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29/03/2022 | FRANCE | N°20TL03317

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 29 mars 2022, 20TL03317


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS URBATP Carrières et Marbres a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la communauté de communes du Pays réuni d'Orange à lui verser la somme de 88 033 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de son éviction irrégulière du marché de réaménagement du secteur de l'Arc de Triomphe à Orange, en qualité de sous-traitant du lot n°4.

Par un jugement n° 1802449 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

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rocédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 septembre 2020 et l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS URBATP Carrières et Marbres a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la communauté de communes du Pays réuni d'Orange à lui verser la somme de 88 033 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de son éviction irrégulière du marché de réaménagement du secteur de l'Arc de Triomphe à Orange, en qualité de sous-traitant du lot n°4.

Par un jugement n° 1802449 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 septembre 2020 et le 19 février 2021 sous le n° 20MA03317 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL03317, la SAS URBATP Carrières et Marbres, représentée par Me Woimant, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802449 du 9 juillet 2020 ;

2°) de condamner la communauté de communes du Pays réuni d'Orange à lui verser la somme de 88 033 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière du marché de réaménagement du secteur de l'Arc de Triomphe à Orange, en qualité de sous-traitant du lot n°4 ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Pays réuni d'Orange une somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à contester son éviction irrégulière du marché litigieux en raison de la faute commise par la collectivité, de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle ;

- le jugement attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préjudice subi par la société résulte de manière directe et certaine du comportement illégal et fautif de la collectivité en raison de la signature d'un nouvel acte de déclaration de sous-traitance ;

- le contrat la liant à la société Sportiello Bâtiment revêt bien les caractéristiques d'un contrat de sous-traitance ;

- la faute commise par la collectivité, résultant de son absence d'accord préalable à son remplacement par un autre sous-traitant, s'accompagne d'un abus de droit et notamment d'une collusion frauduleuse entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ; cette faute engage la responsabilité contractuelle de la collectivité ;

- elle doit être indemnisée de son manque à gagner, constitué de sa marge perdue au taux de 18%, et du coût induit par le licenciement économique d'une salariée rendu nécessaire du fait de la perte de ce contrat.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 janvier 2021 et le 11 mars 2021, la communauté de communes du Pays réuni d'Orange, représentée par Me Sindres, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS URBATP Carrières et Marbres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en ce que la société requérante ne s'est prévalue d'aucun intérêt à agir en première instance et ne justifie pas davantage de son intérêt à agir ou d'un droit prétendument lésé dans le cadre de sa requête d'appel ;

- la communauté de communes n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle : d'une part, la société ne peut se prévaloir des règles relatives à la sous-traitance en sa qualité de fournisseur de la société Sportiello Bâtiment, alors même qu'elle a bénéficié d'un acte spécial de sous-traitance et, d'autre part, elle ne peut se prévaloir de la méconnaissance d'aucun texte législatif ou réglementaire ;

- le préjudice financier invoqué est dépourvu de tout lien de causalité direct avec les faits reprochés : seul le défaut de commande du matériau de substitution de la pierre Golden Cream par la société Sportiello Bâtiment à la société requérante est à l'origine du préjudice subi par celle-ci ; il ne présente pas non plus de caractère certain ;

- le défaut d'information de la société requérante entre 2013 et octobre 2017 pour informer la communauté de communes de sa capacité à approvisionner le chantier d'une pierre calcaire équivalente a directement contribué à la signature d'un nouvel acte de sous-traitance ; il est établi qu'elle n'était plus en mesure d'approvisionner la société Sportiello Bâtiment dans les mêmes conditions que celles définies par l'acte de sous-traitance signé en 2011 ;

- la société n'est pas recevable à invoquer la responsabilité contractuelle qui se rapporte à une cause juridique distincte de celle développée dans les délais impartis ; le moyen est au demeurant inopérant en l'absence de lien contractuel entre un maître de l'ouvrage et un fournisseur du titulaire du marché.

