris est compétente pour connaître en premier et dernier ressort : (...) / 4° Des recours dirigés contre les décisions de l'autorité polynésienne de la concurrence et de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie qui ne relèvent pas du juge judiciaire. ".

4. Il résulte de ces dispositions que le litige relatif à une décision de l'Autorité polynésienne de la concurrence autorisant la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail en application de l'article LP. 320-1 du code de la concurrence de Polynésie française est au nombre des litiges sur lesquels la cour administrative d'appel de Paris statue en premier et dernier ressort. Par suite, l'Autorité polynésienne de la concurrence et la société commerciale de Paea ne peuvent utilement soutenir que les conclusions tendant à ordonner la communication de pièces avant dire droit, à ordonner toute mesure de nature à assurer une concurrence suffisante et à infliger une sanction à la société commerciale de Paea sont irrecevables au motif qu'elles auraient le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel.

5. En second lieu, il n'appartient pas à la juridiction administrative d'ordonner, en l'absence de dispositions législatives faisant obstacle à la production de certaines pièces, que de telles pièces soient distraites du dossier de l'instance. Par suite, les conclusions de la société commerciale de Paea tendant à ce que les rapports d'expertise privés, constitués par les pièces

n° 14, n° 14-1 à 14-33, n° 16 et n° 17-1 à 17-13 produites par la société Happy Market, soient écartés des débats ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne la requête n° 21PA04223 :

6. La circonstance que les mémoires produits par la société de distribution de Paea dans la requête n° 21PA04223, enregistrés au greffe de la cour les 4 février, 7 avril, 12 juillet et

24 novembre 2022, reprennent les moyens développés par la société Happy Market Paea dans la requête n° 21PA04221, est sans incidence sur leur recevabilité. Par suite, les conclusions présentées par la société commerciale de Paea tendant à ce que ces mémoires soient déclarés irrecevables ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

7. Aux termes de l'article LP. 320-1 du code de la concurrence de Polynésie française dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Est soumis au régime d'autorisation défini par le présent titre : / 1° Toute mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail, lorsque sa surface de vente est supérieure à 300 m2 ; / 2° Toute mise en exploitation, dans un magasin de commerce de détail déjà en exploitation, d'une nouvelle surface de vente, lorsque la surface totale de vente de ce magasin est ou devient supérieure à 300 m2 ; / 3° Tout changement d'enseigne commerciale d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure à 300 m2, et tout changement de secteur d'activité d'un tel magasin ; / 4° Toute reprise, par un nouvel exploitant, d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure à 300 m2 sauf lorsque l'opération constitue une opération de concentration notifiable au sens des articles LP 310-1 et LP 310-2. (...) ". Aux termes de l'article LP. 320-3 du même code alors applicable : " L'Autorité se prononce dans un délai de trente jours ouvrés à compter de la date de réception du dossier complet. Elle examine notamment si l'opération crée ou renforce une position dominante. / L'Autorité peut également veiller à ce que les projets visés à l'article LP. 320-1 répondent aux exigences d'aménagement du territoire. / Elle peut : / 1° Soit autoriser l'opération envisagée ; / 2° Soit interdire l'opération envisagée si elle estime que le projet considéré est susceptible de porter une atteinte excessive à la concurrence ; / 3° Soit enjoindre au demandeur de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante. Le demandeur dispose d'un délai de trente jours ouvrés pour satisfaire aux injonctions et présenter un dossier complémentaire à l'Autorité. Dans le cas où la ou les mesures proposées sont insuffisantes ou dans le cas où le demandeur ne présente pas de dossier complémentaire, l'Autorité interdit l'opération envisagée. ".

8. Il appartient à l'Autorité polynésienne de la concurrence saisie d'une opération de création ou d'extension d'un magasin de commerce de détail visée aux dispositions précitées de l'article LP. 320-1 du code de la concurrence polynésien, à partir d'une analyse prospective tenant compte de l'ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération et d'apprécier si ces effets sont de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte.

9. Pour autoriser la mise en exploitation par la société commerciale de Paea appartenant au groupe Wane d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " sur la commune de Paea, l'Autorité polynésienne de la concurrence a relevé qu'à l'issue de l'opération projetée, la part de marché du groupe n'augmenterait que de 0,9% sur le marché de commerce de détail à dominante alimentaire sur l'île de Tahiti et serait de l'ordre de 19% sur le marché de proximité de Paea. En outre, l'Autorité polynésienne de la concurrence a indiqué que si la présence du groupe Wane tant sur le marché amont de l'approvisionnement des magasins de distribution au détail que sur le marché aval de la distribution au détail lui confère un avantage concurrentiel significatif au regard des autres entreprises du secteur, il n'est pas pour autant établi que le groupe aurait développé des pratiques abusives à l'encontre de ses concurrents, en particulier sur le marché amont de l'approvisionnement où il détient des marques notoires, ni que ses concurrents seraient dans l'incapacité de trouver des solutions alternatives d'approvisionnement.

10. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier que si la mise en exploitation projetée n'entrainera qu'une faible augmentation de la part de marché du groupe Wane, ce dernier détient une part sur le marché de commerce de détail à dominante alimentaire, qui passera de 40,2 % à 41,1 %, bien supérieure à celle des magasins sous enseigne " U ", qui se maintiendra autour de [20-30 %], et à celle des magasins sous enseigne " Happy Market " et " LS Proxi " qui restera à [0-10 %]. Par ailleurs, il ressort des observations écrites transmises par les concurrents à l'Autorité polynésienne de la concurrence que le groupe Wane constitue un acteur incontournable, notamment pour l'approvisionnement de certains produits alimentaires et marques notoires. A ce titre, plusieurs concurrents ont détaillé leur part d'approvisionnement par famille de produits et ont indiqué s'approvisionner à hauteur d'au moins 15 % auprès des sociétés du groupe Wane, cette part s'élevant à plus de 40 % voire à plus de 50% pour la société Happy Market Paea et la société de distribution de Paea sur les segments de la charcuterie, de la boucherie, du fromage ou encore de la crémerie. Les entreprises concurrentes ont également précisé que les sociétés du groupe Wane assuraient seules la distribution de plusieurs marques à forte notoriété et qu'elles disposaient difficilement d'alternatives d'approvisionnement en termes de prix et de logistique, dans un contexte où les autres entreprises du secteur ne sont pas verticalement intégrées. Dès lors, au regard de l'ensemble de ces constatations, la circonstance que l'opération projetée n'entrainera qu'une faible augmentation de la part du marché du groupe Wane n'est pas de nature, à elle seule, à exclure tout risque anticoncurrentiel. Dans ces conditions, il appartenait à l'Autorité polynésienne de la concurrence de solliciter des informations complémentaires auprès de la partie notifiante et de ses concurrents afin notamment d'apprécier les parts du groupe sur le marché amont de l'approvisionnement en fonction des familles de produits distribués et de déterminer la probabilité de mise en œuvre de stratégies anticoncurrentielles, en particulier de verrouillage, en résultant. Par suite, l'Autorité polynésienne de la concurrence doit être regardée comme ayant procédé à une analyse insuffisante des effets anticoncurrentiels de la mise en exploitation projetée.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, ni d'ordonner la production des documents sollicités, que les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation de la décision de l'Autorité polynésienne de la concurrence du 21 avril 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'annulation de la décision attaquée du 21 avril 2021 a nécessairement pour conséquence que l'Autorité polynésienne de la concurrence est tenue de réexaminer l'opération notifiée par la société commerciale de Paea tendant à la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " d'une surface de vente de 780 m² sur le territoire de la commune de Paea (Tahiti). Il y a lieu d'enjoindre à l'Autorité polynésienne de la concurrence de réexaminer l'opération projetée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

13. En revanche, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas nécessairement d'interdire l'opération projetée ni d'enjoindre à la société commerciale de Paea de prendre toute mesure de nature à assurer une concurrence suffisante alors au demeurant qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de prononcer de telles mesures.

Sur les conclusions à fin de sanction :

14. Aux termes de l'article LP. 320-4 du code de la concurrence de Polynésie française : " I. - L'Autorité peut infliger à la personne à laquelle incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour une personne morale à 5 % de son chiffre d'affaires hors taxes réalisé en Polynésie française lors du dernier exercice clos et, pour une personne physique à 20 millions de F CFP, dans les cas suivants : / - si une opération relevant du présent titre a été réalisée sans être notifiée ; / - si une opération relevant du présent titre et notifiée a été réalisée avant l'intervention de la décision de l'Autorité prévue à l'article

LP. 320-3 ; / - si une opération relevant du présent titre a été réalisée en contravention de la décision de l'Autorité prévue à l'article LP. 320-3 ; / - en cas d'omission ou de déclaration inexacte dans une notification. (...) ".

15. Il résulte de ces dispositions que les sanctions pécuniaires prévues à l'article

LP. 320-4 code de la concurrence de Polynésie française sont prononcées par l'Autorité polynésienne de la concurrence. Par suite, les conclusions tendant à ce que la juridiction administrative inflige une sanction pécuniaire à la société commerciale de Paea sur le fondement de ces dispositions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Autorité polynésienne de la concurrence une somme de 1 500 euros à verser à la société Happy Market Paea ainsi qu'une somme de 1 500 euros à verser à la société de distribution de Paea au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Happy Market Paea et de la société de distribution de Paea, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'Autorité polynésienne de la concurrence ainsi que par la société commerciale de Paea et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision n° 2021-SC-02 du 20 mai 2021 de l'Autorité polynésienne de la concurrence est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l'Autorité polynésienne de la concurrence de réexaminer l'opération notifiée par la société commerciale de Paea tendant à la mise en exploitation d'un nouveau magasin de commerce de détail sous l'enseigne " Champion " d'une surface de vente de 780 m² sur le territoire de la commune de Paea (Tahiti), dans un délai deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Autorité polynésienne de la concurrence versera une somme de 1 500 euros à la société Happy Market de Paea au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : L'Autorité polynésienne de la concurrence versera une somme de 1 500 euros à la société de distribution de Paea au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Happy Market de Paea, à la société de distribution de Paea, à l'Autorité polynésienne de la concurrence et à la société commerciale de Paea.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANILa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04221, 21PA04223


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04223
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle DÉGARDIN
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : BOUYSSIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-04-13;21pa04223 ?
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