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19/09/2023 | FRANCE | N°21TL02394

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 19 septembre 2023, 21TL02394


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Betem Ingénierie a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa, situé à Saint-Laurent-de-Cerdans, à lui verser la somme de 56 137,38 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal majoré de deux points, actualisés au jour du jugement, à partir du 26 novembre 2017, en règlement du solde du lot n° 2 du marché de maîtrise d'œuvre conclu pour la rénovation de cet ét

ablissement.

Par un jugement n° 1904440 du 22 avril 2021, le tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme Betem Ingénierie a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa, situé à Saint-Laurent-de-Cerdans, à lui verser la somme de 56 137,38 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal majoré de deux points, actualisés au jour du jugement, à partir du 26 novembre 2017, en règlement du solde du lot n° 2 du marché de maîtrise d'œuvre conclu pour la rénovation de cet établissement.

Par un jugement n° 1904440 du 22 avril 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le 21 juin 2021, puis devant la cour administrative d'appel de Toulouse, et des mémoires enregistrés les 21 janvier, 16 août, 28 et 29 septembre 2022, la société Betem Ingénierie, représentée par Me Soliveres, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 avril 2021 ;

2°) de condamner l'établissement public d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa à lui verser la somme de 56 137,38 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal majoré de deux points actualisés au jour de l'arrêt à intervenir à compter du 26 novembre 2017, en règlement du solde du marché de maîtrise d'œuvre conclu le 16 mars 2007 pour la rénovation de cet établissement ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- son action en règlement du solde du marché n'est pas tardive dès lors que les stipulations en matière de contestation du décompte général et définitif qui lui sont opposées en défense relèvent du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux alors que le marché en litige est régi par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, lequel ne prévoit aucun délai de forclusion de six mois pour contester le décompte général et définitif d'un marché de maîtrise d'œuvre ;

- à titre principal, elle a bien respecté les stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles en adressant un mémoire en réclamation exposant les motifs de son désaccord, le marché de maîtrise d'œuvre concerné et le montant de la somme réclamée par trois courriers des 11 octobre 2017, 22 janvier et 15 mai 2019 tandis que l'article 37 de ce même cahier ne prévoit nullement que le silence gardé par le pouvoir adjudicateur pendant deux mois sur la réclamation ouvrirait un nouveau délai de deux mois pour saisir le juge administratif ;

- son action en règlement du solde du marché n'est pas frappée de prescription quadriennale dès lors que, le décompte final ayant été établi par ses soins le 24 mai 2016, cette prescription, qui a commencé à courir le 1er janvier 2017, n'était pas acquise le 16 août 2019, date de la saisine du tribunal ;

- la procédure de transmission du décompte définitif instituée par les articles 12.1.3 et 12.1.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles a bien été respectée dès lors que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société BDM Architectes, mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a bien transmis son projet de décompte au maître de l'ouvrage, ainsi que cela est désormais établi ;

- à titre subsidiaire, à supposer même que la société BDM Architectes n'ait pas transmis son projet de décompte final au maître de l'ouvrage, sa demande était recevable dès lors que les stipulations du cahier des clauses administratives particulières du marché, qui priment sur celles du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, ne donnent pas une compétence exclusive au mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre pour transmettre le projet de décompte général ;

- le maître d'ouvrage était parfaitement informé du projet de décompte qu'elle a établi et a été destinataire, à plusieurs reprises, de réclamations préalables, notamment par un courrier du 11 octobre 2017, mais a fait le choix délibéré de ne pas régler le solde du marché ;

- en application de l'article 6.4 du cahier des clauses administratives particulières du marché, le maître de l'ouvrage était tenu de régler la somme due dans un délai de 45 jours à compter de la réception de la demande en paiement ;

- en ce qui concerne le bien-fondé de sa créance, celle qu'elle détient à l'égard du maître de l'ouvrage se fonde sur l'exécution complète des prestations prévues par le contrat de maîtrise d'œuvre et de ses avenants ainsi que sur le décompte final établi le 24 mai 2016, éléments qu'elle a versés aux débats devant le tribunal ;

- sa créance a été calculée à partir, notamment, des situations n° 14 et 15, visées par le mandataire du groupement, respectivement arrêtées au 9 juillet 2012 et au 8 juillet 2014 pour des montants toutes taxes comprises de 5 200,03 euros et 42 644,27 euros ;

- le solde du marché s'élève à la somme de 53 534,29 euros toutes taxes comprises, augmentée de la somme de 2 603,09 euros correspondants aux intérêts dus au 31 juillet 2019 dont le point de départ est le 26 novembre 2017, date de la mise en demeure ;