Par ordonnance du 12 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 30 mars 2021.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la SAS URBATP Carrières et Marbres.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 février 2010, la commune d'Orange a confié à la SAS Sportiello Bâtiment le lot n°4 " revêtement calcaire (pose et fourniture) " du marché relatif aux travaux de réaménagement du secteur de l'Arc de Triomphe. Elle a, à cette occasion, accepté la SAS Sportiello Marbres en qualité de sous-traitant et agréé les conditions de paiement de l'intéressée, d'abord par une annexe à l'acte d'engagement puis par un acte spécial du 12 octobre 2011. A partir du 1er janvier 2014, la communauté de communes des Pays de Rhône et Ouvèze, aujourd'hui devenue la communauté de communes du Pays réuni d'Orange, a, pour l'exécution de ce marché, été substituée à la commune d'Orange, les compétences en matière de voirie et d'aménagement lui ayant été transférées. Après une interruption des travaux, leur reprise a été ordonnée à compter du 1er septembre 2015 pour la tranche conditionnelle n°9, et leur démarrage à compter du 19 décembre 2016 pour la tranche conditionnelle n°1. La SAS Sportiello Bâtiment a sollicité, d'une part, l'acceptation et l'agrément des conditions de paiement d'un nouveau sous-traitant, la société de droit portugais Marmalcoa, pour la tranche conditionnelle n°1, et d'autre part, une modification de l'acte spécial relatif à l'intervention de la SAS Sportiello Marbres, supprimant tout droit à paiement direct de cette dernière. Le pouvoir adjudicateur a signé les actes correspondants les 11 novembre 2016 et 22 février 2017. La SAS Sportiello Marbres, devenue la SAS URBATP Carrières et Marbres, estime qu'en signant ces actes, la communauté de communes du Pays réuni d'Orange a commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à son égard et a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner cette personne publique à lui verser la somme de 88 033 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette faute. Par un jugement du 9 juillet 2020, le tribunal a rejeté la demande de la SAS URBATP Carrières et Marbres. Cette dernière relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, applicable, dans sa rédaction alors en vigueur, aux marchés passés par l'Etat, les collectivités locales, les établissements et entreprises publics : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution ". Aux termes de l'article 15 de la même loi : " Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ". Aux termes de l'article 112 du code des marchés publics alors applicable : " Le titulaire d'un marché public de travaux, (...) peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement ". Selon l'article 114 du même code : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement sont demandés dans les conditions suivantes : / 1° Dans le cas où la demande de sous-traitance intervient au moment du dépôt de l'offre ou de la proposition, le candidat fournit au pouvoir adjudicateur une déclaration mentionnant : / a) La nature des prestations sous-traitées ; / b) Le nom, la raison ou la dénomination sociale et l'adresse du sous-traitant proposé ; / c) Le montant maximum des sommes à verser par paiement direct au sous-traitant ; / d) Les conditions de paiement prévues par le projet de contrat de sous-traitance et, le cas échéant, les modalités de variation des prix ; / e) Les capacités professionnelles et financières du sous-traitant. / (...) / La notification du marché emporte acceptation du sous-traitant et agrément des conditions de paiement ; / 2° Dans le cas où la demande est présentée après le dépôt de l'offre, (...) / L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont alors constatés par un acte spécial signé des deux parties. / Figurent dans l'acte spécial les renseignements ci-dessus mentionnés au 1° ; / 3° Si, postérieurement à la notification du marché, le titulaire envisage de confier à des sous-traitants bénéficiant du paiement direct l'exécution de prestations pour un montant supérieur à celui qui a été indiqué dans le marché, il doit obtenir la modification de l'exemplaire unique prévu à l'article 106 du présent code. / (...) / Toute modification dans la répartition des prestations entre le titulaire et les sous-traitants payés directement ou entre les sous-traitants eux-mêmes exige également la modification de l'exemplaire unique ou, le cas échéant, la production d'une attestation ou d'une mainlevée du ou des cessionnaires ; / (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions combinées qu'en l'absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l'exécution ou à leur montant, le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant. En revanche, le droit à ce paiement reste subordonné à la réalisation effective des prestations sous-traitées.

