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14/06/2023 | FRANCE | N°22PA04728

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 14 juin 2023, 22PA04728


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 mai 2022 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2213943/8 du 5 octobre 2022, le Tribunal admi

nistratif de Paris a annulé les décisions du 5 mai 2022 par lesquelles le préfet de police...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 5 mai 2022 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2213943/8 du 5 octobre 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 5 mai 2022 par lesquelles le préfet de police a refusé d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, a enjoint au préfet de police de prendre sans délai toute mesure utile afin qu'il soit procédé à l'effacement du signalement de M. A... dans le système d'information Schengen, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2022, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du 5 octobre 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que les motifs d'annulation retenus par le tribunal ne sont pas fondés et que les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2023, M. A..., représenté par Me Calvo Pardo, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du 13 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Desvigne-Repusseau a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 5 mai 2022, le préfet de police a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., ressortissant sénégalais, né en 1988, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Le préfet de police fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 5 mai 2022 refusant d'octroyer à M. A... un délai de départ volontaire et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Sur la légalité des décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le Tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-6 du même code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

3. Pour annuler la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire à M. A..., le Tribunal administratif de Paris a estimé, à bon droit, que la circonstance que l'intéressé est défavorablement connu des services de police pour des faits d'usage et de détention frauduleuse de faux documents administratifs commis le 11 mars 2015 n'était pas de nature à établir que son comportement constituait une menace pour l'ordre public compte tenu de l'ancienneté de ces faits, de leur caractère isolé et de ce que, au surplus, ceux-ci n'ont donné lieu à aucune condamnation pénale.

4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

5. Pour établir que la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire contestée était légale, le préfet de police invoque, pour la première fois en appel, un autre motif tiré de ce que, à la date de cette décision, M. A... avait déjà fait l'objet, le 31 décembre 2015, d'une mesure d'éloignement à l'exécution de laquelle il s'est soustrait et que cette circonstance est, en application des dispositions précitées du 3° de l'article L. 621-2 et du 5° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, constitutive d'un risque que l'intéressé se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. M. A..., qui soutient être présent en France depuis 2009 sans discontinuer, ne conteste pas ne pas avoir exécuté l'obligation de quitter le territoire française prise à son encontre le 31 décembre 2015 dans le délai de trente jours qui lui était alors imparti et dont il ressort des pièces du dossier qu'elle a été confirmée par un jugement n° 1601457 du 21 avril 2016 du Tribunal administratif de Montreuil puis par un arrêt n° 16VE02692 de la Cour administrative d'appel de Versailles du 30 mars 2017. Ainsi, il résulte de l'instruction que le préfet de police aurait pris la même décision s'il avait entendu se fonder initialement sur ce motif. Dans ces conditions, et dès lors qu'il résulte de l'instruction que la substitution de motif demandée par le préfet de police ne prive pas M. A... d'une garantie procédurale liée à ce motif, le préfet de police n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire et, par voie de conséquence, sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris à l'encontre des décisions refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

En ce qui concerne l'autre moyen dirigé contre la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

7. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 2 à 5, le moyen tiré de ce que la décision refusant d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire est illégale dès lors qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans :

8. En premier lieu, lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement et que celle-ci pourra être accompagnée d'une interdiction de retour sur le territoire français. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Par suite, le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français dont est susceptible d'être assortie l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour. Le moyen tiré de ce que le droit d'être entendu, garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne, a été méconnu, doit dès lors être écarté.

9. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, le préfet de police ne démontre pas que le comportement de M. A... constituerait une menace pour l'ordre public en France. Toutefois, et alors même qu'il n'est pas sérieusement contesté que l'intéressé est présent en France depuis 2009, il ressort des pièces du dossier qu'il a fait l'objet, le 31 décembre 2015, d'une obligation de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutée. Par ailleurs, M. A... ne justifie pas de la réalité ni de l'intensité des liens amicaux ou affectifs qu'il dit avoir tissés sur le sol national, et il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est sans charge de famille sur le territoire français et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où, selon ses propres déclarations, résident ses trois frères, sa mère, son épouse ainsi que leurs jumelles nées en 2012. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans est entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation, doit être écarté.

10. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 mai 2022 en tant qu'il refuse d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... et prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au titre des frais relatifs à la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2213943 du 5 octobre 2022 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. A... présentée devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2023.

Le rapporteur,

M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,

C. JARDIN

La greffière,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04728


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04728
Date de la décision : 14/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: M. Marc DESVIGNE-REPUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : CALVO PARDO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-06-14;22pa04728 ?
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