- le jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1303556 du 11 juillet 2014 dont se prévaut le maître de l'ouvrage, relatif à l'application de pénalités de retard au seul mandataire du groupement, ne lui est pas opposable dès lors qu'elle n'est pas partie à ce litige, lequel ne remet pas en cause la réalité des prestations qu'elle a réalisées de sorte qu'aucune compensation ne peut être opérée entre ces pénalités, mises à la charge exclusive de la société BDM Architectes, et la créance dont elle se prévaut.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 juillet, 8 et 29 septembre 2022, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa, représenté par Me Bonnet conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Betem Ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures que :

- à titre principal, la créance en litige est prescrite :

* il n'a été effectivement destinataire d'une demande de paiement que le 22 janvier 2019 alors que les situations n°s 14 et 15 des 9 juillet 2012 et 8 juillet 2014 dont se prévaut la société appelante ont été établies plus de cinq ans plus tôt, la réception étant, quant à elle, intervenue le 14 mars 2014 tandis que, en tout état de cause, le décompte transmis au maître d'ouvrage délégué par une lettre du 29 octobre 2018, alors qu'il aurait dû lui être transmis, l'a été au-delà du délai de prescription quadriennale ;

* quand bien même serait retenue la plus tardive de ces deux situations, ce qui aboutirait à faire partir le délai de la prescription au 1er janvier 2015, la prescription était acquise ;

* la mise en demeure du 11 octobre 2017 ne permet pas d'apprécier le bien-fondé de la réclamation de la société appelante ;

- à titre principal, la demande présentée devant le tribunal est irrecevable :

* les mises en demeure adressées par la société Betem Ingénierie par des courriers des 11 octobre 2017, 22 janvier 2019 et 15 mai 2019 ne sauraient être regardées comme de véritables lettres de réclamation, adressées, dans les délais requis, au maître de l'ouvrage par le mandataire du groupement et énonçant clairement les motifs du différend, au sens des articles 12 et 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

* si la société Betem Ingénierie justifie, pour la première fois en appel, avoir adressé sa proposition de décompte final le 25 mai 2016 au mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, cette proposition ne comporte aucun justificatif permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande de paiement tandis qu'en sa qualité de maître d'ouvrage, il était dans l'ignorance de la réception de cette demande par le mandataire du groupement ; par suite, cet envoi n'a déclenché aucun délai à son égard ;

* la proposition de décompte adressée le 22 janvier 2019 n'était assortie d'aucun justificatif et ne peut, tout au plus, qu'être regardée comme une demande confirmative de la première proposition, elle-même irrecevable ;

* en vertu de l'article 12.1.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, seul le mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre était habilité à transmettre le projet de décompte de la société appelante ;

* il appartient à la société Betem Ingénierie, si elle s'y croit fondée, de rechercher la responsabilité du mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre lequel a failli dans le paiement du solde de ses prestations ;

- à titre subsidiaire, la créance en litige est infondée :

* il n'est pas établi que les prestations ont été régulièrement et entièrement exécutées ;

* les montants allégués au titre des notes d'honoraires n°s 14 et 15, lesquelles sont dépourvues de date certaine, ne correspondent pas au montant de la rémunération à laquelle pouvait prétendre la société appelante au regard du tableau de répartition des honoraires résultant de l'avenant n° 6 au marché ;

* le décompte final dont se prévaut la société appelante est entaché d'erreurs matérielles ;

* une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas ;

* il n'y a pas lieu d'appliquer des pénalités de retard dès lors que la mise en demeure du 11 octobre 2017 a été adressée à un autre établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes situé à Arles-sur-Tech ;

* le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 11 juillet 2014, devenu définitif, qui confirme le bien-fondé des pénalités appliquées au groupement de maîtrise d'œuvre a été communiqué en temps utile à la société appelante ;

* si la cour venait à accueillir la demande de règlement du solde du marché présentée par la société appelante, il y aurait lieu de compenser la somme de 53 534,29 euros toutes taxes comprises avec celle qu'elle doit au titre des pénalités de retard.

Par une ordonnance du 8 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 6 octobre 2022, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre,

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- les observations de Me de la Marque, représentant la société Betem Ingénierie, et de Me Bonnet, représentant l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa.