4. En l'espèce, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, la SAS URBATP Carrières et Marbres est la même personne juridique que la SAS Sportiello Marbres, qui a simplement changé de dénomination sociale et de liens capitalistiques, sans modification de son numéro d'identification au registre du commerce et des sociétés. Dès lors que cette société a été acceptée comme sous-traitant du marché litigieux et a vu ses conditions de paiement agréées par un acte spécial du 12 octobre 2011, le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas réduire le droit au paiement direct de ce sous-traitant au motif de la disparition de l'entité juridique, alors qu'il avait été informé, par courrier du 29 juin 2015, du changement de dénomination sociale de la société. Toutefois, alors que la communauté de communes du Pays réuni d'Orange conteste la qualité de sous-traitant de la société requérante au motif que selon les pièces du marché cette dernière était chargée de prestations de " fourniture " de pierres calcaires, le contrat de sous-traitance conclu entre la société requérante et le titulaire du marché, la société Sportiello Bâtiment, n'a pas été produit par les parties. Au demeurant, il résulte de l'instruction que la société requérante, qui devait fournir les pierres calcaires pour les tranches conditionnelles n°1 et 9 après interruption des travaux du secteur de l'Arc de Triomphe dès septembre 2012, a été sollicitée par le titulaire du marché par courrier du 18 octobre 2013 afin qu'elle lui indique avec quel matériau elle comptait poursuivre l'exécution du marché, du fait de la fermeture de la carrière de Golden Cream auprès de laquelle elle s'approvisionnait. Si la société requérante a indiqué dès le 23 octobre 2013 qu'elle allait se rendre en Turquie afin de visiter une nouvelle carrière, puis le 6 novembre suivant que les essais nécessaires devaient être effectués avec la pierre Calcaire Beige Impérial clair, il ne résulte d'aucune pièce qu'elle aurait ensuite transmis des échantillons au titulaire du marché en vue de la reprise du chantier à compter de la fin de l'année 2016, afin d'assurer les prestations qui lui incombaient dans le cadre du lot n° 4 du marché. S'il résulte des pièces produites, notamment le courrier électronique adressé par le titulaire du marché à la communauté de communes le 23 février 2017, que celui-ci n'entendait plus sous-traiter la fourniture des matériaux à la société requérante à la suite de la vente de la société Sportiello Marbres à l'un de ses concurrents, la société requérante n'établit cependant pas qu'elle était effectivement en mesure de poursuivre l'exécution des prestations restant à exécuter au titre des tranches conditionnelles n°1 et 9 et aurait effectué les démarches en ce sens tant auprès du titulaire du marché qu'auprès du pouvoir adjudicateur. Ainsi, alors que la collusion frauduleuse alléguée entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal pour l'évincer du marché n'est établie par aucun élément, l'illégalité des actes spéciaux modificatifs des 11 novembre 2016 et 22 février 2017 n'est pas à l'origine de l'absence d'exécution de ces travaux par la société requérante.. Il s'ensuit qu'ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, le préjudice allégué par la société requérante est dépourvu de lien direct et certain avec la signature des actes spéciaux modificatifs par la communauté de communes du Pays réuni d'Orange les 11 novembre 2016 et 22 février 2017.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SAS URBATP Carrières et Marbres n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du Pays réuni d'Orange qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS URBATP Carrières et Marbres demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, mettre à la charge de la SAS URBATP Carrières et Marbres une somme de 1 500 euros à verser à la communauté de communes du Pays réuni d'Orange au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS URBATP Carrières et Marbres est rejetée.

Article 2 : La SAS URBATP Carrières et Marbres versera à la communauté de communes du Pays réuni d'Orange une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS URBATP Carrières et Marbres, à la communauté de communes du Pays réuni d'Orange et à la société Sportiello Bâtiment.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-DemaretLe greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°20TL03317


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL03317
Date de la décision : 29/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas - Marchés - Sous-traitance.

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : MCL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-03-29;20tl03317 ?
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