Considérant ce qui suit :

1. En 2007, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa situé à Saint-Laurent-de-Cerdans et l'établissement pour personnes âgées dépendantes Baptiste Pams situé à Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales) se sont engagés dans d'importants travaux de rénovation pour le premier et de restructuration et d'extension pour le second. La société Icade a été désignée en qualité de maître d'ouvrage délégué et les études de maîtrise d'œuvre ont été réparties en deux lots : un lot n° 1 " rénovation et extension de l'EHPAD Baptiste Pams à Arles-sur-Tech " et un lot n° 2 " Rénovation de l'EHPAD Nostra Casa à Saint-Laurent-de-Cerdans ". Par un acte d'engagement du 16 mars 2007, le lot n° 2 a été attribué à un groupement de maîtrise d'œuvre composé de la société BDM Architectes, mandataire du groupement, aux droits de laquelle vient la société Patriarche, de la société Agena, cabinet d'architectes, et de la société Betem Ingénierie, bureau d'études techniques tous corps d'état. S'estimant créancière d'un reliquat d'honoraires, la société Betem Ingénierie a, par trois lettres des 11 octobre 2017, 22 janvier et 15 mai 2019, envoyées à l'adresse postale de l'établissement pour personnes âgées dépendantes Baptiste Pams situé à Arles-sur-Tech, demandé le règlement du solde du marché de maîtrise d'œuvre conclu pour la rénovation de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de Saint-Laurent-de-Cerdans pour un montant de 53 534,29 euros toutes taxes comprises. En l'absence de réponse du maître d'ouvrage, la société Betem a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à la condamnation du maître d'ouvrage à lui verser la somme de 56 137,38 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts au taux légal actualisé majoré de deux points à compter du 26 novembre 2017. La société Betem Ingénierie relève appel du jugement du 22 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions tendant au règlement du solde du marché en litige :

2. En premier lieu, l'article 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par le décret du 26 décembre 1978 susvisé, applicable en vertu de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché en litige et auquel les parties n'ont pas entendu déroger, stipule que : " Au sens du présent document, les titulaires sont considérés comme groupés et sont appelés "cotraitants" s'ils ont souscrit un acte d'engagement unique. / Les cotraitants sont soit solidaires, soit conjoints. / Les cotraitants sont solidaires lorsque chacun d'eux est engagé pour la totalité du marché et doit pallier une éventuelle défaillance de ses partenaires ; l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, représente l'ensemble des cotraitants vis-à-vis de la personne responsable du marché. / Les cotraitants sont conjoints lorsque chacun d'eux n'est engagé que pour la partie du marché qu'il exécute ; toutefois, l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard de la personne responsable du marché, jusqu'à la date où ces obligations prennent fin ; cette date est soit l'expiration de la garantie technique prévue à l'article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d'effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier (...) ".

3. En vertu de l'article 26 du cahier des clauses administratives particulières du marché de maîtrise d'œuvre, la mission du maître d'œuvre s'achève à la fin du délai de garantie de parfait achèvement, d'une durée d'un an, prévu au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, ou après la levée des réserves signalées lors de la réception de l'ouvrage si cette levée est plus tardive. Dans cette dernière hypothèse, l'achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve.

4. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.

5. Les stipulations précitées de l'article 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles ne s'opposent pas à ce que la responsabilité du mandataire solidaire d'un groupement de maîtrise d'œuvre puisse être recherchée en cette qualité à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d'œuvre s'est achevée, dès lors que si cette dernière date marque la fin des relations contractuelles, elle demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l'engagement solidaire qu'il a contracté.

6. Il résulte de l'instruction que l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre en litige ne comporte aucune clause de solidarité entre les cotraitants et comprend une annexe relative à la répartition des honoraires en fonction des missions confiées à chaque cotraitant, modifiée à plusieurs reprises par des avenants. Il est donc constant que le groupement de maîtrise d'œuvre présente le caractère d'un groupement conjoint.

7. En second lieu, aux termes de l'article 12.31 du cahier des clauses administratives générales précité : " Après réception, selon les stipulations du chapitre V, des prestations faisant l'objet du marché ou, si le marché est fractionné, d'une phase assortie d'un paiement partiel définitif, le titulaire doit adresser à la personne responsable du marché le projet de décompte correspondant aux prestations fournies. / Le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché ; si celle-ci modifie le projet de décompte présenté par le titulaire, elle lui notifie le décompte retenu (...) ". L'article 12.4 du même cahier, relatif au règlement en cas de cotraitants payés directement, stipule que : " En ce qui concerne les cotraitants mentionnés au 1 de l'article 3 ainsi que les sous-traitants payés directement, les acomptes et les décomptes sont décomposés en autant de parties qu'il y a de personnes à payer séparément ". Enfin, aux termes de l'article 12.42 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en litige : " En cas de cotraitance, le mandataire est seul habilité à présenter les demandes d'acompte et les projets de décompte, et à accepter les décomptes ; seules sont recevables les réclamations formulées ou transmises par ses soins ".

8. L'article 40.1 de ce même cahier des clauses administratives générales stipule, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché. La personne publique dispose d'un délai de deux mois compté à partir de la réception du mémoire de réclamation pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".

9. Il résulte de ces stipulations que le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de l'article 40.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.

10. Il résulte des stipulations combinées de l'article 1er de l'acte d'engagement et de l'article 12.42 du cahier des clauses administratives générales que la société BDM Architectes, mandataire désigné par les cotraitants pour l'exécution du marché et, dès lors, pourvue d'une compétence exclusive pour assurer les relations entre ceux-ci et le maître de l'ouvrage pour l'ensemble des questions relatives à l'exécution du contrat, était seule habilitée à saisir le pouvoir adjudicateur d'un mémoire en réclamation.

11. Par suite, ainsi qu'il est soutenu en défense, seule la société BDM Architectes pouvait, en qualité de mandataire, valider et présenter le projet de décompte afférent aux prestations de maîtrise d'œuvre accomplies par la société appelante et transmettre toute réclamation de cette dernière sur le règlement de ses honoraires au maître d'ouvrage. Sur ce point, il résulte de l'instruction qu'après avoir demandé aux membres du groupement de transmettre leur projet de décompte par un courriel du 13 avril 2016, la société BDM Architectes a relancé la société Betem Ingénierie à deux reprises, par des courriels adressés les 28 avril et 19 mai 2016 produits par l'appelante, afin que cette dernière transmette son projet de décompte. Dans sa dernière relance du 19 mai 2016, la société BDM Architectes a précisé à la société appelante que les projets de décomptes des membres du groupement seront adressés au maître d'ouvrage au plus tard le 23 mai 2016. La société Betem Ingénierie indique, en se bornant à produire un bordereau d'envoi de documents daté du 25 mai 2016 sans toutefois joindre une preuve d'envoi par une lettre recommandée avec accusé de réception ou par un message électronique, avoir établi son projet de décompte le 24 mai 2016 et l'avoir transmis à la société BDM Architectes le 25 mai 2016. Par ailleurs, dès lors que seul le mandataire du groupement est, en vertu des stipulations précitées de l'article 12.42 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, habilité à valider et présenter les projets de décompte et à formuler ou à présenter des réclamations pour le compte des membres du groupement, la société appelante ne peut utilement soutenir qu'elle a pris l'initiative de transmettre son projet de décompte directement au maître d'ouvrage par des courriers des 11 octobre 2017, 22 janvier et 15 mai 2019.

12. Si la société Betem Ingénierie se prévaut, pour la première fois en appel, d'un courrier du 29 octobre 2018, obtenu sur assignation de la société BDM Architectes devant le tribunal de commerce de Perpignan, par lequel cette dernière a transmis son projet de décompte à la société Icade, maître d'ouvrage délégué, lequel en a accusé réception le 30 octobre suivant, ce document n'est pas de nature à établir qu'elle a accompli les diligences nécessaires en vue, d'une part, que son projet de décompte soit adressé en temps utile, par le mandataire du groupement, au maître d'ouvrage dans le cadre des opérations d'établissement du décompte général du marché en litige et, d'autre part, que ce mandataire transmette une réclamation relativement au décompte de ses prestations. À cet égard, à supposer que le courrier du 29 octobre 2018 puisse être regardé comme valant transmission au maître d'ouvrage, par le mandataire du groupement, du projet de décompte de la société Betem ingénierie, la lettre directement adressée par cette dernière au maître d'ouvrage, le 15 mai 2019, pour obtenir le règlement du solde des honoraires qu'elle estimait devoir percevoir ne saurait, dès lors qu'elle n'a pas été transmise par le mandataire du groupement, tenir lieu de réclamation au sens des stipulations précitées de l'article 12.42 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tenant à la formulation du mémoire en réclamation, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande de la société Betem Ingénierie doit être accueillie.

13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription quadriennale opposée en défense ni sur la fin de non-recevoir tirée de la formulation du mémoire en réclamation, la société Betem Ingénierie n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa, qui n'est pas la partie perdante dans le présent litige, au titre des frais exposés par la société Betem Ingénierie et non compris dans les dépens.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Betem Ingénierie une somme 1 500 euros à verser à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de la société Betem Ingénierie est rejetée.

Article 2 : La société Betem Ingénierie versera à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Betem Ingénierie et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Nostra Casa.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21TL02394


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL02394
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Règlement des marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Nadia EL GANI-LACLAUTRE
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-19;21tl02394 ?
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